L’islam peut-il se réformer sans se dénaturer ? (Henri Boulad) et réponse de Lamine Foura

Comment qualifier politiquement le fondamentalisme musulman en Egypte aujourd’hui ?
Le fondamentalisme musulman se veut être un retour aux sources de l’islam, c’est-à-dire à l’islam médinois, qui a été l’islam reconnu, accepté par les ulémas de toutes les confessions de l’islam sunnite et qui est en train de gagner le monde entier au travers de la confrérie des Frères musulmans.

Le monde entier, c’est-à-dire le monde arabo-musulman ou l’ensemble du monde ?
Le monde arabo-musulman dans une première étape, l’Europe dans une deuxième étape, le Canada et les Etats-Unis dans une troisième étape, et puis le reste. En d’autres termes, le plan des Frères musulmans, et des islamistes de façon plus large, est une reconquête du monde ou une conquête du monde à l’islam.

Cette conquête, elle passe par une régression, par quelque chose finalement de réactionnaire sur un certain nombre de principes, ou bien est-ce que c’est un islam nouveau ?
Non, ce n’est pas un islam nouveau, c’est l’islam le plus pur, le plus traditionnel qui soit…

Le plus pur, c’est ambigu comme terme…
Le plus pur, c’est tel que l’Islam s’est défini au X° siècle, en revenant à trois principes fondamentaux :
– que le Coran est incréé, et non créé, alors que les philosophes de l’époque, les Mutazilites, avaient adoptés un Coran créé,
– que les versets médinois qui sont des versets appelant à la guerre, à la violence et à l’intolérance remplacent les versets mecquois qui sont des versets mystiques, religieux et ouverts,
– que…

Là, ça veut dire, par exemple, que les musulmans au pouvoir en Egypte sont pour la première option de ce que vous venez de dire, c’est-à-dire qu’il y a cette interprétation violente des effets du Coran.
Fondamentalement, fondamentalement… mais, en islam, il y a le principe de la taqiya. La taqiya, c’est cette technique, ou cette stratégie de mensonge, de duplicité, pour tromper l’autre si c’est pour le bien de l’islam Et donc c’est non seulement un droit, c’est un devoir, pour tout musulman pour atteindre son but qui est l’islamisation du monde, de mentir, de tromper l’autre, et ceci en toute impunité, si je puis dire.

Et ça veut dire donc que pour vous il n’y a pas d’islam qui puisse s’accommoder de la démocratie. On pense souvent à la Turquie quand on dit cela, est-ce que c’est une vue de l’esprit ?
C’est une vue de l’esprit ! L’islam turc est, provisoirement,disons, tolérant, ouvert, mais il y a incompatibilité totale entre islam et démocratie, incompatibilité totale entre islam et laïcité. Et les musulmans qui sont pour la démocratie et la laïcité trahissent l’islam tel que le proclame les fondamentalistes.

Mais, en même temps, ils restent musulmans profondément !
Ils restent musulmans, mais ce n’est pas l’islam orthodoxe, c’est un islam à la sauce moderne ; c’est peut-être le seul compatible avec la modernité, mais c’est là que l’islam est dans l’impasse. J’avais pris, comme titre de conférence, l’année dernière, «l’Islam peut-il se réformer sans se dénaturer ?». Je mets ça sous forme de question ; mais, pour moi, la réponse est : il ne peut pas demeurer islam sans se dénaturer.

Donc, ce que vous dites, c’est que l’Islam originellement a dans ses entrailles le fondamentalisme que l’on connaît aujourd’hui ?
Absolument.

Et, il n’y a pas d’exceptions ?
Il y a des exceptions, mais qui sont des dérives par rapport à l’islam qui s’est toujours voulu ce que je viens de dire. Le combat se joue au X° siècle à peu près. Donc, je vous disais :
– Coran incréé, donc intouchable,
– deuxièmement : versets médinois qui remplacent, abrogent les versets mecquois,
– et troisième option : interdit de réfléchir après le X° siècle, c’est ce qu’on appelle la fermeture de la porte de l’ijtihad. Et tous les musulmans intellectuels qui ont tenté une réforme de l’islam se sont fait, ou assassinés, ou mis à l’écart, ou condamnés. Nous en avons un grand nombre de cas.

Face à cela, trouvez-vous que l’Occident se comporte en instance critique, ou bien craintive, ou bien est-ce qu’il y a là la réparation d’un complexe colonial vis-à-vis d’anciens territoires où on accepterait l’islamisme au nom de la différence ou du respect à la différence des peuples ?
L’Occident vit dans un complexe de culpabilité par rapport au passé, et il cherche à racheter cela. Et dès que, au nom de ces principes de démocratie et de liberté, il combat l’islamisme, il se fait taxer d’islamophobie. L’islamophobie, c’est la nouvelle arme des Frères musulmans actuellement en Occident, pour y pénétrer comme dans du gâteau. À mon avis, l’Occident est d’une naïveté monumentale par rapport à ce qui se passe actuellement, cette infiltration progressive de l’islam en Occident, qui est un plan clair comme le jour et que beaucoup ne veulent pas voir pour ne pas se faire traiter…

Comment est-il si clair ce plan, parce que au fond vous êtes en train de nous décrire un mouvement de type fascisant, le fascisme vert, c’est un petit peu ça que vous nous décrivez ?
Absolument. Mais… allez écouter les discours dans les mosquées le vendredi à travers tout le monde arabe et musulman, écoutez, écoutez ce qu’ils disent. N’écoutez pas ce que l’on vous dit autour de tables rondes à Paris ou à Washington, n’est-ce pas… écoutez ce qu’ils disent. Ils disent : «Notre projet est de conquérir le monde par tous les moyens et les Occidentaux sont assez gentils, assez naïfs pour croire les propos que nous leur tenons». C’est pourquoi le discours de Morsi disant, à ce moment-là : «Je suis le chef de tous les Egyptiens, ne craignez rien, démocratie, laïcité»… c’est pas possible, ça ne va pas ensemble !

C’est consubstantiel, finalement, vous dites : de manière intrinsèque, l’Islam n’est pas perméable à une forme de modernité qu’est la démocratie.
Non.

Absolument pas ?
Non… L’islam c’est ce qu’il s’est choisi, ce qu’il s’est voulu. Qu’il y a des musulmans qui pensent comme ça, par exemple Abdennour Bidar ou cheikh Bencheikh ou d’autres qui veulent promouvoir l’islam moderne, l’islam démocratique, l’islam républicain… ils sont de bonne foi et ils voient que c’est la seule issue, la seule possibilité ; mais ils se font condamner par les autres. Qui a raison ? Ce sont les autres, qui disent : «Tu n’es pas fidèle aux principes de l’Islam»

Je parlais de l’Occident. Il y a deux attitudes : il y a eu une attitude précédente qui consistait finalement à ne pas remettre en cause des régimes autocratiques et despotiques par la peur justement de l’islamisme, et maintenant, vous craignez que l’on soit trop tolérant, trop laxiste vis-à-vis de l’islamisme tel qu’il se présente aujourd’hui ?
Peut-être que c’est la seule issue pour que l’islamisme fasse tomber le masque ! Peut-être qu’il faut qu’il passe par la prise de pouvoir et montre son incapacité à gérer une société avec sa charia qui n’a aucune réponse à apporter aux problèmes contemporains, pour que finalement on se dise… La preuve, c’est en Égypte-même, c’est finalement le passage : ils ont perdu cinquante pour cent de leurs voix entre les législatives et la présidentielle…

Et, ça, vous dites que c’est l’usure déjà du pouvoir…
Non, c’est le résultat du fait que les Egyptiens ont démasqué ces islamistes en disant : «ils nous mentent», leurs pseudo-solutions ne sont pas des solutions»[/i]. C’est pour ça qu’ils ont perdu une crédibilité considérable entre les législatives et les présidentielles. Par conséquent, moi je pense que, d’une certaine manière, l’accession de Morsi à la présidence est une bonne chose. Pourquoi ? Parce que elle va permettre de voir au jour ces gens là dans leur absence de solutions à des problèmes réels concrets…

Bas les masques ?
Oui, bas les masques… et montrez-nous ce que vous pouvez faire. C’est pour ça que finalement j’étais assez content de la victoire de Morsi, parce que la victoire de Chafiq aurait amené une guerre civile pratiquement, des massacres… Maintenant, tu voulais le pouvoir, tu as le pouvoir ; montre-nous ce que tu sais faire ! Bon, on verra… Évidemment, nous sommes dans l’incertitude totale ; mais au moins les choses sont claires, on va vers un examen, un test de vérité…

Est-ce qu’il y a une alternative à ce fondamentalisme, alternative politique je veux dire, aujourd’hui en Egypte ?
Non… non… la démocratie n’est pas une alternative, parce qu’elle est refusée par les autres. Ils vont s’accrocher, ils vont lutter, ils seront jetés en prison, ils seront torturés, mais ils vont continuer leur combat. Ce sont des irréductibles… Les islamistes, ce sont des irréductibles ; appelez-les Frères musulmans ou salafistes, c’est du pareil au même. C’est-à-dire c’est un fascisme, c’est-à-dire une idéologie totalitaire qui refuse toute autre alternative, toute autre perspective autre que la leur. Alors, l’Occident est très mal armé pour faire face, parce qu’il ne veut pas écouter d’autres voix que la sienne. Nous, Chrétiens d’Orient qui avons vécu ça… moi, en 1860, mon grand-père a échappé à un massacre de 20 000 chrétiens à Damas, bon, nous avons ça dans notre chair… j’ai rencontré il y a quelques jours, deux anciens, deux Arméniens qui ont échappé au génocide. Celui qui vécu une réalité peut en parler en connaissance de cause. En Occident, on met ça dans des catégories abstraites et dans un «politiquement correct»qui est en train de vous tuer.

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