L’incinération: chiffres et raisons

L’incinération, une manière de disposer du corps humain par le feu, a pour but de le réduire en cendres rapidement, ce même résultat nécessitant plusieurs décennies, voire des siècles si le corps est enterré. On est donc en face du même aboutissement mais plus ra­pide.

Connue dans l’antiquité parmi les Grecs, les Romains et les Nordi­ques, l’incinération est toujours pratiquée dans certaines civilisa­tions asiatiques comme en Inde et au Japon. Reprouvée à travers les siècles par les trois communautés juive, chrétienne et musul­mane, elle revient aujourd’hui en force en Occident parmi les chré­tiens. Le débat a pris naissance au temps de la Révolution fran­çaise. Certains voulaient même que cette pratique soit obligatoire. Mais c’est l’Italie qui prit la tête du mouvement, à Milan d’abord. C’est de cette ville que partit l’Organisation des sociétés de créma­tion et qu’a eu lieu la première incinération, le 22 janvier 1876, celle du baron Albert Keller. C’est encore à Milan que fut consti­tuée en 1880 une Commission internationale pour l’incinération, composée de délégués de quatorze États. En France, la Chambre des députés vota, le 31 mars 1886, un article de loi disposant que tout majeur en état de tester pouvait déterminer, par testament, le mode de sa sépulture et opter entre l’inhumation et la crémation. On inaugura le premier crématoire à Paris, le 1er mars 1889, au ci­metière de Père-Lachaise. Mais l’évolution de la crémation diffère d’un pays à l’autre. Nous donnons ici quelques chiffres indicatifs en ordre croissant pour l’année 1998 et l’année 2006:

1998 2006

Italie 04.09% 09.64%

France 14.90% 26.26%

États-Unis 23.75% 33.53%

Belgique 30.97% 43.63%

Norvège 31.00% 34.58%

Chine 39.60% 48.20%

xml:lang=”FR” lang=”FR” style=”font-size: 13pt; mso-ansi-language: FR;”>Hollande48.24% 53.68%

Suède 67.84% 73.23%

Suisse 67.97% 79.76%

Angleterre 71.42% 72.38%

Japon 98.42% 99.73%

Des juifs libéraux y recourent ainsi que des musulmans, mais on n’en connaît pas le pourcentage, probablement minime. Le retour en force de l’incinération en Occident est dû à plusieurs raisons:

– Raison philosophique: à l’origine, athéisme et anticléricalisme déclarés, auxquels il faut ajouter la minimisation de l’importance du corps associée à la croyance en la réincarnation qui a le vent en poupe, et une désespérance devant une vie tragique cherchant à s’anéantir après la mort le plus rapide­ment possible (sentiment fréquent chez les malades du sida).

– Raison économique: l’incinération coûte moins cher que l’enterrement traditionnel. Les adversaires répondent que l’économie n’est effective qu’en cas de remise des cendres à la famille ou d’une dispersion. Les autres frais sont identiques: cercueil, transport, personnel, etc.

– Raison écologique: moins polluante, l’incinération permet en outre de limi­ter l’emprise au sol des cimetières, surtout dans un contexte de forte urba­nisation (laisser la terre aux vivants). Un dépliant de la Ville de Bâle indi­que que sur dix mètres carrés on peut déposer 200 urnes de crémation mais seulement 4 tombes normales. Les adversaires répondent que la fumée des crématoires est également polluante. D’autre part, il est important de garder une trace, un lieu de recueillement comme gardien de la mémoire sociale, et de ne pas déshumaniser la société en ne prenant en considération que les arguments économiques ou écologiques.

– Raison hygiénique: l’incinération enraie les épidémies, étant donné que tous les germes de maladies sont détruits par le feu. Elle offre aussi une ga­rantie contre l’empoisonnement des sources et des rivières souterraines.

– Raison juridique: respect des vœux du défunt. Les adversaires répondent qu’être mort ne donne pas tous les droits, il faut aussi tenir compte des inté­rêts des vivants.

g=”FR” lang=”FR” style=”font-size: 13pt; mso-ansi-language: FR;”>– Raison altruiste: le défunt ne veut pas embarrasser ses survivants avec les contraintes de l’entretien d’une tombe, surtout dans un contexte de grande mobilité où la famille n’est plus liée à une localité précise. Les adversaires rétorquent que cela prive les proches d’un lieu identifiable pour le travail de la mémoire et du deuil.

– Raison pratique: L’Union suisse de crémation signale parmi les avantages le fait suivant: “Il arrive souvent que des ensevelissements se fassent par mauvais temps, par la pluie ou par la neige: les assistants, debout près de la tombe ouverte, souffrent de l’humidité et du froid et courent le risque d’at­traper un refroidissement dont les suites peuvent parfois être mortelles. Aucun danger de ce genre lors d’une incinération, car toute la cérémonie a lieu dans un local fermé et chauffé”.

– Rapprochement des membres de la famille: Les urnes permettent de mettre plus facilement des membres de la même famille ensemble. Une tombe ne peut être ouverte pour y déposer une autre personne qu’après un certain nombre d’années. Une femme qui meurt cinq ans après son mari aura peu de chance de se faire enterrer près de son mari sauf s’il s’agit d’une conces­sion familiale prévue à cet effet. Il faut à cet égard prendre en considération les frais énormes d’une concession familiale. Dans le canton de Bâle, un caveau familial pour deux personnes pour une durée de 40 ans coûte 11’000.- Sfr., alors que la tombe ou l’urne ordinaire est gratuite. D’autre part, les urnes peuvent être emportées à la maison et les cendres, si on veut, peuvent être dispersées dans une forêt. En Suisse il est interdit de disperser les cendres dans de l’eau stagnante ou courante.

Nous verrons dans les prochains billets la position des juifs, des chrétiens et des musulmans face à l’incinération, et le débat en Suisse.

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