Je vous donne ici un article que j’avais écrit en 2002
Pas de justice, pas de paix: Pour une république cananéenne
Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh[1]
(Texte rédigé avant le 11 septembre 2001 à l’intention de la Revue Panoramiques).
“La pire des misères est celle qui fait rire”, dit un proverbe arabe. J’ajouterai que la pire des misères est de ne pas savoir rire dans la misère. Qu’on me permette donc quelques débordements de langage pour soulager ma profonde tristesse en pensant à ma patrie d’origine. Pour parvenir à la sagesse, l’homme a souvent besoin d’atteindre les limites de la folie. Je commence par me situer. D’où suis-je? Comment s’appelle ma patrie? Aujourd’hui, ma patrie d’adoption s’appelle la Suisse. Quant à ma patrie d’origine, elle se situe quelque part entre la Méditerranée et le Fleuve du Jourdain. J’hésite à prononcer son nom et j’ai tant envie de la rebaptiser.
– “Israël”, pays reconnu par les Nations Unies, n’est pas reconnu par (tous) les pays qui l’entourent. Le mot lui-même suscite la haine et le mépris parmi les Arabes et les musulmans. Je n’entre pas dans les motivations.
– “Palestine”, seul pays reconnu par les pays qui entourent Israël, mais pas encore par les Nations-Unies ou Israël, suscite aussi de la haine et du mépris parmi les juifs et les chrétiens fondamentalistes. Chaque fois que j’écris une lettre de lecteur (signée “chrétien d’origine palestinienne”) dans les journaux suisses, je reçois une ou plusieurs lettres de ces fondamentalistes me disant que la Palestine est une chimère qui n’a pas d’existence dans l’histoire et que les Palestiniens sont venus de je ne sais quelle île dans la Méditerranée. Ici aussi je n’entre pas dans les motivations.
Il faut pourtant un nom à ce lopin de terre grand comme un mouchoir. Je décide donc, pour ne fâcher personne, d’utiliser le nom Canaan. C’est le nom que Dieu, selon la Bible, a utilisé pour désigner cette terre en parlant à Abraham (père chimérique ou réel, charnel ou spirituel des juifs, des chrétiens et des musulmans):
À toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu (Genèse 17:8).
En utilisant le nom Canaan, je souhaite aussi faire justice aux anciens habitants de cette terre, dont des représentants existaient encore du temps de Jésus. L’Évangile selon Matthieu rapporte qu’une femme cananéenne s’est présentée à Jésus le priant humblement de guérir sa fille “fort malmenée par un démon”. Jésus exauça sa prière en lui rendant hommage: “Ô femme, grande est ta foi! Qu’il t’advienne selon ton désir!” Matthieu ajoute: “Et de ce moment sa fille fut guérie” (Matthieu 15:21-28). Parfois, je me mets à rêver avec ces juifs qui croient à la venue prochaine du Messie, rien que pour lui demander un miracle, un seul, celui de guérir tous les habitants du pays de Canaan fort malmenés par le démon de la violence ces jours-ci.
Un jour ou l’autre, les habitants de ce lopin de terre devront se retrouver pour parler, manger, boire et reconstruire ce pays dévasté. Ils devront alors s’entendre sur un nom qui ne leur rappelle plus leurs sottises d’antan et ne réveille pas le démon du passé. Je leur propose d’ores et déjà d’appeler leur pays “Canaan”, un nom neutre, sans rancune et sans mauvais souvenirs. Ils seront alors appelés parmi les nations “les Cananéens”.
Mais comment parvenir à ce jour utopique alors que les juifs, les chrétiens et les musulmans qui peuplent le pays de Canaan s’entredéchirent, se menacent de bombes atomiques et chimiques, se réjouissent de la mort de l’autre et glorifient leurs martyrs qui sacrifient leur vie pour tuer et blesser le plus grand nombre de l’autre clan?
Du temps du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, il n’y a pas si longtemps, certains esprits espiègles proposaient comme solution entre les Noirs et les Blancs de peindre les Noirs en blanc, ou les Blancs en noir. Quelques bidons de peinture feraient l’affaire. On pourrait aujourd’hui proposer une solution similaire pour les juifs, les chrétiens et les musulmans: deux de ces groupes devront se convertir à la religion du troisième. Peu importe laquelle. Après tout, tous les trois se prétendent fils d’Abraham: Blanc bonnet, bonnet blanc, c’est kif-kif bourricot.
La solution des bidons de peinture n’a pas été retenue en Afrique du Sud. Ils ont préféré la solution des urnes, la voie de la démocratie. Et au lieu de créer des tribunaux pour juger les criminels de guerre comme l’ont fait les Blancs en Europe avec les tribunaux de la Deuxième guerre mondiale et les guerres d’ex-Yougoslavie et du Rwanda, les Africains du Sud ont préféré les commissions de conciliation. Les Noirs, majoritaires, ont choisi le recours à leur sagesse ancestrale, à savoir la discussion des problèmes sous l’arbre aux palabres. Le Mali connaît un système sage similaire pour résoudre les problèmes: les gens se rencontrent dans une hutte avec un toit très bas. Ils doivent rester assis pour discuter. Si l’un d’eux se lève pour utiliser ses mains contre un autre, il se tape la tête contre le toit. Noirs et Blancs discutent en Afrique du Sud. Tout n’est pas rose. Mais la bonne volonté y est. Les Blancs sont toujours blancs, et les Noirs sont toujours noirs, mais ils ont décidé de se serrer les coudes pour construire ensemble leur avenir. Au lieu de changer la couleur de leur peau avec de la peinture, ils ont entrepris de changer leurs cœurs. Malgré des années de prison et de persécution, le Président Mandela a su insuffler à ses concitoyens un sens de la justice. Et aujourd’hui nombreux sont les Blancs sud-Africains qui lui rendent hommage.
La justice. Le changement des cœurs. Se serrer les coudes pour construire ensemble au lieu de détruire. Voilà probablement les mots-clé pour résoudre les problèmes entre les habitants du pays de Canaan, juifs, chrétiens et musulmans. Nous sommes à cet égard contre toute idée de partage du pays de Canaan. Tout comme nous sommes contre l’apartheid entre les habitants de ce pays tel qu’il règne aujourd’hui. L’unité fait la force. La division provoque la haine et les frustrations. Ne voyez là aucun angélisme.
Il y a une quinzaine d’année, j’ai pris un bus touristique à Rome pour en avoir une vue générale. Dans une des stations, j’ai aperçu sur le portail d’une église gravée dans la pierre cette phrase en latin: Fructus justitiae pax (La paix sera le fruit de la justice). Venant d’un pays déchiré par la guerre, cette phrase m’a bouleversé. Je voulais en connaître l’origine. Après des recherches, j’ai découvert qu’il s’agit d’une parole du Prophète-poète Isaïe (32:17) qui vivait dans le pays de Canaan il y a environ 2700. Je souhaite donner ici au lecteur le passage entier qui est d’une beauté extraordinaire:
Dans le désert s’établira le droit
Et la justice habitera le verger.
La paix sera le fruit de la justice,
Et le reflet de la justice repos et sécurité à jamais (Isaïe 32:16-17).
Suivez mon regard: une phrase d’Isaïe qui parle de la “Paix fruit de la justice” gravée sur le portail d’une église à Rome, capitale des Romains dont les stratèges disaient: Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre). Quel contraste! Mon émotion était à son comble et aujourd’hui encore lorsque j’y pense, j’ai le frisson. Tout de suite après, j’ai fondé en Suisse avec des amis une association appelée Association pour reconstruire Emmaüs, dont tous les documents portent l’inscription: “La paix sera le fruit de la justice” (Isaïe 32:17). Mes amis et moi voulions faire de ce village un symbole de justice et de paix dans le pays de Canaan.
Emmaüs, c’est ce fameux village sur le chemin duquel le Christ ressuscité a rencontré deux de ses disciples. Invité à passer la nuit chez eux, ils ne l’ont reconnu qu’après avoir partagé le pain avec lui (Luc 24:13-35). Le partage du pain, geste de solidarité entre les humains! Et non pas le partage du pays, geste de haine et de sottise. Les juifs ont occupé ce village en 1967, l’ont complètement rasé aux bulldozers et ont expulsé ses habitants. Sur l’emplacement de ce village ils ont établi un lieu de pique-pique appelé Parc Canada. Les arbres ont remplacé les humains. Mes amis et moi voulions aider les habitants de ce village à retourner chez eux, en geste de justice et de solidarité. Mais les juifs font toujours la sourde oreille à la demande de ses habitants[2]. Comme ce village, les juifs ont détruit depuis la création d’Israël 384 autres villages, selon les comptes de notre association, sur la base de cartes juives[3]. Les habitants de ces villages détruits sont devenus des réfugiés dont une bonne partie vivent dans 61 camps de concentration: 13 au Liban, 10 en Syrie, 10 en Jordanie, 20 en Cisjordanie et 8 dans la Bande de Gaza, donc à quelques kilomètres de leurs terres et de leurs maisons détruites. Les juifs refusent leur retour alors qu’ils font venir leurs coreligionnaires des États-Unis, de la Russie, de l’Europe Occidentale, de l’Éthiopie, de l’Inde et d’ailleurs pour les installer sur les terres et les maisons de ces réfugiés dont leur seul crime est de ne pas être des juifs!
Revenons donc à l’histoire des bidons de peinture. À travers les siècles, des milliers de gens se sont convertis au judaïsme. Car ne venez pas me dire que tous ces blonds aux yeux bleus sont les fils d’Abraham le Sémite… à moins qu’il n’ait fréquenté assidûment les bordels des pays de l’Est. Aujourd’hui encore, on assiste à des conversions au judaïsme. On doit aussi ajouter les partenaires non juifs dans les mariages mixtes et les enfants issus de ces mariages. Tout ce beau monde peut revendiquer, selon les lois israéliennes, le droit de venir s’installer dans le pays de Canaan. Une fois arrivés là, ils bénéficient de tous les avantages sociaux, économiques et politiques prévus par les lois israéliennes. Ces avantages ne sont que partiellement reconnus aux non-juifs nés en pays de Canaan porteurs de passeports israéliens. Leur seul crime est qu’ils ne sont pas juifs, exactement comme le crime des Noirs sud-Africains était de ne pas être Blancs. Les non-juifs qui vivent dans les territoires occupés par les juifs en 1967 et les réfugiés palestiniens vivant dans les camps de concentration sous occupation juive ou dans les pays limitrophes n’ont pas droit aux avantages reconnus aux “juifs” russes, américains, suisses, polonais, italiens, anglais, hollandais, éthiopiens, français, allemands, autrichien, australiens, canadiens, etc. Le seul crime de ces palestiniens est de ne pas être juifs, exactement comme le crime des Noirs sud-Africains était de ne pas être Blancs. Nous sommes donc en face d’un véritable régime raciste d’apartheid, quoi qu’on en dise. Il faut être aveugle ou malhonnête pour ne pas le reconnaître.
Que faire devant ce système raciste d’apartheid qui se base non pas sur la couleur de la peau, mais sur l’adhésion religieuse? Il y a toujours la solution des bidons de peinture dont nous avons parlé plus haut. Il suffit de trouver un rabbin réformé bien intentionné qui accepterait de délivrer un certificat de judaïcité aux chrétiens et aux musulmans palestiniens. Et les voilà dignes de faire partie du “Peuple Élu” et avoir le droit de consommer “le lait et le miel” du pays de Canaan comme les autres juifs. Une autre solution, serait de convertir tous les habitants du pays de Canaan en musulmans ou en chrétiens et de faire une loi qui donne les mêmes droits à tous.
La solution de la conversion, donc des bidons de peinture, ne semble pas réalisable à large échelle, pour le moment au moins, même si certains y pensent. Sur Internet on trouve un site des juifs convertis à l’Islam appelés “Juifs pour Allah”[4]. On trouve aussi des “Juifs pour Jésus”[5], tout comme on trouve en Israël des chrétiens russes passés pour des juifs afin de pouvoir s’échapper de Russie. On les reconnaît souvent à leur pénis non circoncis. Certains vont jusqu’à se faire circoncire, troquant ainsi leur prépuce contre un passeport israélien. Qui les plaindrait?
En attendant, il faut une autre solution. Les Palestiniens non-juifs du pays de Canaan, avec leurs frères ou pseudo-frères arabes ont eu recours aux Nations-Unies, aux Pays occidentaux et aux autres pays pour qu’ils convainquent les juifs à reconnaître les droits des non-juifs cananéens. Ils ont aussi eu recours à la guerre traditionnelle. Et actuellement, ils recourent aux armes primitives: les pierres. Sans compter les invectives. Rien ne parvient à faire bouger les juifs d’un seul millimètre… dont les projets sont inconnus et hallucinants. Ben Gourion disait que les frontières d’Israël s’étendent sur toute terre où un soldat israélien met son pied. Certains fondamentalistes juifs (et chrétiens, y compris en Suisse) estiment que la frontière de la Terre promise aux juifs s’étendrait de l’Euphrate jusqu’au Nil. Ce qui expliquerait le fait que l’Ambassade israélienne en Égypte se situe de l’autre côté du Nil: on ne peut pas mettre l’ambassade auprès d’un pays étranger sur son propre territoire! Les juifs en pays de Canaan peuvent compter sur leurs alliés américains et européens ainsi que sur leurs armes atomiques pour dissuader les pays arabes et musulmans et les empêcher de gagner la guerre. Les frappes continuelles américaines et britanniques contre l’Irak ont probablement pour mission d’envoyer un signal à tout pays arabe qui penserait déclencher une guerre contre les juifs. Pris de panique, les pays arabes se satisfont d’envoyer quelques dollars aux Palestiniens. Entre-temps, ils fournissent aux juifs et à leurs alliés le pétrole arabe nécessaire pour faire marcher leurs tanks et leurs avions qui détruisent et sèment la désolation parmi les habitants non-juifs du pays de Canaan.
Mais on ne sait pas jusqu’à quand les Palestiniens accepteront de se faire avoir par les juifs. Le poète arabe Al-Mutanabbi (mort en 965) disait: “Il ne faut jamais mésestimer un faible dans une querelle: un moustique est capable d’ensanglanter l’œil du lion”. L’édition Internet du Jerusalem Post du 14 août 2001 donne une information qui constitue une mise en garde face à la détérioration de la situation au Proche-Orient. L’information est basée sur un article d’un directeur d’un centre palestinien à Gaza publié par l’hebdomadaire palestinien Al-Manar qui paraît au Liban. Selon cette information, les Palestiniens penseraient sérieusement à l’utilisation des armes biologiques comme moyen pour contrer la puissance militaire juive. Des centaines d’experts seraient capables de les manier et de les utiliser comme moyens de dissuasion. Quelques bombes dirigées vers les ressources d’eau, les plages, les marchés et les centres résidentiels feraient l’affaire, et elles sont difficilement détectables, selon l’information du Jerusalem Post[6]. Nous nous trouvons devant un scénario apocalyptique dont personne ne saurait mesurer véritablement les conséquences. Ce sera alors la victoire posthume de Hitler: l’extermination des juifs et des non-juifs au Proche-Orient.
Jörg Shimon Schuldhess, un artiste suisse juif anti-sioniste, écrit qu’on a trouvé les cheveux, les os et les souliers des juifs morts dans les camps de concentration. Mais leurs passeports, où sont-ils passés? Il spécule que des soldats nazis se seraient approprié ces passeports pour aller en Israël sous l’identité de leurs victimes juives afin de continuer la politique hitlérienne dans la région. Ce qui expliquerait, selon lui, la présence d’une importante communauté allemande en Israël[7]. Quoiqu’il en soit du sort des passeports des victimes du nazisme, nous croyons que la bêtise humaine n’a pas de limite dans le temps ou l’espace: on peut être Hitler sans être Aryen, et nazi tout en étant Sémite ou Pseudo-Sémite. Voulez-vous des preuves?
La Bible nous raconte l’histoire de Samson. Tombé dans les mains de ses ennemis, ceux-ci lui crevèrent les yeux et le firent descendre à Gaza, la fameuse ville d’aujourd’hui malmenée par les juifs. Ils l’enchaînèrent avec une double chaîne d’airain et il tournait la meule dans la prison. Un jour, ses ennemis firent une fête en l’honneur de leur divinité. Ils firent venir Samson de la prison pour s’amuser. Samson demanda alors au garçon qui le menait par la main: “Conduis-moi et fais-moi toucher les colonnes sur lesquelles repose le temple, que je m’y appuie”. Or le temple était rempli d’hommes et de femmes qui jouissaient des jeux de Samson. Celui-ci poussa alors les colonnes du temple de toutes ses forces et le temple s’écroula sur lui et sur ses ennemis.
Cela vous rappelle quelque chose? L’histoire se répète! Est-ce le prélude de ce qu’attend toute la région du Proche-Orient si les juifs et leurs alliés s’entêtent à continuer la politique actuelle? Personne au Proche-Orient n’est assez fort pour s’assurer une victoire qui écraserait complètement ses ennemis, ni assez faible pour se laisser réduire en esclavage perpétuel. Nous avançons inexorablement vers la guerre et la destruction de tout le Proche-Orient. Personne ne sortira indemne de cette prochaine guerre toute programmée à la manière d’une bombe à retardement. Le premier fou qui poussera sur le bouton, et il sera trop tard pour l’arrêter. Le pays de Canaan, voire les pays avoisinants, deviendront un désert inhabitable pour de nombreux siècles. Même les lézards ne pourront s’y aventurer. Les haines de part et d’autre sont telles que le sec et le vert, l’innocent et le coupable, le jeune comme le vieillard, partiront en fumée.
La solution du désespoir vers laquelle les juifs et leurs alliés sont en train de pousser les Palestiniens n’apportera la paix à personne. Il faut à notre sens sortir rapidement de l’engrenage de la guerre et abandonner le principe des stratèges romains: “Si tu veux la paix, prépare la guerre”, pour revenir au principe du Prophète Isaïe: “La paix sera le fruit de la justice” (32:17). La paix nécessite qu’on puisse retourner à la table des négociations le plus rapidement possible et ouvrir tous les dossiers, notamment le plus délicat de tous, celui des réfugiés et des 385 villages palestiniens détruits par les juifs. Sans une solution à ce dossier, jamais, jamais la région ne connaîtra la paix. Il faut que les juifs cessent de se prendre pour le “peuple élu” et acceptent les autres comme des êtres humains, un peu comme les Blancs de l’Afrique du Sud ont accepté de traiter les Noirs comme des êtres humains. Il faut mettre fin à la politique actuelle d’apartheid religieux, politique malheureusement soutenue par l’Occident, au même titre qu’on a mis fin au système d’apartheid racial en Afrique du Sud. Les juifs doivent accepter la création d’un État unitaire, regroupant les juifs, les chrétiens et les musulmans, État que nous appellerions “république cananéenne”. Ils doivent supprimer les frontières religieuses entre les trois communautés. Dans la foulée, les trois communautés doivent aussi changer le système juridique en matière de droit de famille et créer une seule loi et un seul tribunal pour tous: pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, loi permettant les mariages mixtes (afin de mélanger les sangs) et supprimant la discrimination contre les femmes. Ainsi on créera une société de gens libres. Une société ne peut pas vivre à deux ou trois vitesses. Et encore deux mesures s’imposent:
– Créer des écoles mixtes où juifs, chrétiens et musulmans étudient ensemble, les mêmes matières et les deux langues: l’arabe et l’hébreu.
– Supprimer les cimetières religieux et enterrer les gens ensemble, quelle que soit leur religion, pour qu’ils se rappellent qu’ils sont unis devant la vie comme devant la mort.
Dans un discours prononcé le 5 mai 1991 devant la Knesset, le violoniste et humaniste Yehudi Menuhin dit:
Ceux qui vivent par le glaive périront par le glaive, et terreur et peur provoquent terreur et peur. La haine et le mépris sont fatalement contagieux…. Un fait est sûrement abondamment clair, à savoir que cette façon dévastatrice de gouverner par la peur, par le mépris de la dignité fondamentale de la vie, cette asphyxie continue d’un peuple dépendant devraient être les dernières méthodes adoptées par ceux qui, eux-mêmes, en connaissent trop bien l’horrible signification, la souffrance inoubliable d’une telle existence… Cela n’est pas digne de mon grand peuple, les juifs[8].
Dans une interview, le Père Elias Chacour, originaire de Biram, un des villages détruits par les juifs, dit:
Nous sommes des citoyens de seconde zone, oui, s’il y a des zones. Je crois en fait qu’il n’y a qu’une zone en Israël, la zone de citoyenneté juive. Il y a ensuite la non-zone, la marge, où les non-juifs sont tolérés, mais ne sont pas acceptés, car les juifs ne trouvent pas la solution pour s’en débarrasser. Heureusement, il y a des juifs, très peu, – mais ils existent – qui protestent contre cette ségrégation. Et je crains que d’ici très peu de temps, si Israël ne change pas fondamentalement de politique, ne se convertit pas, c’est-à-dire ne change pas de direction politique, je crois qu’il n’y aura qu’une seule option pour survivre ici, c’est l’option militaire. Cela ne peut faire de racines ici, car la Palestine, depuis avant Abraham, depuis Melchisédech, n’a jamais accepté un conquérant qui n’essaye pas de faire de racines. Ils ne sont pas en train de faire des racines. Ils sont en train de planter la haine dans le cœur des palestiniens. Il faut que cela change, s’ils veulent vivre et survivre avec une certaine qualité de vie humaine au Proche-Orient[9].
Les auteurs de la DUDH affirment dans le préambule:
Il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.
Cette affirmation rejoint la parole du Prophète Isaïe: “La paix sera le fruit de la justice” (32:17).
Pour conclure, nous dirons que si véritablement les juifs cherchent la paix au Proche-Orient, ils doivent se conformer à ce principe de la justice au lieu de s’entêter dans leur politique contraire aux droits de l’homme. Ils doivent à cet effet permettre aux réfugiés palestiniens de revenir chez eux et traiter les Palestiniens non-juifs sur pied d’égalité, indépendamment de leur religion. Pourquoi le fait d’être chrétien ou musulman fait du Palestinien un candidat aux camps de réfugiés, aux prisons, à la torture, à la déportation ou à la mort? Pourquoi?
Le jour où le chrétien, le musulman et le juif seront considérés par les juifs comme des êtres humains égaux et traités sur pied d’égalité, ce jour-là sera le premier jour de paix au Proche-Orient. Le Proche-Orient a aujourd’hui à choisir entre la justice pour tous ou l’extermination de tous.
[1]) Christian Arab of Palestinian origin and Swiss citizenship, holding a doctorate in law from the University of Fribourg. Graduate in political sciences from the Graduate Institute of International Studies of Geneva. Head of Arab and Islamic laws in the Swiss Institute of Comparative Law in Lausanne. He has written many books and articles on Arab and Islamic law and the Middle East (www.sami-aldeeb.com).
[2] Les intéressés peuvent voir sur Internet les photos prises par un soldat juif lors de la destruction de ce village: http://www.lpj.org/Nonviolence/Sami/Album.html
[3] Voir Uehlinger: Localités palestiniennes détruites après 1948.
[4] http://jews-for-allah.org/
[5] http://www.jewsforjesus.org/
[6] http://www.jpost.com/Editions/2001/08/14/LatestNews/LatestNews.32587.html
[7] Jörg Shimon Schuldhess, Flugblatt, 16 octobre 1986.
[8] Les médias israéliens ont passé complètement sous silence ce discours. Seul le journal palestinien Al-Fajr a transgressé la règle occulte du silence en le publiant le 20.5.1991. Nous le citons ici d’après la revue Une Terre deux peuples, juin 1991, p. 2-3.
[9] Interview accordée à l’Agence de Presse Internationale Catholique, mai 1988.
Comments are closed.