Rapports entre musulmans et non-musulmans en pays d’islam
Comme nous le verrons dans un prochain billet, les musulmans vivant en Occident réclament l’application du droit musulman comme les pays musulmans permettent aux communautés non-musulmanes l’application de leurs propres lois religieuses. C’est ce qu’on appelle le système de la personnalité des lois. Il faut toutefois savoir que le droit musulman ne tolère pas toutes les croyances, et même celles qu’il reconnaît, il ne le fait que dans certaines limites. Ce système est source d’instabilité politique. Ce que nous verrons dans ce billet.
1. Les Gens du Livre (ahl al-kitab)
Le Coran part de l’idée que les gens formaient au début une seule communauté à laquelle Dieu a envoyé des prophètes pour les guider en vertu des lois divines inscrites dans le Livre. Mahomet se considérait comme le dernier et le sceau de la prophétie (33:40). Il a tenté de rallier les autres communautés à sa cause pour les unifier, mais en vain. Mahomet finit par considérer les divergences entre les différentes communautés comme l’expression de la volonté divine, et que c’est à Dieu de régler ces divergences dans l’Au-delà:
“Si Dieu [l’]avait souhaité, il aurait fait de vous une seule nation. Mais [il veut] vous tester en ce qu’il vous a donné. Devancez-vous donc dans les bienfaisances. Vers Dieu sera votre retour à tous et il vous informera alors de ce en quoi vous divergiez” (5:48).
Et puisque la division est voulue par Dieu, le Coran rejette le recours à la contrainte pour convertir les membres des autres communautés: “Nulle contrainte dans la religion” (2:256), sans pour autant perdre l’espoir de les voir devenir musulmans un jour. Il recommande à ses Compagnons d’adopter une attitude correcte avec les Gens du Livre et demande à ce groupe de parvenir à une compréhension commune avec les musulmans:
“Ne disputez avec les Gens du Livre que de la meilleure [manière], sauf ceux parmi eux qui ont opprimé. Dites: “Nous avons cru en ce qui est descendu vers nous et ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu et votre Dieu est un seul. C’est à lui que nous sommes soumis” (29:46; voir aussi 3:64; 16:125).
Ce débat théologique détermine le statut légal des non-musulmans, statut principalement régi par quatre versets dont nous citons:
“Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et son envoyé ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux auxquels le livre fut donné, jusqu’à ce qu’ils donnent le tribut par [leurs] mains, en état de mépris” (9:29).
Ceux qui ont cru, les juifs, les sabéens, les nazaréens, les mages et les associateurs, Dieu décidera parmi eux le jour de la résurrection. Dieu est témoin de toute chose (22:17).
Sabéens, disciples de Jean-Baptiste, victimes de génocide en Irak (cliquez sur l’image pour lire mon article)
Les juristes classiques ont déduit des versets susmentionnés que les Gens du Livre: les juifs, les chrétiens, les sabéens et les zoroastriens (mages), auxquels on ajouta les samaritains, ont le droit de vivre au sein de l’État musulman malgré les divergences théologiques. Bien plus, les autorités religieuses de ces communautés avaient le droit, voire le devoir, de leur appliquer les lois respectives que Dieu leur a transmises par ses précédents prophètes. Ceci est exprimé dans un long passage qui établit ce qu’on appelle en droit la personnalité des lois et des juridictions. Nous citons ce passage en entier:
“Nous avons fait descendre la Torah dans laquelle il y a direction et lumière. D’après elle, les prophètes qui se sont soumis, ainsi que les rabbins et les docteurs jugent [les affaires] des juifs. Car on leur a confié la garde du livre de Dieu, et ils en étaient les témoins. Ne redoutez donc pas les humains, mais redoutez-moi. Ne troquez pas mes signes contre un prix peu [élevé]. Ceux qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les mécréants. Nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Et le talion [s’applique aux] blessures. Après, quiconque en fait aumône, cela sera une expiation pour lui. Ceux qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les oppresseurs. Ensuite, sur leurs traces, nous avons fait suivre Jésus, fils de Marie, confirmant ce qui est devant lui de la Torah. Nous lui avons donné l’Évangile, où il y a direction et lumière, confirmant ce qui est devant lui de la Torah, une direction et une exhortation pour ceux qui craignent [Dieu]. Que les gens de l’Évangile jugent d’après ce que Dieu y a fait descendre. Ceux qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les pervers. Nous avons fait descendre vers toi le livre avec la vérité, confirmant ce qui est devant lui du livre et prédominant sur lui. Juge donc parmi eux d’après ce que Dieu a fait descendre. Ne suis pas leurs désirs, loin de la vérité qui t’est venue. À chacun de vous nous avons fait une législation et une conduite” (5:44-48).
On voit de ce système que le droit musulman admet certaines communautés dites monothéistes, mais la coexistence au sein de l’État islamique se fait dans un rapport de dominants et de dominés. Ainsi, les communautés reconnues devaient payer le tribut des vaincus, tribut disparu seulement au 19e siècle mais que certains voudraient faire rétablir. Ces communautés devaient aussi accepter certaines restrictions. À titre d’exemple, un musulman peut épouser une juive ou une chrétienne (jusqu’à quatre femmes), mais jamais un chrétien ou un juif ne pourrait épouser une musulmane. Nous reviendrons sur cette question. Il faut ajouter le problème des Gens du lLvre de l’Arabie et la question de l’apostasie.
2. Gens du Livre de l’Arabie
La tolérance envers les Gens du Livre n’a pas été appliquée à ceux d’entre eux qui habitaient en Arabie. Mahomet, sur son lit de mort, aurait appelé Umar (d. 644), le futur 2e calife, et lui aurait dit: “Deux religions ne doivent pas coexister dans la Péninsule arabe”. Il ne leur suffisait plus de payer le tribut comme leurs coreligionnaires dans les autres régions dominées par les musulmans. Rapportant la parole de Mahomet, Al-Mawerdi (d. 1058) écrit: “Les tributaires ne furent pas admis à se fixer dans le Hijaz; ils ne pouvaient y entrer nulle part plus de trois jours”. Leurs cadavres mêmes ne sauraient y être enterrés et, “si cela a eu lieu, ils seront exhumés et transportés ailleurs, car l’inhumation équivaut à un séjour à demeure”. Encore aujourd’hui, l’Arabie saoudite interdit aux non-musulmans toute liberté de culte sur son territoire alors qu’elle finance la construction des mosquées en Occident. Nous y reviendrons.
L’Arabie saoudite construit les mosquées en Occident mais interdit toute liberté de culte aux non-musulmans
3. Apostats
Le Coran n’impose pas la foi aux non-musulmans monothéistes de
façon directe; mais le musulman, qu’il soit né d’une famille musulmane ou converti à l’islam, n’a pas le droit de quitter sa religion. Il s’agit donc d’une liberté religieuse à sens unique. Le Coran ne prévoit pas de châtiment précis contre l’apostat bien qu’il en parle à plusieurs reprises en utilisant soit le terme kufr (mécréance), soit le terme riddah (apostasie). Seuls des châtiments dans l’autre vie y sont prévus, si l’on excepte le verset 9:74 qui parle de châtiment douloureux en ce monde, sans préciser en quoi il consiste. Les récits de Mahomet sont en revanche plus explicites:
“Celui qui change de religion, tuez-le”.
“Il n’est pas permis d’attenter à la vie du musulman sauf dans les trois cas suivants: la mécréance après la foi, l’adultère après le mariage et l’homicide sans motif”.
Nous reviendrons sur la question de l’apostasie dans le billet consacré au droit de la famille et celui consacré au droit pénal.
Musulmans convertis au christianisme en Algérie
Persécution d’un Marocain converti au christianisme
4. Polythéistes
Les polythéistes, ceux qui n’ont pas de livres révélés, semblent avoir bénéficié, selon le verset 22:17 susmentionné, d’une certaine tolérance de la part de Mahomet au début de sa mission, comme il avait fait avec les Gens du Livre. Un passage du Coran rapporté par Al-Tabari (d. 923) va jusqu’à reconnaître trois de leurs divinités: Al-Lat, Al-Uzzah et Manat. Mais, face aux critiques de ses compagnons qui y voyaient une atteinte au monothéisme, Mahomet dénonça ce passage comme étant révélé par Satan (d’où Les Versets sataniques de Salman Rushdie). Mahomet admit aussi la possibilité de conclure un pacte avec les polythéistes (9:3-4). Mais ceci fut dénoncé (9:7-11) et les polythéistes furent sommés soit de se convertir, soit de subir la guerre jusqu’à la mort, comme l’indique le verset 9:5, appelé le verset du sabre:
“Une fois écoulés les mois interdits, tuez les associateurs où que vous les trou-viez. Prenez-les, assiégez-les et restez assis aux aguets contre eux. Si ensuite ils sont revenus, ont élevé la prière et donné l'[aumône] épuratrice, alors dégagez leur voie. Dieu est pardonneur et très miséricordieux”.
5. Personnalité des lois et instabilité politique
Certains pourraient être tentés de voir dans le système de la personnalité des lois introduit par l’islam au septième siècle, et qui reste plus ou moins en vigueur dans certains pays, une attitude tolérante de la part de l’islam. Il faudrait cependant relever que ce système est limité et il est accompagné de restrictions vexatoires et discriminatoires, comme nous l’avons vu. D’autre part, il faut admettre que ce système a pour conséquence une fragilité politique. Tous les pays connaissant le système de la personnalité des lois sont des pays politiquement instables et sont exposés à des troubles confessionnels, voire à des guerres civiles: Égypte, Irak, Soudan, Pakistan, etc. Sans oublier le cas d’Israël qui lui aussi applique le système de la personnalité des lois.
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