Sami Aldeeb: le droit musulman permet l’inhumation par immersion en cas de nécessité

J’ai été appelé deux fois par des journalistes pour connaître la position du droit musulman concernant l’immersion de Oussama Ben Laden. La première fois par une journaliste du Figaro qui m’a cité comme suit dans son article:

Les spécialistes des rites musulmans sont toutefois sceptiques. «Les musulmans enterrent leurs morts dans la terre. La seule exception pour laquelle l’inhumation en mer est autorisée, c’est quand on se trouve sur un bateau et qu’il est impossible de conserver le cadavre jusqu’à la prochaine escale», explique au Figaro.fr Sami Aldeeb, universitaire spécialiste du droit musulman.

La deuxième fois, j’ai été appelé par un journaliste d’Europe 1 auquel j’ai donné des explications très détaillées qui n’étaient pas à son goût. Il a préféré publier un point de vue contraire, ce qui est absolument son droit. Voilà ce que j’ai dit au journaliste d’Europe 1 si ma mémoire ne me trahit pas:

Le journaliste: Pensez-vous que l’immersion de Ben Laden par les Américains est conforme au droit musulman.

Sami Aldeeb: Le droit musulman prévoit comme règle l’inhumation dans la terre. Mais les juristes musulmans permettent l’immersion en cas de nécessité si quelqu’un meurt dans un bateau et qu’il est impossible de conserver le cadavre jusqu’à la prochaine escale. Cette exception s’explique par l’obligation d’enterrer le mort rapidement et par l’impossibilité de garder un cadavre sans les moyens modernes de conservation. Aujourd’hui en effet on peut garder un corps grâce aux congélateurs mortuaires.

Le Journaliste: Est-ce que ces conditions sont réunies dans le cas de Ben Laden?

Sami Aldeeb: Il faut examiner la question à la lumière des normes musulmanes relatives à la nécessité invoquée par les juristes musulmans dans le cas du cadavre sur un bateau.

Pour comprendre cette règle de la nécessité, je vous donne l’exemple suivant. Le Coran interdit de manger du porc ou de boire du vin. Mais si une personne est dans l’impossibilité de trouver une autre nourriture que le porc et le vin, cette personne a le droit, voire le devoir d’en consommer pour sauvegarder sa vie.

Dans le cas d’espèce, les Américains se retrouvent avec un cadavre encombrant sur les bras. Que faire avec ce cadavre?

– Il est certain qu’ils ne peuvent pas le remettre à sa famille en Arabie saoudite qui lui a retiré la nationalité.

– Le remettre au Pakistan poserait à ce pays d’innombrables problèmes.

– Si on le proposait à la Genève internationale, cela m’étonnerait fort que les responsables de cette ville l’accepteraient.

On peut donc dire que les États-Unis se trouvaient dans une situation de nécessité, comme le cas du mort sur un bateau. Face à l’impossibilité de disposer autrement du cadavre d’Oussama Ben Laden, les États-Unis ont décidé de le jeter à la mer, d’après les informations qui circulent et qu’il faudrait vérifier. Si cela est vérifié, les États-Unis peuvent se prévaloir de la règle de nécessité prévue par le droit musulman, et ils n’ont rien à se reprocher.

Le Journaliste: Qui peut juger si on se trouve dans un cas de nécessité permettant l’immersion?

Sami Aldeeb: C’est forcément celui qui se trouve dans cette situation qui peut en juger. Quelqu’un a faim et a soif et doit choisir entre mourir de faim et de soif ou manger du porc et boire du vin. Ce n’est pas à vous de décider s’il peut faire usage de la règle de nécessité.  Dans le cas d’espèce, ce sont les États-Unis qui doivent décider.

Le Journaliste: Cela ne vous choque pas que les États-Unis aient jeté le corps de Ben Laden à la mer?

Sami Aldeeb: Si un musulman voit un autre musulman manger du porc et boire du vin, il est aussi choqué. Il faut donc lui expliquer qu’on se trouve devant une situation de nécessité prévue par le droit musulman. Si vous jetez les cadavres de vos parents à la mer, tout le monde serait choqué. Mais si vous expliquez que vous étiez dans une situation de nécessité, on ne peut rien vous reprocher.

Le journaliste: Mais Monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, dit que l’immersion est contraire au droit musulman et il désapprouve le geste des États-Unis.

Sami Aldeeb: Monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, n’est pas un juriste, mais un médecin. Il est membre du Conseil de l’Ordre des médecins de Paris depuis 1977. Il n’a jamais étudié le droit musulman. Son avis est donc sans valeur sur le plan du droit musulman. C’est comme si vous demandiez à un cordonnier de vous réparer un ordinateur. Et je suis certain que si vous proposiez le cadavre de Ben Laden à Dalil Boubakeur, il se trouverait dans ses petits souliers. Il serait terriblement gêné avec ce cadeau empoisonné. Posez-lui la question s’il accepterait le cadavre de Ben Laden, et vous verrez ce qu’il vous répondra. Il ne faut pas sombrer dans le sentimentalisme, mais raisonner à partir de situations concrètes auxquelles il faut trouver une solution. Cela pourrait vous sembler choquant, mais être choqué n’est pas un argument juridique.

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