Rien de plus satisfaisant pour un “vieux” jeune professeur que de voir de nombreux étudiants suivre son cours avec intérêt et respect. C’est ce que je suis en train d’expérimenter ces derniers jours à la Faculté de droit de Palerme.
Cette Faculté a décidé d’assurer un enseignement d’introduction au droit musulman et arabe à ses étudiants en tant que matière à choix dotée de 6 crédits. Ce cours comprend 48 heures d’enseignement en 8 jours, six heures par jour, et se termine par un examen écrit.
La première année que j’ai enseigné ce cours, j’ai eu une quinzaine d’étudiants, et la deuxième année une trentaine d’étudiants. Les étudiants de la première et de la deuxième année se sont chargés de faire la publicité pour ce cours en créant un facebook. Résultat: la troisième année il y a eu 452 étudiants qui se sont inscrits et ont passé l’examen avec succès. Cette année, le cours qui lieu du 12 au 23 avril a attiré un nombre record d’étudiants dans l’histoire de la Faculté de droit de Palerme: plus de 700 étudiants inscrits provenant non seulement de la Faculté de droit, mais d’autres Facultés de l’Université de Palerme, et même d’autres universités italiennes.
Ce grand nombre d’étudiants a posé de sacrés problèmes d’organisation puisque la Faculté de droit ne dispose pas de salles suffisamment grandes pour les contenir. L’année précédente, c’est la Faculté d’architecture qui a prêté son aula magna pour les 452 étudiants. Et cette année, la Faculté de droit de Palerme a voulu limiter le cours à 400 étudiants, mais les associations des étudiants ont protesté et ont été voir le rectorat de l’Université pour demander que la Faculté d’ingénierie mette à leur disposition la plus grande et la plus belle salle de l’Université avec 700 sièges, utilisée généralement pour les grandes rencontres scientifiques. Devant l’insistance des étudiants (on est en Sicile svp), le rectorat a accepté de céder cette salle.
Ce cours a commencé le 12 avril. Il a été ouvert par le Doyen de la Faculté de droit et le Doyen de la Faculté d’ingénierie venus dire la bienvenue aux étudiants massés dans la grande salle. Le Doyen, sur un ton plaisant, disait qu’il craignait que les organisations de défense des droits de l’homme invoque contre lui la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre pour avoir imposé aux étudiants six heures de cours par jours à 700 étudiants assis sur les mêmes chaises devant le même professeur. Mais il avait déjà prévu sa défense: ces étudiants étaient des prisonniers consentants. Ils l’ont voulu de plein gré et ont lutté pour être enfermés dans cette salle. Ce n’est donc pas sa faute.
Pour un “vieux” jeune professeur comme moi, je ressens une immense satisfaction face à ce grand nombre d’étudiants écoutant le cours dans un respect total presque religieux, dans une ambiance très décontractée. Voir ces jeunes siciliennes et siciliens dans cette grande salle avec des yeux brillants et des sourires enjoués remplirait de joie le cœur de n’importe quel professeur.
Le plus surprenant est que la Faculté de Palerme est pratiquement la seule Faculté de droit d’Italie, voire en Europe, qui assure un tel cours intensif. La matière du cours, mise à disposition gratuitement, couvre pas moins de 560 pages (en langue italienne). Elle peut être téléchargée gratuitement de mon site.
Pourquoi un tel intérêt de la part de ces étudiants de Palerme? Il faut savoir que la Sicile a été sous domination musulmane de 827 à 1071. La culture arabe y a laissé des traces indélébiles dans les coutumes sociales, l’architecture et le dialecte siciliens. Plusieurs rues de la vieille ville portent des noms écrits en alphabet latin, arabe et hébreu, et la cathédrale de Palerme, de style arabe, abrite la tombe du grand empereur humaniste Frédéric II (827-1071) qui parlait plusieurs langues, dont l’arabe et avait fait la seule croisade “pacifique” (voir sa vie). La Sicile est un pont naturel entre l’Europe et l’autre rive de la Méditerranée, et un des points à partir duquel des immigrés entrent en Europe. La Sicile sent donc la nécessité de gérer son passé “arabe” et son présent comme pont naturel de passage. Et la meilleure manière de gérer cette situation est de comprendre la culture et le droit arabe et musulman afin de mieux dialoguer et trouver des solutions aux problèmes que l’Occident affronte de façon croissante. On ne peut en effet proposer des solutions qu’en connaissance de cause. L’ignorance de l’autre est un vecteur de haine et de xénophobie destructrices.
Palerme donne à cet égard le bon exemple à suivre par toutes les Facultés de droit en Europe, y compris en Suisse…. avant que la situation n’échappe à tout contrôle. Il est temps de former une génération de juristes capables de dialoguer avec les musulmans et de proposer des solutions aux problèmes posés par la présence croissante de la communauté musulmane en Occident.
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