I. Documents internationaux
L’article 16 de la Déclaration universelle dit:
À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
Lors du vote sur la Déclaration universelle, le représentant de l’Égypte dit:
En Égypte, comme dans presque tous les pays musulmans, certaines restrictions et limitations existent en ce qui concerne le mariage de femmes musulmanes avec des personnes d’une autre religion. Ces limitations sont de nature religieuse et puisqu’elles sont inspirées par l’esprit même de la religion musulmane, on ne saurait ne pas en tenir compte. Toutefois, elles ne blessent pas la conscience universelle comme le font, par exemple, les restrictions visant la nationalité, la race ou la couleur qui existent dans certains pays et qui non seulement sont condamnées en Égypte, mais y sont inconnues en pratique[1].
D’autres pays arabes et musulmans ont réagi dans le même sens. Pour les satisfaire, l’article 23 du Pacte civil a supprimé le passage sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion de l’article 16 susmentionné.
Il n’est pas fait expressément mention du droit au mariage dans la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction. L’article 2 cependant dit à son chiffre 2:
Aux fins de la présente Déclaration, par les termes “intolérance et discrimination fondées sur la religion ou la conviction”, il faut entendre toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondées sur la religion ou conviction et ayant pour effet de supprimer ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur une base d’égalité.
II. Droit musulman classique
Tant les juifs que les chrétiens connaissent des normes discriminatoires en matière de mariage. La Bible interdit le mariage mixte entre juifs et non-juifs[2]. On y lit:
Lorsque Yahvé ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, des nations nombreuses tomberont devant toi… Yahvé ton Dieu te les livrera et tu les battras, tu les dévoueras par anathème. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, ni ne prendras leur fille pour ton fils. Car ton fils serait détourné de me suivre; il servirait d’autres dieux; et la colère de Yahvé s’enflammerait contre vous et il t’exterminerait promptement (Deutéronome 7:1-4).
Mais c’est dans les chapitres 9 et 10 du Livre d’Esdras qu’on trouve les normes les plus sévères contre les mariages mixtes qui ont pour résultat que “la race sainte” se mêle “aux peuples des pays”. Ceci est considéré comme une “infidélité” à Dieu (9:2). Ces normes auraient servi de modèle aux lois raciales promulguées par les nazis en 1935 visant à empêcher le mélange entre sang juif et sang allemand[3]. Étant conformes aux normes bibliques en la matière, les juifs allemands, notamment les sionistes, n’y étaient pas opposés[4].
Les normes bibliques ont été formulées dans un projet de loi présenté à la Knesset israélienne en septembre 1984 par le Rabbin Meïr Kahane. Michael Eitan, député conservateur, a établi et diffusé à la Knesset une comparaison de textes entre ce projet et les lois raciales nazies de 1935:
– Il est interdit aux citoyens et résidants juifs, hommes et femmes, d’épouser des non-juifs, en Israël ou à l’étranger. De tels mariages mixtes ne sont pas reconnus devant la loi.
– Il y aura séparation absolue entre les établissements d’instruction juifs et non-juifs.
– Des relations sexuelles, complètes ou partielles, sont interdites entre citoyens juifs, hommes et femmes, et des non-juifs. Ceci comprend les relations hors mariage. Les violations seront sanctionnées de 2 ans d’emprisonnement.
– Un non-juif qui a des relations sexuelles avec une prostituée juive ou avec un mâle juif est passible de 5 ans d’emprisonnement. Une prostituée juive ou un mâle juif qui a des relations avec un homme non-juif est également passible de 5 ans d’emprisonnement[5].
Indépendamment de ce projet, il est toujours interdit en Israël de conclure des mariages mixtes entre juifs et non-juifs. Pour le faire, il faut aller à l’étranger.
La base du problème chez les musulmans se trouve dans le Coran qui règle la question principalement en trois passages:
N’épousez pas de femmes polythéistes, avant qu’elles croient. Une esclave croyante vaut mieux qu’une femme libre et polythéiste, même si celle-ci vous plaît. Ne mariez pas vos filles à des polythéistes avant qu’ils croient. Un esclave croyant vaut mieux qu’un homme libre et polythéiste, même si celui-ci vous plaît. Voilà ceux qui vous appellent au feu; Dieu vous appelle, avec sa permission, au paradis et au pardon (2:221).
O vous qui croyez! Lorsque des croyantes qui ont émigré, viennent à vous, éprouvez-les. – Dieu connaît parfaitement leur foi – Si vous les considérez comme des croyantes, ne les renvoyez pas vers les incrédules; elles ne sont plus licites pour eux; ils ne sont plus licites pour elles (60:10).
Aujourd’hui, les bonnes choses vous sont permises. La nourriture de ceux auxquels le Livre a été donné vous est permise, et votre nourriture leur est permise. L’union avec les femmes croyantes et de bonne condition, avec les femmes de bonne condition faisant partie du peuple auquel le Livre a été donné avant vous, vous est permise (5:5).
De ces trois passages coraniques, les légistes musulmans ont déduit un ensemble de normes qui sont maintenues encore aujourd’hui dans les pays arabes et musulmans. C’est ce qu’on verra dans le point suivant pour éviter les répétitions. En effet, ce domaine reste principalement régi par le droit musulman classique.
III. Situation actuelle
1. Mariage du musulman avec une monothéiste ou idolâtre
Les écoles sunnites, contrairement aux shiites, admettent que le musulman épouse une femme adepte d’une religion monothéiste ayant un livre sacré reconnu par le Coran; par contre, le mariage avec une idolâtre n’est permis ni chez les sunnites ni chez les shiites.
Il n’existe pas en Égypte de loi positive en cette matière. L’école hanafite comble cette lacune en vertu de l’article 280 du décret-loi 78/1931. Les tribunaux égyptiens se réfèrent au code officieux de Qadri qui compile les enseignements de cette école[6].
L’article 120, alinéa premier de ce code dit: “Le mariage d’un musulman est permis avec des chrétiennes et des juives, sujettes de l’État ou étrangères”.
L’article 33 du code de famille jordanien dit que le mariage d’un musulman avec une femme non monothéiste est nul. Mahmud Al-Sartawi, professeur à l’université jordanienne à Amman, dit que le musulman ne peut épouser une femme polythéiste, communiste, bouddhiste ou païenne du fait que celles-ci n’ont pas de livres sacrés reconnus[7]. Cette même interdiction se trouve à l’article 18 du code de famille kuwaitien.
Si cependant le mariage entre un musulman et une femme monothéiste est permis chez les sunnites, ce mariage reste blâmable, notamment si elle est étrangère[8]. Ghazali écrit même qu’on ne peut pas qualifier les chrétiens et les juifs d’Europe et d’Amérique de gens du Livre puisque la Bible et l’Évangile ont perdu tout pouvoir sur eux. La religion chez eux se limite à un congé dominical, une fête de Noël, une colère contre l’Islam et des insultes contre Mahomet. Jadis, le musulman était autorisé à épouser une femme des gens du Livre parce qu’il pouvait tenir sa maison et éduquer ses enfants selon les enseignements de Dieu. Mais aujourd’hui cela n’est plus possible dans une société où le vin coule à flot et le sexe est sans frein[9].
Quant à la différence faite entre une femme monothéiste et une femme non monothéiste, Abu-Zahrah dit que les principes moraux de la femme non monothéiste diffèrent de ceux du musulman. Par conséquent: ou bien elle attire le musulman vers sa religion et corrompt ses descendants; ou bien il n’y a pas d’entente possible entre les deux. Par contre, la monothéiste ne diffère pas du musulman sur le plan des vertus sociales, puisque toutes les religions révélées ont une source commune, ce qui permet une vie commune sans qu’elle puisse l’attirer, bien qu’il soit préférable que le musulman ne se marie qu’avec une musulmane[10]. Un autre auteur ajoute que le mariage avec une monothéiste peut permettre la conversion de celle-ci à l’Islam. La polythéiste, par contre, ferme ses oreilles à l’appel de l’Islam et détourne sa pensée de ses enseignements; “son cœur est endurci, son cerveau pétrifié, tout espoir est exclu, et elle est incapable de fidélité”[11].
2. Mariage de la musulmane avec un non-musulman
Contrairement au cas précédent, les légistes musulmans interdisent à l’unanimité qu’une musulmane épouse un non-musulman. La femme musulmane reste la chasse gardée du musulman. Ils se basent sur les deux versets coraniques susmentionnés (2:221 et 60:10) ainsi que sur un passage tronqué du Coran: “Dieu ne permettra pas aux incrédules de l’emporter sur les croyants” (4:141). Mahomet aurait dit dans le même sens: “L’Islam domine et ne saurait être dominé”. Cette norme se retrouve dans les lois actuelles. L’article 122 du code officieux de Qadri dit: “La femme musulmane ne s’unit qu’à un musulman; elle ne peut se marier ni avec un idolâtre, ni avec un chrétien, ni avec un juif; l’acte qu’elle contracterait avec l’un d’eux serait frappé de nullité radicale”.
Le code de famille jordanien précise que le mariage d’une musulmane avec un non-musulman est nul (art. 33). Il en est de même des codes de famille kuwaitien (art. 18) et algérien (art. 31).
Dans un mémorandum du gouvernement saoudien relatif au dogme des droits de l’homme dans l’Islam adressé aux organisations internationales intéressées, on lit ce qui suit:
Le mariage d’un non-musulman, chrétien ou juif, par exemple, avec une musulmane: ce mariage est interdit par l’Islam. L’interdiction est motivée par le fait que le chrétien et le juif ne croient pas à la sainteté de Mahomet …., et qu’au cours des siècles passés et jusqu’à nos jours les opinions les plus tendancieuses ont été propagées au sujet du message islamique. Il en résultera, par la force des choses, que l’épouse musulmane sera portée à prendre en répulsion son mari, ce qui mettra en danger l’avenir de la famille.
Quant au cas contraire, il est dit:
Le mariage d’un musulman avec une femme chrétienne ou juive: ce mariage est autorisé par la religion musulmane. Car cette religion vénère le Seigneur Jésus, en sa qualité d’envoyé de Dieu…. De même l’Islam vénère Moïse, le considère comme envoyé de Dieu aux enfants d’Israël. Ainsi, l’épouse chrétienne ou juive qui désire garder sa religion ne trouvera rien qui soit de nature à l’éloigner de son mari musulman ou bien à exposer la famille aux dangers des brouilles et de la dissolution.
Enfin, en ce qui concerne l’interdiction du mariage d’un musulman avec une femme païenne ou bien une femme qui ne croit pas en Dieu, il est dit:
Ce mariage est proscrit par l’Islam. Car les convictions de l’époux musulman resteront à jamais en ce cas incompatibles avec celles de l’épouse. Il en résultera pour la famille dangers de disputes ou de désagrégation. Pour l’Islam “le divorce est ce que Dieu déteste le plus parmi les choses licites” [récit de Mahomet]. L’Islam ne saurait donc en aucune façon y encourager, et c’est la raison substantielle pour laquelle il interdit le mariage dans des situations similaires. Un tel mariage, s’il avait en effet lieu, dégénérerait inévitablement en contestation et aboutirait à une rupture[12].
Le 21.4.1957, le tribunal de première instance d’Alexandrie donna la motivation suivante:
Le mari mène la femme au lit [sic]; il ne peut donc être inférieur en croyance. La musulmane croit en ce que croit le monothéiste non-musulman (al-kitabi) et croit à des choses auxquelles il ne croit pas. Elle reconnaît notre Seigneur Mahomet, alors que lui, il ne reconnaît que le Messie qu’il suit. Dieu a dit: “Ne mariez pas vos filles à des polythéistes avant qu’ils croient” (2:221). L’envoyé de Dieu [Mahomet] a dit: “L’Islam domine et ne saurait être dominé”. La doctrine musulmane en a déduit unanimement que la musulmane est illicite pour le mécréant (kafir). Aussi il faut séparer les deux conjoints; le non-musulman est châtié s’il l’a pénétrée (sic) alors que la femme [musulmane] sera excusée. S’il se convertit à l’Islam après le mariage, on ne maintient pas ce mariage parce qu’il est nul à titre originaire et la conversion ne le rend pas valide[13].
Badran, professeur de droit à l’Universités d’Alexandrie et à l’Université arabe de Beyrouth, préconise la peine de mort contre le non-musulman qui épouse une musulmane. Car c’est le moyen le plus efficace “pour que le mécréant (kafir) n’en ait même pas l’idée à l’esprit, et partant qu’il n’ose pas faire cet acte qui attente à l’honneur de l’Islam et des musulmans”[14].
Dans la rubrique des questions des lecteurs, la revue Al-Hidayah, publiée par le Ministère de la Justice et des affaires islamiques du Bahrain, écrit:
Question: Quelle est la norme applicable à un non-musulman qui commet l’adultère avec une musulmane?
Réponse: Celui qui commet l’adultère ou a des rapports sexuels avec une femme musulmane en vertu d’un contrat de mariage viole le traité de paix [entre lui et les musulmans] (naqada al-‘ahd); il est licite de verser son sang; ses biens reviennent aux musulmans; il doit être tué même s’il devient musulman[15].
Cette manière de voir ne se limite pas à l’intérieur des pays musulmans. Lorsqu’une femme musulmane épouse un chrétien à l’étranger, sa famille exerce toute sorte de pression pour l’en dissuader. Cela peut aller jusqu’au kidnapping de la fille. Plusieurs cas concrets ont eu effectivement lieu en Occident.
3. Mariage des apostats
On a vu que celui qui abjure l’Islam et devient apostat est puni en droit musulman classique de la peine de mort. Même si cette peine est rarement appliquée de nos jours, on continue à considérer l’apostat comme mort. Il ne peut de ce fait se marier; si l’apostasie a lieu après la conclusion du mariage, elle entraîne sa dissolution.
Les législations arabes ne font pas toujours mention de ces normes. Ce qui ne signifie pas qu’elles sont tombées en désuétude. Ces législations renvoient au droit musulman pour les questions qui n’y sont pas réglées. C’est le cas de l’Égypte où les tribunaux se réfèrent au code officieux de Qadri Pacha qui dit: “L’apostasie de l’un des deux époux musulmans entraîne immédiatement la dissolution du mariage et la séparation sans besoin d’une décision judiciaire” (art. 303 al. 1)[16].
Dans ce pays, les tribunaux accordent une action populaire pour attaquer le mariage de l’apostat ou de l’apostate[17]. Une fatwa du cheikh de l’Azhar dit que le musulman qui devient communiste est à considérer comme apostat. De ce fait, son mariage est illicite. Il cite à cet effet le verset 2:221[18]. Une autre fatwa dit que le mariage des musulmans qui se convertissent à la religion bahaïe est illicite[19]. En avril 1993, un avocat islamiste, au nom de l’intérêt de la société, a intenté un procès pour réclamer l’annulation de l’union des deux époux: Nasr Hamid Abu-Zayd, professeur associé d’arabe à l’université du Caire, et Ibtihal Younès, professeur de français de la même université, malgré eux. Ceux-ci sont estimés en état d’adultère, dans la mesure où un apostat ne peut se lier à une musulmane. Ce procès a été renvoyé à novembre 1993. Le plaignant – et avec lui nombre de chefs religieux tel le Cheikh Ghazali – reprochent au Professeur Abu-Zayd d’avoir, dans son enseignement, tenté d’analyser le Coran, d’appliquer une méthodologie rationnelle à ce qui est considéré comme la parole de Dieu[20].
Le code de statut personnel marocain, non plus, ne dit rien de l’apostasie. Fadéla Sebti Lahrichi écrit sous apostasie: “C’est le fait de renier publiquement sa religion. Cet acte … est gravement sanctionné au Maroc puisqu’il entraîne la mort civile de l’apostat: l’apostat est considéré comme mort aux yeux de la loi. S’il était marié, son mariage est dissous et la succession est ouverte dans tous les cas”[21].
Il en est de même du code de famille jordanien. Les lacunes sont comblées, selon l’article 183, par les normes de l’école hanafite. L’article 52 de ce code cependant précise: “Le douaire [montant dû à la femme] tombe si la dissolution du mariage a lieu à cause d’elle, comme c’est le cas de son apostasie, son refus de devenir musulmane si elle est non scripturaire en cas de conversion de son mari à cette religion … Si elle avait reçu une partie de ce douaire, elle doit la restituer”.
La Tunisie ne fait aucune mention de cette question. Mais la loi dit que “les deux futurs époux ne doivent pas se trouver dans l’un des cas d’empêchement prévus par la loi”. Le texte arabe dit “prévus par la shari‘ah” (art. 5). Une ordonnance du Ministère de l’intérieur du 17 mars 1962 interdit aux offices de l’état civil de célébrer le mariage d’une musulmane avec un non-musulman.
Le Kuwait offre les dispositions les plus développées dans ce domaine:
Art. 18 – N’est pas conclu le mariage:
1) de la musulmane avec un non-musulman;
2) d’un musulman avec une non-scripturaire;
3) de l’apostat ou de l’apostate qui quitte l’Islam, même si l’autre conjoint est non-musulman.
Art. 143 – A) Lorsque les deux époux non-musulmans se convertissent simultanément à l’Islam: leur mariage est maintenu.
- B) Lorsque le mari se convertit à l’Islam et que sa femme est monothéiste: le mariage est maintenu. Si par contre la femme est non-monothéiste, elle est invitée à devenir musulmane. Au cas où elle se convertit à l’Islam ou à une religion monothéiste, le mariage est maintenu; si elle refuse, le mariage est dissous.
- C) Lorsque la femme devient musulmane: son mari est invité à devenir musulman s’il est capable de le devenir. Au cas où il se convertit à l’Islam, le mariage est maintenu; s’il refuse, le mariage est dissous. Lorsque le mari est incapable, le mariage est dissous immédiatement, si la conversion de la femme à l’Islam a lieu avant la consommation du mariage. Au cas où sa conversion a lieu après la consommation, le mariage est dissous après la fin de la retraite.
Art. 144 – A) Pour le maintien du mariage dans les cas précédents, il faut qu’il n’y ait pas entre les époux une cause d’interdiction prévue par la présente loi.
- B) Dans tous les cas, il n’est pas permis de rechercher la bonne foi de celui qui se convertit à l’Islam, ni les motivations de sa conversion.
Art. 145 – A) Si le mari apostasie, le mariage est dissous. Mais s’il apostasie après la consommation du mariage et qu’il revient à l’Islam pendant la retraite de la femme, la dissolution est annulée et la vie conjugale est rétablie.
- B) Si la femme apostasie, le mariage n’est pas dissous.
La disposition finale de cet article est originale. Le mémoire dit concernant cette disposition:
Des plaintes ont démontré que le diable embellit à la femme musulmane la voie de l’apostasie afin de rompre un lien conjugal qui ne lui plaît pas. De ce fait, il fut décidé que l’apostasie ne conduit pas à la dissolution du mariage afin de fermer cette porte dangereuse, que la femme ait apostasié par ruse ou non[22].
Début juin 1992, une femme musulmane demandait conseil au mufti de la radio soudanaise à propos de son mari qui refusait d’accomplir ses cinq prières quotidiennes. Réponse du mufti à la radio: Votre mari, en ne faisant pas ses prières, nie un élément nécessaire de la religion, à savoir le devoir de faire ses prières. Il n’est donc plus musulman. Par conséquent, vous n’avez pas le droit de continuer à vivre avec lui; lui non plus, il ne peut pas continuer à vivre avec vous puisque l’Islam interdit le mariage d’une femme musulmane avec un mécréant. Vous devez donc vous adresser au juge et demander la dissolution du mariage.
4. Mariage des adeptes des religions non reconnues
Comme le mariage dans les pays arabes reste religieux, le mariage des adeptes des religions non reconnues pose un problème de lacune législative. En fait, les lois ne parlent que de mariages mixtes entre des non monothéistes et des adeptes de religions monothéistes. Qu’en est-il lorsque les deux conjoints adhèrent tous deux à une religion inconnue ? Ceci s’est posé en ce qui concerne le mariage des bahaïs en Égypte. Le tribunal sommaire d’Erromal (en Égypte) dit en 1958:
La religion bahaïe n’est pas une religion reconnue. Partant le mariage des bahaïs est nul selon la loi musulmane, parce que la conclusion du mariage exige que les deux conjoints appartiennent à des religions reconnues… Les bahaïs en Égypte n’ont pas d’entité légale; l’État ne reconnaît pas leur mariage et le considère comme nul étant contraire à l’ordre public; les rapports conjugaux des bahaïs sont des rapports illégaux[23].
En fait, les Bahaïs sont considérés comme apostats au cas où ils sont convertis de l’Islam. Leur mariage est dans ce cas illégal puisque l’apostat selon le droit musulman ne peut se marier. Dans le cas présent, il semble qu’il s’agit de Bahaïs de naissance ou de convertis à cette religion à partir du Christianisme ou du Judaïsme.
5. Mariage des convertis à l’Islam
Au cas où le mari se convertit à l’Islam et que la femme reste chrétienne ou juive, le mariage est maintenu du fait que l’Islam autorise un tel mariage. Il en est de même si les deux conjoints deviennent musulmans.
Si, par contre, c’est la femme qui devient musulmane et que son mari chrétien ou juif refuse de se convertir à son tour, le mariage est dissous, l’Islam n’autorisant pas que la musulmane épouse un non-musulman. L’article 143 du code de famille kuwaitien est clair à ce sujet:
- A) Lorsque les deux époux non-musulmans se convertissent à l’Islam, leur mariage est maintenu.
- B) Lorsque le mari se convertit à l’Islam et que la femme est monothéiste (kitabiyyah), le mariage est maintenu. Si par contre la femme est non monothéiste, elle est invitée à devenir musulmane. Au cas où elle se convertit à l’Islam ou à une religion monothéiste, le mariage est maintenu; si elle refuse, le mariage est dissous.
- C) Lorsque la femme devient musulmane, son mari est invité à devenir musulman s’il est capable de le devenir. Au cas où il se convertit à l’Islam, le mariage est maintenu; s’il refuse, le mariage est dissous. Lorsque le mari est incapable, le mariage est dissous immédiatement, si la conversion de la femme à l’Islam a lieu avant la consommation du mariage. Au cas où sa conversion a lieu après la consommation, le mariage est dissous après la fin de la retraite.
Ces conversions à l’Islam sont monnaie courante dans les pays arabes. À part les intérêts matériels, le mari qui se convertit à l’Islam cherche par-là à user de la possibilité de répudier sa femme lorsque sa religion n’autorise pas le divorce. Le même but est recherché par la femme qui se convertit à l’Islam, mais avec moins d’efficacité. En fait, il suffit que le mari se convertisse à son tour à l’Islam, pour que ses plans soient déjoués, l’Islam maintenant dans ce cas le mariage. Relevons ici que la conversion à l’Islam n’est soumise à aucun examen d’intention[24]. Le code de famille kuwaitien (art. 144.B) le dit expressément:
Dans tous les cas, il n’est pas permis de rechercher la bonne foi de celui qui se convertit à l’Islam, ni les motivations de sa conversion.
IV. Perspectives d’avenir
1. Doctrine musulmane
Étant basées sur le Coran et la Sunnah, les normes discriminatoires islamiques en matière de mariage mixte sont très rarement mises en question. Il serait intéressant ici de citer la position particulière de Muhammad Ahmad Khalaf-Allah.
Ce penseur égyptien propose des réformes juridiques et sociales dont le point de départ est le Coran pour trois raisons:
– C’est le Coran qui a appelé au changement révolutionnaire grandiose effectué du temps de Mahomet.
– Seul le Coran peut prétendre contenir des normes valables en tout temps et en tout lieu, car Dieu, son auteur, était en mesure de prévoir l’avenir et d’apprécier ses besoins.
– Le Coran constitue la source première du droit; la Sunnah se borne à l’expliciter[25].
Cette théorie de Khalaf-Allah le conduit à négliger presque entièrement la Sunnah dans ses analyses. Libéré de cette source, il essaie d’interpréter le Coran d’une manière originale. Pour lui, le Coran n’a tracé que les lignes principales qui protègent l’homme de l’erreur et dirigent ses pas sur la voie de la vérité, de la justice et de l’intérêt public. Les points de détail et tout ce qui est influencé par l’élément temps et l’élément espace sont laissés à l’homme[26]. Cette pensée m’a été résumée lors d’une rencontre au Caire le 25.8.1977:
Il faut chercher à limiter au maximum la portée des éléments normatifs de l’Islam. Il faut s’assurer qu’une question donnée est véritablement réglée par le Coran; et dans ce cas que le texte coranique ne peut se rattacher à son propre contexte historique. Je ne condamne pas le Coran avec nos normes plus évoluées, mais je ne place non plus le Coran en dehors de son contexte historique.
On retrouve cette conception dans son analyse du mariage mixte. Le Coran a réglementé:
– les relations conjugales entre musulmans;
– les relations conjugales entre musulmans et polythéistes;
– les relations conjugales entre musulmans et gens du Livre (chrétiens et juifs).
Il n’a, par contre, pas réglementé:
– les relations conjugales entre musulmans et sabéens ou zoroastriens;
– les relations entre polythéistes et gens du Livre, sabéens ou zoroastriens;
– les relations entre gens du Livre et sabéens ou zoroastriens.
Contrairement aux auteurs classiques, ce penseur s’en tient aux termes mêmes du Coran. Entre musulmans, le Coran a interdit le mariage pour liens de sang. Il a permis le mariage entre un musulman et une femme du Livre; par contre, il n’a pas réglementé le mariage d’une musulmane avec un homme du Livre. Le mariage entre musulmans et polythéistes a été interdit.
En cas de silence du texte, la décision revient à l’homme qui doit recourir au principe islamique suivant: Tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis. Il n’est pas possible de recourir au raisonnement par analogie ou à l’interprétation pour élargir la liste des interdits. L’homme doit, au contraire, recourir dans ce cas au principe de l’intérêt général de la société qui exige le renforcement des liens sociaux par des mariages mixtes pour permettre à cette société de remplir sa mission.
Quant au terme polythéiste, il ne vise pas, selon l’auteur, ceux qui ne sont ni musulmans, ni chrétiens, ni juifs, ni sabéens, ni zoroastriens. La doctrine est unanime pour dire qu’il vise les païens de l’Arabie, demeure de l’Islam; en revanche, elle n’est pas unanime en ce qui concerne les païens des autres régions du monde. Le Coran, par ailleurs, affirme que chaque nation a son propre prophète et l’Islam n’a pas mentionné toutes les religions pratiquées dans le monde. Les conclusions de Khalaf-Allah sont les suivantes:
- Les adeptes des groupes musulmans doivent s’élever au niveau de l’homme en tant qu’être humain et cesser d’adopter des positions fanatiques. Ils doivent permettre les mariages mixtes afin d’écarter les tensions qui existent entre eux et de renforcer les liens sociaux. Telle doit être aussi l’attitude des groupes des autres religions (catholiques, protestants, etc.).
- Les individus doivent remplacer le lien religieux par le lien national, et se placer sur le plan de l’appartenance à l’humanité.
- La seule interdiction établie par le Coran est celle de se marier avec les polythéistes, ce terme se limitant aux seuls polythéistes de l’Arabie qui ont cessé d’exister[27].
On trouve une analyse presque similaire chez le cheikh ‘Abd-Allah Al-‘Alayli qui considère l’interdiction du mariage mixte entre une musulmane et un chrétien comme un obstacle à la fraternité nationale[28]. Mais ces opinions restent marginales et ne s’attaquent pas aux autres interdictions en matière de mariage mixte étudiées plus haut.
2. Projet de code de famille arabe unifié
Le projet de code de famille arabe unifié de la Ligue arabe reprend la doctrine classique en matière de mariage mixte. Il nomme parmi les empêchements temporaires le mariage avec une femme non-musulmane à l’exception des juives et des chrétiennes, et le mariage d’une musulmane avec un non-musulman (art. 30). Rien n’est dit de l’apostasie mais le mémorandum précise:
L’apostate qui quitte l’Islam est considérée comme sans religion, même si celle-ci quitte l’Islam pour une religion scripturaire. Le mariage d’un musulman avec une apostate, de même que le mariage d’une musulmane avec un apostat, est invalide, parce que l’apostasie est un délit puni pour l’homme par la mort et pour la femme par la prison. L’apostat est considéré comme mort, selon les livres de Fiqh et la loi dérivée de la Shari‘ah islamique[29].
L’article 120 dit que le mariage est dissous s’il a été conclu malgré l’existence d’un empêchement ou si un empêchement survient après sa conclusion. Ce qui en fait renvoie à l’article 30 susmentionné. L’apostasie ultérieure au mariage constitue donc une raison de dissolution du mariage.
3. Modèles constitutionnels et déclarations
A. Modèles constitutionnels et déclarations islamiques
Les modèles constitutionnels islamiques ne sont pas toujours clairs dans ce domaine. Ainsi le modèle des Frères musulmans n’en dit pas mot. Le modèle de Wasfi se satisfait d’affirmer que “l’État garantit aux individus toutes les libertés autorisées par la loi islamique” (art. 16).
Le modèle de Garishah garantit le droit au mariage (art. 11) et considère le mariage comme un droit (art. 37), évidemment dans les limites du droit musulman que la société est tenue d’appliquer (art. 34). Dans le même sens, le Modèle de l’Azhar dit que l’État encourage le mariage (art. 8). Il ajoute: “Les droits sont exercés en conformité avec les objectifs de la loi islamique” (art. 43).
Plus explicite, le Modèle du Parti de libération dit que l’État “tranche les questions du mariage et du divorce entre les non-musulmans selon leurs religions, et celles entre ces derniers et les musulmans selon les normes islamiques” (art. 6.e).
Pour le modèle du Conseil islamique, “le mariage, dans son cadre islamique, est un droit reconnu à tout musulman. C’est la voie reconnue légitime par la loi divine pour fonder une famille” (art. 13.a). Même disposition dans la 2ème déclaration de ce Conseil (annexe 5b, art. 19.a).
La 1ère Déclaration de l’OCI exclut les restrictions basées “sur la race, la couleur ou la nationalité”, mais ne parle pas de la religion. Elle ajoute que “la foi en Dieu est une condition requise (chez la partenaire) pour le mariage du musulman et que l’unité de religion (avec le partenaire) est la condition requise pour le mariage de la musulmane” (art. 9). La 2ème Déclaration de l’OCI se satisfait d’exclure les restrictions basées sur la race, la couleur ou la nationalité”, en éludant la mention de la religion (art. 3). Il en est de même de la 3ème Déclaration (art. 5).
B. Déclarations arabes
La Charte de la Ligue arabe ne dit rien du mariage. La Charte des juristes arabes affirme que “tout individu a le droit de fonder une famille” (art. 14) et l’article 62 exclut toute discrimination basée sur la religion. Ce qui permet formellement d’écarter les restrictions islamiques susmentionnées. Mais ceci est très peu probable. Même remarque pour la Charte tunisienne dont l’article 8 dit: “l’homme et la femme, à leur majorité légale, ont le droit de choisir librement leur conjoint et de fonder une famille en fonction de leurs seules convictions personnelles et de leur conscience”.
Le problème qui nous concerne n’est pas abordé ni par la charte libyenne ni par la charte marocaine.
[1]AG, 3ème session, séance plénière 180, p. 912.
[2]Sur les normes juives en matière de mariage mixte, voir Maïmonide: Le livre des commandements, pp. 228-229.
[3]Voir la déclaration du criminel de guerre Julius Streicher au procès de Nuremberg le 26.4.1946 dans Der Prozess gegen die Hauptkriegsverbrecher, vol. 12, p. 343.
[4]Voir à ce sujet l’interview de Karesky, ancien chef de la communauté juive de Berlin, Jewish Chronicle (Londres), 3 janvier 1936, p. 16 (Garaudy: Palestine, terre des messages divins, p. 216) et le Mémorandum adressé par la Fédération sioniste d’Allemagne au parti nazi le 21 juin 1933 (Dawidovicz: A Holocaust Reader, pp. 150-155).
[5]La Liberté, 31.10/1.11.1985; MEI, 22.11.1985, p. 15. Voir aussi Mergui & Simonnot: Meir Kahane, p. 76; Aldeeb Abu-Sahlieh: Discriminations, p. 31.
[6]Traduction française dans Codes égyptiens et lois usuelles en vigueur en Égypte, 51ème éd., Le Caire 1939, pp. 663-779.
[7]Sartari: Sharh qanun, p. 93.
[8]Voir, p. ex., Sanhuri: Al-usrah fil-tashri‘ al-islami, pp. 29-34 (ouvrage enseigné à la onzième année scolaire); Gabri: Garimat al-zawag; ‘Aqlah: Nizam al-usrah, vol. I., pp. 237-243.
[9]Ghazali: Qadaya al-mar’ah, pp. 203-204.
[10]Abu-Zahrah: Al-ahwal al-shakhsiyyah, pp. 113-114.
[11]Badran: Al-‘ilaqat al-igtima‘iyyah, pp. 66-77.
[12]Colloques sur le dogme musulman, pp. 55-56.
[13]Hanafi: Al-marga‘, vol. 2, pp. 89-90.
[14]Badran: Al-‘ilaqat al-igtima‘iyyah, p. 88.
[15]Al-Hidayah (Bahrain), no 190, juin 1993, p. 94.
[16]Ce code traite de l’apostasie dans les art. 31-32, 120-130 et 303-309.
[17]Aldeeb Abu-Sahlieh: L’impact de la religion, pp. 285-286.
[18]Fatwa publiée par Al-I‘tissam, avril 1977, p. 31.
[19]Al-Shabab al-‘arabi, 25.3.1985; ma traduction dans Praxis juridique et religion, 3.1.1986, pp. 69-70.
[20]Le Monde, 17.8.1993, p. 6.
[21]Lahrichi: Vivre musulmane, p. 25.
[22]Al-Kuwayt al-yom, no 1070, 23 juillet 1984, p. 68.
[23]Hanafi: Al-marga‘, p. 237.
[24]Voir pour l’Égypte, Aldeeb Abu-Sahlieh: L’impact de la religion, pp. 192-227.
[25]Khalaf-Allah: Al-Qur’an wa-mushkilat, pp. 11-15.
[26]Ibid., pp. 3-4.
[27]Ibid., pp. 193-214.
[28]‘Alayli,: Ayn al-khata’, pp. 113-120.
[29]Al-Magallah al-‘arabiyyah lil-fiqh wal-qada’, vol. 2, 1985, p. 72.
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