Mon intervention dans la rencontre interreligieuse près de Florence: l’information et le dialogue interreligieux

L’Opera per la gioventù Giorgio La Pira http://www.operalapira.it/ a organisé un camp de vacances du 8 au 18 août 2010, à La Vela, près de Castiglione della Pescaia. Ce camp a réuni environ une centaine de jeunes du niveau universitaire, dont une dizaine d’étudiants israéliens et palestiniens, et une quinzaine d’étudiants russes. Ces vacances se passent entre la plage, les promenades, le sport et les discussions autour d’un sujet déterminé par les organisateurs. Cette année, le sujet était: “Conoscenza, dialogo e speranza“.

J’ai été invité par les organisateurs à parler à ces jeunes le 16 août 2010 de l’information et du dialogue interreligieux, en compagnie du Rabbin Joseph Levi, et de l’imam Izzeddin Elzir, président de l’Unione delle comunità islamiche d’Italia, tous deux officiant à Florence.

Le Rabbin et l’Imam sont originaires de la Palestine/Israël, comme moi-même. Les organisateurs souhaitaient que chacun parle de sa propre religion. Ce que j’ai refusé, n’étant pas prêtre et ne voulant pas représenter le christianisme. J’ai souhaité me mettre au-dessus des communautés religieuses, et faire une comparaison entre les trois religions. Ayant eu vent de ce que je pense, les organisateurs m’ont prié de modérer mon discours afin de ne pas choquer les jeunes. J’ai répondu que je dirai ce que j’ai à dire, mais je le ferai dans le respect.

Le débat a duré trois heures, comportant une présentation et une intervention de chacun des trois orateurs, et des questions de la part des participants. On m’a chargé d’ouvrir le débat, ce qui a permis à l’imam et au rabbin de répondre à mon intervention. Ne voulant pas leur attribuer des propos qu’ils n’auraient pas dits, ou qu’ils ne souhaiteraient pas voir publiés, je me limiterai à ce que j’ai moi-même dit, en y ajoutant des citations que je devais éliminer en raison du temps restreint dont on disposait.

La religion est basée sur l’information

La religion a pour base l’information. Le terme nabi (prophète en arabe et hébreu) signifie celui qui informe.

Comme dans la presse aujourd’hui, on retrouve dans les religions le concept du monopole, chaque communauté estimant avoir le dernier mot en matière d’information religieuse. Les juifs ne reconnaissent ni Jésus ni Mahomet, et attendent toujours la venue du Messie. Les chrétiens ne reconnaissent pas Mahomet. Mahomet lui-même se considère le dernier prophète envoyé à l’humanité. Si jamais l’un de vous se déclarerait prophète dans les pays musulmans, on lui coupera la tête. Toutes ces trois religions attendent la venue de quelqu’un. Personne d’eux n’est content avec ce qu’il a.

On ne peut pas aujourd’hui faire de l’information sans tenir compte de la composante religieuse. La religion joue un rôle important dans la société et les événements quotidiens, notamment dans les conflits du Proche-Orient, de l’Irak, du Pakistan, de l’Afghanistan, etc…

Informer en matière religieuse est un devoir

La Bible nous apprend que Jonas a été envoyé à prêcher la pénitence au peuple de Ninive. Mais Jonas en a pris peur et décida de prendre un vaisseau pour échapper à son devoir. Dieu envoya une tempête qui menaçait de briser le vaisseau. Après un tirage au sort pour savoir de qui venait ce mal, il fut jeté du vaisseau et a fini dans le ventre d’une baleine. Après avoir été vomi par la baleine, Dieu l’interpella de nouveau pour qu’il aille prêcher la pénitence à Ninive (Jonas chapitre I)..

La Bible nous dit aussi que Dieu demanda à Moïse d’aller voir le Pharaon pour qu’il laisse partir les Israélites de l’Égypte. Mais Moïse lui a répondu: “Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et faire sortir d’Égypte les Israélites?” Il prétexta qu’il avait des difficultés à parler, et demanda à Dieu: “Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras”. Et la colère de Yahvé s’enflamma contre Moïse, et décida d’envoyer avec lui son frère Aaron (Exode chapitres 3 et 4).

Pour parler des religions on doit avoir une indépendance

Qui paie commande. Si vous êtes fonctionnaire d’État vous ne pouvez pas parler librement, parce que vous êtes lié par le devoir de réserve. Si vous êtes imam, prêtre ou rabbin, vous dépendez d’une institution qui vous paie et qui risque de vous congédier si vous dites des choses choquantes en matière de religion. Pour cette raison, ce qu’on appelle le dialogue interreligieux ne sert qu’à manger et à voyager. Si un participant ose dire des choses qui déplaisent, il n’est plus invité. Et ainsi il ne peut ni voyager ni manger. Or, comme vous le savez, le seul plaisir qu’ont les prêtres est de manger, il serait injuste de leur enlever ce plaisir. Et c’est la raison pour laquelle le dialogue interreligieux n’a jamais pu résoudre des problèmes comme celui des mariages mixtes, de la liberté religieuse, etc…

Par conséquent, le seul qui peut librement parler est un laïc qui est indépendant économiquement. Et c’est mon cas. Je peux dire ce que ni le rabbin, ni l’imam ni le prêtre ne peuvent dire. Moi, je peux m’en foutre de tout, et critiquer tout le monde, le pape, le rabbin, l’imam, etc.

Parler avec respect, mais dans quelles limites?

Malgré la liberté dont on peut disposer, il est nécessaire de parler avec respect de la religion. J’ai personnellement pris position contre les caricatures de Mahomet, estimant qu’il n’était pas nécessaire de recourir à l’insulte, quel que soit le but recherché: “On n’a pas le droit de brûler une forêt pour cuire un plat de lentilles”.

Le problème est cependant de savoir qu’est-ce qui constitue une insulte.  Les gens de religion n’aiment généralement pas les plaisanteries dès que cela touche leur religion. Voltaire appelle les trois religions monothéistes “les religions tristes”.

Or, ces religions peuvent avoir des normes ridicules. Si elles ne veulent pas qu’on ridiculise leurs normes, il faut qu’elles cessent d’avoir des normes ridicules. On ne doit pas dans ce cas avoir peur d’aborder les questions qui fâchent si on veut obtenir un changement de ces normes. Permettez-moi ici de commencer par fâcher le rabbin.

Les juifs et les musulmans pratiquent la circoncision masculine. Or, j’estime que la circoncision est un crime. On n’a pas le droit de toucher à l’intégrité physique des enfants sans raison médicale. Il faut leur laisser la liberté de se faire circoncire quand ils sont adultes, s’ils le veulent. Les juifs répondent que Dieu a commandé la circoncision, et donc je n’ai pas à me mêler de leurs normes. Je leur réplique: “Arrangez-vous avec le bon Dieu et laissez les enfants tranquilles. Êtes-vous certains que Dieu a demandé de circoncire? Vous croyez que Moïse était sur le mont Sinaï pour recevoir la loi des mains de Dieu. Or, en Suisse nous avons des montagnes bien plus hautes que le mont Sinaï, et jamais quelqu’un n’est descendu de ces montages avec des lois. Dans mon village d’origine, on n’avait pas de toilettes. On faisait nos besoins naturels derrière un mur. Personne ne revenait de derrière le mur pour dire qu’il a reçu une révélation. Et s’il le disait, on pouvait aisément l’amener derrière le mur pour lui montrer ce qu’il a fait. Moïse était sur le mont Sinaï pour faire ses besoins naturels, et pas pour recevoir la loi”.

Parler pour dire la vérité et non pas pour vendre une vache

Maintenant permettez-moi de fâcher l’imam. Hier soir, notre imam ici présent nous a parlé du jeûne de Ramadan et a essayé de nous le vendre comme s’il vendait une vache. Or, vous savez que celui qui veut vendre sa vache va dire ses qualités: “Ma vache donne beaucoup de lait, elle est docile, etc…). Personne ne peut vendre sa vache s’il indique qu’elle est atteinte de la maladie de la vache folle.

Alors, notre imam nous a expliqué que “le Ramadan consiste à jeûner du matin jusqu’au soir pour s’auto-discipliner et lutter contre ses propres passions. Nous sommes tenus de n’adorer que Dieu, mais on adore l’argent, les intérê

ts et le sexe. Ramadan sert à s’auto-discipliner pour lutter contre cela”. Ensuite l’imam a essayé de nous vendre sa vache: “Le jeûne de Ramadan correspond au jeûne chez les chrétiens et chez les juifs. Le Coran dit que Dieu a prescrit le jeûne aux musulmans comme il l’avait prescrit aux juifs et aux chrétiens. Les chrétiens et les juifs peuvent profiter de la présence des musulmans parmi eux pour retourner à leurs normes. Si chacun pratiquait ses propres normes, on vivrait en harmonie”.

Mais en fait, l’imam a omis de nous dire que le mois de Ramadan consiste à jeûner le jour et à faire le fou la nuit, avec des excès qui portent atteinte à la santé. C’est le mois dans lequel on dépense le plus, et on a une recrudescence des maladies et des accidents de voiture. Et puis, les musulmans jeûnent un mois, alors que moi je jeûne toute l’année. Eux, ils jeûnent le jour et mangent la nuit, et moi je jeûne la nuit et je mange le jour, douze mois.  Donc, j’estime que j’ai plus de mérite que les musulmans. Le mois de Ramadan devient ainsi un mois d’hypocrisie… Il faut y ajouter que pendant ce mois, les pays musulmans sanctionnent ceux qui mangent en public, violant ainsi la liberté religieuse des autres.

Devoir d’informer par délégation

Les gens des religions ont souvent peur de parler de leur propre religion. Alors ils s’adressent aux adeptes des autres religions pour parler à leur place. Je vous donne deux exemples: un du côté juif, et l’autre du côté musulman.

J’ai connu un rabbin qui était contre la circoncision masculine, mais il n’osait pas exprimer son opinion. Il me disait: “J’ai perdu mon prépuce, et je n’ai pas envie de perdre mon salaire. Deux pertes c’est trop”. Alors pour faire parvenir ses idées, il m’envoyait des documents juifs sur la circoncision pour que je puisse moi-même les employer contre la circoncision. Je suis chrétien et non circoncis. J’aurais pu lui dire: “Démerde-toi toi-même, pourquoi je dois me mouiller pour toi”. Mais j’avais le sentiment que je n’avais pas de choix. Je devais être le porte-parole de ce rabbin anonyme. C’était ma croix, et je devais la porter pour lui. Et c’est ce que j’ai fait.

Maintenant du côté musulman. Des Marocains m’ont invité à participer à un colloque à Rabat sur l’islam et les droits de l’homme. J’ai rédigé un article que je leur ai envoyé, leur demandant de me dire s’il leur convenait. Ils m’ont répondu par la positive. J’étais surpris. Arrivé à Rabat, j’ai pris le responsable du colloque par le bras et je lui ai demandé s’il avait réellement lu mon article. Il m’a répondu que mes opinions étaient sur internet et elles étaient connues de tous. Je lui ai demandé comment se fait-il qu’il m’invitait malgré mes opinions un peu extrêmes? Il m’a répondu: “Nous connaissons parfaitement vos opinions et nous les partageons totalement, mais vous êtes le seul fou qui peut les écrire et les dire”. Les organisateurs se servaient donc de moi comme d’un idiot utile. Malgré cela, je devais assumer mon rôle par esprit de charité, bien que le président de la séance était un ministre. Mon intervention devait durer 15 minutes suivies de 15 minutes de débat, mais elle a suscité tant de controverse que le repas de midi a dû être décalé de deux heures. Je demandais à mes auditeurs de changer le concept de la révélation: “La révélation n’est pas la parole de Dieu à l’homme, mais la parole de l’homme sur Dieu”. J’ai cité le philosophe et médecin musulman Abu-Zakariyya Al-Razi qui affirme:

Dieu nous pourvoit de ce que nous avons besoin de savoir, non pas sous forme de l’octroi arbitraire et semeur de discorde d’une révélation particulière, porteuse de sang et de disputes, mais sous la forme de la raison, laquelle appartient également à tous. Les prophètes sont au mieux des imposteurs, hantés par l’ombre démoniaque d’esprits agités et envieux. Or, l’homme ordinaire est parfaitement capable de penser par lui-même, et n’a besoin d’aucune guidance de qui que ce soit.

Comme on lui demande si un philosophe peut suivre une religion révélée, Al-Razi réplique:

Comment quelqu’un peut-il penser sur le mode philosophique s’il s’en remet à ces histoires de vieilles femmes fondées sur des contradictions, une ignorance endurcie et le dogmatisme?

Je leur aussi dit qu’il fallait parler non pas du délit de l’apostasie, mais du droit à l’apostasie. Chacun doit avoir le droit de suivre la religion qui correspond à sa conscience et de changer de religion si telle est l’exigence de sa conscience. Évidemment de tels propos ne pouvaient que susciter des controverses. La salle s’est coupée en deux, et plusieurs personnes se sont attaquées à moi: “Ce mécréant vient nous insulter dans notre propre maison. Il est pire que les orientalistes”. Le ministre a répondu que j’étais l’invité et donc j’avais le droit au respect.

Nécessité du fou du roi et utilité du carnaval

Chaque société a le droit d’avoir une personne qui ose mettre les pieds dans le plat et dire haut tout ce qu’il pense. On parle du fou du roi. C’est un personnage important pour envoyer des signaux à la société. À Bâle, on a un carnaval durant lequel on bénéficie d’une liberté totale de s’exprimer, quel que soit le sujet. Tout le monde y passe, dont les politiciens et les religieux. Ceci est salutaire. Il faudrait peut-être introduire ces deux institutions dans le monde musulman.

Problème de l’absolutisme

Pourquoi les gens de religions ne supportent pas les plaisanteries et les critiques contre les religions? Parce qu’ils croient que leurs religions proviennent de Dieu, et donc intouchables. On arrive à des situations absurdes. Je vous donne deux exemples du côté  musulman et du côté juif.

Les musulmans croient que le Coran provient de Dieu. Il a été révélé par Dieu en langue arabe. Dieu étant parfait, il connaît parfaitement la langue arabe, et donc ne peut pas commettre d’erreurs linguistiques. Or, il est évident que le Coran comporte de nombreuses fautes de grammaire, mais les musulmans sont incapables de l’admettre… parce que cela met en question l’origine divine du Coran. Comment sortir de cette absurdité? Le seul moyen possible est de reconnaître que les livres révélés ne sont pas d’origine divine, mais d’origine humaine, et donc faillibles. Ces livres sacrés ne sont pas la parole de Dieu à l’homme, mais la parole de l’homme sur Dieu, avec tout ce que cela comporte comme imperfection. Et ainsi tout devient discutable. Le Coran en réalité n’est pas la parole de Dieu, mais un livre brouillon écrit par un rabbin.

Prenons un autre exemple du côté juif. On lit dans le Bible:

Samuel dit à Saül: “C’est moi que Yahvé a envoyé pour te sacrer roi sur son peuple Israël. Écoute donc les paroles de Yahvé: Ainsi parle Yahvé Sabaot: J’ai résolu de punir ce qu’Amaleq a fait à Israël, en lui coupant la route quand il montait d’Égypte. Maintenant, va, frappe Amaleq, voue-le à l’anathème avec tout ce qu’il possède, sois sans pitié pour lui, tue hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes” (1 Samuel 15:1-3).

“ltr”>Ce texte sans doute discrédite Dieu, en fait un véritable boucher, et fait de Samuel un criminel de guerre, Croire que ce texte soit une révélation de Dieu pose un problème éthique grave. La seule possibilité pour résoudre ce problème est de dire que Dieu en est quitte, et que ce texte et tous les autres textes de Bible ne sont que les paroles de l’homme, exprimant leurs idéaux et leurs faiblesses.

Impact du dialogue interreligieux sur le conflit israélo-palestinien

Le dialogue interreligieux, comme indiqué plus haut, sert à voyager et à manger. Il est construit sur le mensonge et les demi-vérités. On n’ose pas aborder les problèmes, et ainsi ces problèmes ne trouvent pas de solution. Ceci se vérifie avec le conflit israélo-palestinien. Pour moi, les musulmans et les juifs sont des racistes, mais ils ne veulent pas l’avouer. Les juifs veulent la Palestine en disant que c’est Dieu qui la leur a donnée, et les musulmans veulent la Palestine qu’ils considèrent comme faisant partie de la Terre de l’islam. Les juifs veulent en faire un état juif raciste discriminatoire à l’égard des non juifs , et les musulmans veulent en faire un état musulman raciste discriminatoire à l’égard des non-musulmans. Moi, je refuse de connaître l’État israélien juif raciste, comme je refuse de reconnaître l’État palestinien musulman raciste. Je suis pour un seul État démocratique avec des droits égaux pour tous, quels que soit leur religion ou leur sexe. On ne peut couper la Palestine en deux. Si vous êtes fâché contre votre frère, ce n’est pas une raison pour couper votre mère en deux. Or, cela n’est possible que si les juifs et les musulmans acceptent de ne pas être racistes.

Critiques des auditeurs et des organisateurs

Cette présentation a suscité beaucoup de critiques de la part des auditeurs et des organisateurs qui ne s’y attendaient pas. Je leur ai expliqué que leurs critiques sont justifiées parce qu’ils entendent cela pour la première fois. L’esprit critique est comme la langue: il faut l’apprendre. Aujourd’hui ils sont choqués, mais la prochaine fois cela ira mieux.

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