Le Coran et Mahomet sont véridiques. Or, ils parlent des génies et de la sorcellerie. Donc il faut croire à tout ce qu’ils en disent. Ceci constitue un “élément nécessaire de la religion”; celui qui ne croit pas à l’existence des génies doit être considéré comme un mécréant (kafir)[1], il mérite donc la peine de mort.
Le Coran utilise le terme Malak (88 fois), Shaytan (88 fois), Djinn ou Djann (29 fois[2]), Iblis (11 fois), et Ifrit (1 fois) pour désigner les génies ou esprits invisibles, mythologie liée au démonisme sémitique et qui se retrouve dans la croyance juive et arabe. Ces créatures (créées du “feu de la fournaise ardente”, 15:27) sont souvent en relation avec les êtres humains (créés d’une “argile extraite d’une boue malléable”, 15:28). Comme ces derniers, ils forment des nations, sont destinataires des messages des prophètes (6:130 ), dont celui de Mahomet (46:29 et 72:1), deviennent juifs, chrétiens ou musulmans, ou restent mécréants (voir 72:14), et ils connaissent la mort[3]. Ils jouissent ensuite du paradis ou subissent l’enfer (7:38 et 179; 47:12 et 72:15).
L’être humain peut être possédé et malmené par ces génies. Le Coran dit: “Ceux qui se nourrissent de l’usure ne se dresseront au Jour du jugement que comme se dresse celui que le Démon a violemment frappé » (2:275); “Mentionne notre serviteur Job: Il cria vers son Seigneur: Le Démon m’a atteint par une souffrance et un châtiment” (38:41). Ces génies peuvent se métamorphoser et apparaître à l’homme sous forme d’un animal ou d’un être humain[4]. Ils peuvent aussi entrer dans le corps humain à travers ses orifices[5]. Leurs méfaits peuvent être le résultat de l’intervention des sorciers et autres agents intermédiaires. La sorcellerie est considérée par le Coran comme une science transmise par le démon (2:102). Ce terme et ses dérivés sont utilisés une cinquantaine de fois dans le Coran.
Pour mettre fin aux méfaits des génies et des sorciers, rien de tel que d’utiliser le Coran en récitant un certain nombre de versets appropriés au cas traité. Le Coran dit: “Nous faisons descendre, avec le Coran, ce qui est guérison et miséricorde pour les croyants” (17:82).
Les génies se marient entre eux et ont des enfants, sans cela ils disparaîtraient[6]. Selon certains juristes musulmans, ils peuvent aussi se marier et fourniquer avec les humains. Ceci est déduit du verset coranique relatif aux Houris promises aux élus: “Là, ils rencontreront celles dont les regards sont chastes et que ni homme ni Djinn n’a jamais touchées avant eux” (55:56) ainsi que du verset: “Dieu dit [au Démon] …. associe-toi à eux [aux humains] avec leurs biens et leurs enfants” (17:64). Mahomet aurait aussi informé ses compagnons que la mère de Balqis, Reine de Saba, était une Djinn. Nous verrons d’autres récits de Mahomet dans ce genre.
Partant des versets coraniques et des récits de Mahomet, les juristes se sont posés la question de savoir si le mariage mixte entre génies et humains était licite. Certains disent qu’il est illicite parce que Mahomet l’aurait interdit. On cite aussi le Coran: “Dieu vous a donné des épouses nées parmi vous” (16:72). On en déduit que le mariage mixte entre humains et Djinns est prohibé. D’autres juristes disent qu’un tel mariage, tout en n’étant pas interdit, est à considérer comme blâmable (makrouh). Des yéménites ont écrit au grand juriste Malik pour lui demander s’ils pouvaient donner une fille en mariage à un Djinn qui passait chez eux. Sans nier la possibilité qu’un tel mariage puisse avoir lieu, Malik répondit: “Rien de mal en cela, mais je l’abhorre car si une femme tombe enceinte et on lui dit: qui est ton mari? Elle répondra: un parmi les Djinns. La corruption augmentera alors parmi les musulmans”. D’autres enfin disent qu’un tel mariage est licite. Après avoir discuté les opinions des différents juristes, l’auteur d’une thèse de doctorat sur les génies affirme qu’un tel mariage entre les génies et les humains est possible, mais il est illicite. Et il ajoute: si toutefois un tel mariage a lieu sous la contrainte du génie, le partenaire humain ne commet pas de péché pour un tel mariage[7].
Peut-on avoir des enfants de ce mariage mixte Djinn/humain? Un auteur égyptien récent donne une réponse affirmative. Selon cet auteur, l’enfant peut être de la race des Djinns, donc invisible, ou de la race des humains mais avec des marques distinctives. Ce dernier cas correspond au récit de Mahomet qui aurait dit: “Si un homme pénètre sa femme sans prononcer le nom de Dieu, le Djinn se met sur sa verge et pénètre avec lui”; “Si un homme pénètre sa femme pendant ses règles, le diable le précède et la rend enceinte donnant lieu à des enfants hermaphrodites”. Mahomet aurait qualifié ces enfants de “mugharrabin“, – ayant du sang étranger. On reconnaît ces enfants, d’après l’auteur en question, par la couleur très foncée de leurs yeux qui font peur, leur penchant pour les crimes et le suicide et leur air distrait[8].
Ces croyances dans les génies font des ravages dans la société arabo-musulmane et ouvrent des perspectives de gain et de profit à bon nombre d’hommes et de femmes qui se présentent comme “guérisseurs par le Coran”. Des centaines d’ouvrages sur les génies à deux sous peuvent être obtenus auprès des vendeurs installés sur les trottoirs du Caire. Des guérisseurs n’hésitent pas à faire étalage dans ces livres de leurs pouvoirs extraordinaires auprès de leurs clients appartenant à toutes les classes, coupures de journaux et récits de leurs bienfaits à l’appui. Et comme dans tout marché, il y a de la concurrence dans ce domaine: on se justifie et on dénigre les autres: “Contrairement aux autres charlatans, moi je ne fais qu’utiliser le Coran pour guérir”. Tous se croient chargés d’une mission divine de sauver l’humanité des méfaits des génies. Et les simplets tombent dans leurs pièges comme les mouches dans le pot de miel. Ils s’adressent à ces guérisseurs pour guérir des maladies physiques et psychiques, brouiller un couple, faire revenir l’amant en fugue, assurer le succès, trouver le trésor enfoui, arrêter les incendies. Pour convaincre les incrédules, certains guérisseurs sont munis d’attestations d’une autorité religieuse ou d’un centre d’astrologie[9]. Ainsi des attestations signées par Ibn-Baz, la plus haute autorité religieuse saoudienne, circulent en Egypte[10].
Ce climat malsain touche surtout les femmes. Les ouvrages racontent souvent de leurs histoires. Celles qui passent dans des crises familiales se croient ou font croire à leur entourage qu’elles sont possédées par un ou des génies qui repoussent leurs maris ou les empêchent de se marier. Elles déclarent qu’elles ont des relations sexuelles avec ces génies. On amène l’exorciseur. Muni de ses versets coraniques et autres objets bénis qu’il fait parfois ingurgiter à la femme, l’exorciseur engage un dialogue avec le génie: ton nom, ta religion, ton lieu d’origine, pour quelle raison es-tu entré dans cette femme et qu’y fais-tu? Et le génie donne le nom, la religion et le lieu d’origine. Parfois il dit qu’il est tombé amoureux de la femme et lui fait l’amour chaque jour[11]. D’autres fois, il déclare carrément qu’il s’est marié avec elle. Vient ensuite l’exhortation pour que le génie quitte la femme, suivie de menace de le brûler en récitant des versets spécifiques du Coran. Dans certains récits, le génie se repent, se convertit à l’islam et demande l’adresse de la mosquée que fréquente l’exorciseur pour qu’il aille y entendre les cours de religion. C’est le happy end tel que raconté par les exorciseurs[12].
Mais un journaliste présente d’autres versions de ces séances d’exorcisme. Selon lui, ces exorciseurs sont des charlatans et des escrocs[13] qui profitent de la crédulité des autres pour les escroquer et en abuser sexuellement. Dans certaines séances d’exorcisme, le génie exige que tout l’entourage quitte la maison pour rester en tête-à-tête avec l’exorciseur. Parfois c’est la femme qui se rend seule chez ce dernier. Certains exorciseurs diagnostiquent alors que le génie a besoin de la basse sorcellerie (al-sihr al-sufli). Il couche avec la femme et la sodomise (bien que cela soit interdit entre mari et femme) et utilise son sperme pour écrire sur son ventre des formules magiques et des versets coraniques censés faire sortir le génie[14]. D’autres estiment que le génie ne sortira qu’à travers ses seins et se mettent à les sucer[15]. La séance d’exorcisme peut aussi se répéter à plusieurs reprises lorsque le génie refuse de sortir de sa victime. L’exorciseur se fait chaque fois payer et parfois en abuse sexuellement. Et lorsque la femme a des scrupules, l’exorciseur lui signe un document de mariage coutumier, ce qui rend les rapports sexuels licites aux yeux de la religion (voir le point suivant)[16]. Ce journaliste raconte que de telles histoires sordides arrivent au sein des familles saoudiennes dans lesquelles les femmes sont opprimées par des hommes volages. Ceci constituerait pour ces femmes un moyen de s’affirmer. Des apprentis exorciseurs égyptiens sont accueillis dans ces familles de bonne foi. Munis du Coran et d’une attestation d’Ibn-Baz, ils procèdent à sortir les génies de ces femmes et en abusent sexuellement après avoir sorti ses parents[17].
Ce journaliste reproduit un article d’un journal kuwaitien sur une fille égyptienne qui avait épousé un génie. On fit venir l’exorciseur pour la libérer du génie. L’auteur de l’article lui demande si le mariage du génie avec une fille est possible. Et si oui, peut-il en résulter une perte de la virginité de la fille. La réponse de l’exorciseur est nette: le mariage avec un génie est possible. Et si le génie s’est métamorphosé en un homme, il en résulte une défloration de la fille et son enfant sera un ifrit. Il ajoute que si une femme couche avec un génie, elle refuse d’épouser un homme parce que le plaisir procuré par le génie est plus fort que celui procuré par l’homme. Après enquête, le journaliste découvrit que la fille en question avait eu des relations incestueuses avec son frère décédé. Pour ne pas s’exposer à l’infamie, la famille inventa l’histoire qu’un génie avait épousé la fille[18]. Ceci ferait partie des ruses auxquelles recourent les filles égyptiennes qui ont perdu leur virginité[19].
Le journaliste en question rapporte qu’un exorciseur a même marié un homme à un autre homme. Il avait découvert qu’un homme était possédé par un génie mâle, et l’autre par un génie femelle. Pour les débarrasser de leurs génies, il fallait les marier ensemble, ainsi les deux génies se retrouvent et quittent leurs victimes[20].
Ce journaliste affirme que la moitié des habitants de l’Egypte craignent les méfaits des génies et de la sorcellerie[21], que les milieux artistiques entretiennent des liens très forts avec les sorciers et les guérisseurs, lesquels abusent d’eux sexuellement, et que les milieux politiques et parlementaires les fréquent et les consultent[22].
[1] Al-Mawsu’ah al-fiqhiyyah, Kuwait, 1989, vol. 16, p. 91.
[2] Le chapitre 72 du Coran porte le titre Al-Djinn.
[3] Ceci est basé sur le verset coranique 46:18 et sur un récit de Mahomet. Voir Ubaydat: ‘Alam al-gin fi daw’ al-kitab wal-sunnah, p. 52-54.
[4] Ceci est basé sur un récit de Mahomet. Voir Al-Mawsu’ah al-fiqhiyyah, vol. 16, p. 94.
[5] Ceci est basé sur le verset coranique 8:48 et sur un récit de Mahomet. Voir Al-Mawsu’ah al-fiqhiyyah, vol. 16, p. 91.
[6] Ceci est basé sur les versets coraniques 18:50 et 72:6. Voir aussi Ubaydat: ‘Alam al-gin fi daw’ al-kutab wal-sunnah, p. 42-46.
[7] Ibid., p. 325-341. Voir aussi Maghawri: Zawag al-djan min bani al-insan. Cet ouvrage est consacré entièrement au mariage entre les Djinns et les humains.
[8] Maghawri: Zawag al-djan min bani al-insan, p. 29-32.
[9] Ainsi Hussayn Shahine, présenté par la presse arabe comme le plus grand vainqueur de ifrits, affiche dans son livre ses titres dont celui du directeur pour le Proche-Orient de l’union mondiale des astrologues de Paris, membre de deux organismes religieux et vice-directeur du Centre des droits de l’homme au Caire (Shahine: Rihlah ila mamlakat al-gin, p. 306). Il y produit onze attestations d’autorités religieuses musulmanes d’Egypte, des Etats-Unis, des Emirats Arabes Unis, de l’Arabie saoudite, d’Erythrée, de Kenya, du Japon, du Maroc, du Liban et de l’Ukraine dans lesquels elles expriment l’avis que la guérison par le Coran est possible et licite (Ibid., p. 267-276)
[10] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 97-98. Il en produit une copie à la page 210.
[11] Voir par exemple le récit d’une jeune femme médecin d’Alexandrie exorcisée par Hussayn Shahine (Shahine: Rihlah ila mamlakat al-gin, p. 147-153).
[12] Des ouvrages rapportent de nombreux récits dans ce gendre. Voir par exemple l’ouvrage en deux volumes de Al-Sayim: Hiwar ma’ al-shayatin.
[13] Ainsi il signale que Hussayn Shahine, cité plus haut comme le plus grand vainqueur des ifrits, figure dans les registres du ministère de l’intérieur comme coupable d’escroquerie et de délits contre les mœurs dans quinze cas (Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 107).
[14] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 171.
[15] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 92.
[16] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 166.
[17] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 101-102.
[18] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 105-107. Sur le mariage avec les génies voir aussi la réponse du guérisseur Shahine: Rihlah ila mamlakat al-gin, p. 242-248.
[19] Maghawri: Zawag al-djan min bani al-insan, p. 5. Cet auteur affirme cependant que la défloration par l’effet de la relation sexuelle avec le Djinn est possible mais elle arrive très rarement; “un cas parmi mille ou cent milles cas” (Ibid., p. 29).
[20] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 98-99.
[21] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 114.
[22] Shawkat: Al-Djan wal-gamilat, p. 123-134. Voir aussi son ouvrage Shawkat: Asrar ahl-al-fan wal-siyassah ma’ al-sihr wal-gin.
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