Source: Il n’existe aucune injonction dans le Coran ou les Hadiths qui exige que les musulmans soient enterrés entre eux. Mais l’envie de séparation et «la vie» dans la tombe expliquent cette revendication.
Priver les musulmans leur propre cimetière est, selon Farahd Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques de Suisse (COIS), leur refuser de reposer «dans la dignité». Ce traitement est tellement «inhumain» que le responsable a eu quelque velléité de saisir les tribunaux afin de faire respecter cette demande dans toute la Suisse. Et ceci au nom de la liberté religieuse. Celle que l’islam respecte si fidèlement partout où il est majoritaire.
«Jusque dans la mort, les musulmans veulent créer une structure parallèle, rétorque Oskar Freysinger. Accepter les carrés confessionnels revient à créer des zones dans lesquelles la loi islamique s’applique, et pas la loi suisse.» Et le Vert Antonio Hodgers, devenu depuis conseiller d’État genevois, observe: «…là, ce sont des musulmans qui demandent une inégalité de traitement».
«En général, les musulmans savent seulement qu’il leur est interdit de partager le cimetière avec des non musulmans, mais ils n’en connaissent pas la raison», observe Mark A. Gabriel, qui fut enseignant à l’université d’Al-Azhar avant de se convertir au christianisme.(1)
Nos requérants de cimetières invoquent une raison religieuse. Il n’en existe pas. Ni Coran, ni Hadiths n’en font mention. Du temps de la révélation, comme l’observe Sami Aldeeb, on enterrait les défunts dans les maisons, comme l’a été Mahomet selon le récit musulman.
La question s’est réellement posée au XXème siècle avec l’affluence de musulmans en Occident. Cette émigration volontaire était nouvelle dans l’histoire musulmane. Des légistes ont alors émis des avis et fatwas ad hoc imposant comme une nécessité des cimetières ou des carrés séparés.
(Entrée d’un cimetière musulman, La Réunion, photo Mwanasimba)
Sami Aldeeb remarque dans un ouvrage consacré aux cimetières confessionnels que «les responsables musulmans en Suisse adoptent en matière de cimetière des positions bien plus tranchées que leurs coreligionnaires dans les pays musulmans».(2)
Divers mouvements religieux –dont la Fondation des cimetières islamiques suisses, la Fondation culturelle islamique de Genève (grande mosquée) et des commissions de fatwas détaillent les exigences religieuses que nos pays sont censés respecter.
Trois rituels mortuaires sont précisés dans la Tradition: la toilette du mort, la mise en terre et le visage tourné vers La Mecque, toutes pratiques déjà possibles. Pourquoi tenir tellement, en plus, à des cimetières réservés?
Deux hypothèses contraires sont avancées par les analystes: une volonté de séparation ou une envie d’intégration.
Début 2001, Sarah Burkhalter fait le point sur la question dans les Archives de sciences sociales des religions Elle se base sur les propos d’une vingtaine d’imams et de responsables de centres islamiques.
Hani Ramadan fait partie de cette majorité d’interlocuteurs qui ne cessent «de rappeler le caractère religieux du corps mort et l’impératif de respecter absolument son repos» (…) «Nous sommes une communauté jusque dans l’au-delà» affirme-t-il, ce que l’auteure considère comme un vocabulaire d’ordre affectif et non religieux.
Pour elle, «le prolongement de l’existence de la communauté au-delà de la mort est artificiel, construit». Il signifie en fait «un début d’intégration socioculturelle réelle dans la société d’adoption, du moins du désir de cette intégration». La Chaux-de-Fonnière Nadia Karmous est au diapason. Pour elle, le problème est lié à l’intégration: les musulmans ressentent le refus de cimetière «comme un rejet. Même morts, ils ne se sentent pas acceptés.»
L’auteure de l’étude relève tout de même que le but ultime de ses interlocuteurs«serait de placer le religieux au centre de l’identité de la communauté et de l’argumentation afin de légitimer la revendication». Ce qui n’empêche pas cette déclaration finale:
«Nous concluons avec Tariq Ramadan: «Quand des individus ou des associations de «la communauté musulmane» interpellent les pouvoirs publics en vue de trouver des solutions aux divers problèmes qui sont les leurs, ils ne traduisent pas une volonté d’être traités différemment; bien plutôt -puisqu’ils vont vivre ici- ils demandent à ce qu’on prenne en considération leur présence et leur identité dans le cadre d’une législation qui a été élaborée en leur absence.» Pouvoir vivre selon sa foi, c’est là la liberté recherchée.»
Notons que renforcer la séparation en affirmant qu’on favorise l’intégration, c’est le mantra de tous ceux qui invitent à céder aux multiples revendications musulmanes.
Pourtant, lorsqu’ils n’ont pas le choix, les adeptes d’Allah se plient à des règles contraires à leurs convictions: interdiction d’enterrer un mort simplement dans un linceul et obligation de l’exhumation. Reste un vide juridique à propos des cimetières séparés. Les associations islamiques l’occupent sans relâche.
Quinze ans plus tard, il n’est pas exclu que l’optimiste Sarah Burchkalter fasse le même mea-culpa que Thierry Béguin, chef de l’instruction publique de Neuchâtel. Il a fièrement fait accepter le premier foulard à l’école, porté par une fille de 11 ans, en 1998. Il se demande aujourd’hui si ce genre de décisions n’est pas une manière d’ouvrir la porte à d’autres revendications. (Infrarouge, 20 avril 2016)
(Cimetière moderne de Bobigny, photo Hegor)
Le châtiment de la tombe
Une facette de la Tradition n’est pas étrangère à la demande de cimetières.
Dans la vision musulmane, l’intermède entre la mort et le jugement dernier est très animé. Dans la tombe, les bons musulmans goûtent à des effluves de paradis, alors que les mauvais et l’ensemble des incrédules (ceux qui ne sont pas morts musulmans) expérimentent une partie des châtiments de l’enfer. C’est pure logique, puisque le Coran répète à maintes reprises que ceux qui ne croient pas en son message sont promis à la Géhenne.
Pour décrire ces phénomènes souterrains, les grands muftis du savoir nous replongent dans la soupe rance des versets et des hadiths.
Il existe des approches un peu moins bas de gamme, mais une incursion dans les sites musulmans témoigne une fois encore que les dévots d’aujourd’hui et leurs cohortes de fidèles privilégient le littéralisme.3)
Les descriptions sont à peu près semblables, avec plus ou moins de détails. (3)Récit d’Islamqa Info . Dès l’arrivée du défunt dans la tombe, deux anges procèdent à un interrogatoire. Celui qui exprime sa fidélité à Allah et à son prophète «vivra» heureux entre ses quatre murs, «on lui ouvrira une porte qui débouche sur le paradis et il en recevra le souffle et les bienfaits. Et puis on lui dira: tu resteras là jusqu’à ce qu’Allah te ressuscite.»
Quant au mécréant, «on lui assènera un coup avec une barre de fer et il lancera un cri que tout être entendra à l’exception des djinns et des hommes. Et puis on lui ouvrira une porte qui débouche sur l’enfer et on rendra sa tombe si étroite que ses côtés se croiseront. Sa tombe se transformera en une fosse infernale et on lui ouvrira une porte d’où viendra un vent de l’enfer en guise de châtiment.»
Version d’Islam de France: «… les deux anges frappent la tête du défunt avec de lourdes barres de fer, qui ont pour effet de lui exploser le crâne. Ce dernier se recompose à chaque fois, mais la douleur provoquée par les coups des deux Anges font hurler de douleur le mécréant, qui est entendu par tous ceux qui peuplent les alentours, excepté les Djinns et les Humains. Ensuite, la tombe se resserre au point que ses côtes s’entrecroisent, et divers châtiments lui sont ensuite infligés, suivant les diverses mauvaises actions qu’il aura commises durant sa vie.»(Hadith rapporté par Al Boukhari)
Sami Aldeeb rappelle que Mahomet prescrit aussi: «Si l’un de vous meurt, mettez-le dans un bon linceul, hâtez-vous d’exécuter son testament, faites-lui une tombe profonde et évitez qu’il soit près d’un mauvais voisin.» Et pour les légistes, les mécréants ne sont forcément pas de bons voisins.
Les fatwas et autres textes ne laissent rien au hasard. Il importe de savoir, par exemple, si l’on peut enterrer dans le cimetière musulman un apostat ou une chrétienne enceinte d’un musulman. La réponse est non.
Vu le nombre de mécréants que nos cimetières abritent, qui hurlent de douleur sous les coups et dont les cris sont entendus par les autres défunts (précise la Tradition), on imagine aisément l’inconfort des bons musulmans concentrés sur leur parfum de paradis. «Sous cet angle, confirme Mark A. Gabriel, il devient compréhensible que les musulmans ne se sentent pas à l’aise à l’idée d’être inhumé dans les mêmes cimetières que des non musulmans.»
Femmes interdites d’enterrement
Question connexe: les femmes sont-elles autorisées à participer à l’inhumation et à des visites au cimetière? Le débat fait toujours rage. On peut lire que «… dans les pays musulmans, il est défendu aux femmes de sortir le jour des funérailles, à l’exception des plus âgées.»
L’année dernière, des femmes kabyles se sont mobilisées pour obtenir le droit d’assister aux enterrements. La partie n’est pas gagnée.
Certains au contraire sont pour, «tant que cela n’engendre pas un désordre émotionnel entraînant des débordements». Pour d’autres, ce caractère trop émotif des femmes ou le risque de séduction lié au mélange des sexes justifient l’interdiction.
La vie des savants de l’islam serait tellement plus simple si les femmes n’existaient pas!
(1) «Swisslam», 2011, éd. Salpe
(2) Cimetière musulman en Occident: normes juives, chrétiennes et musulmanes, Amazon, 2012
(3) Lorsque j’ai tapé «musulmans vie dans la tombe» sur Google, les premiers apparus, outre les deux cités, sont ceux-ci, tous aussi rassurants sur notre sort: http://www.sunnite.net/chatiment-tombe-supplice/; http://islamsunnite.over-blog.com/article-6601922.html;http://www.sajidine.com/monde-invisible/au-dela/question-…. Celui de la Mosquée de Lyon ne rappelle pas le sort promis aux mécréants, il choisit des hadiths ad hoc. http://www.mosquee-lyon.org/forum3/index.php?topic=32374.0
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