L’incinération chez les musulmans

Après avoir vu l’incinération chez les juifs et chez les chrétiens, voyons ce qu’en pensent les musulmans.

Le Coran mentionne l’enterrement des morts. Il raconte qu’après l’assassinat d’Abel par Caïn, Dieu envoya à ce dernier un corbeau qui gratta la terre pour lui indiquer comment faire disparaître la dé­pouille de son frère (5:31). Ailleurs il est dit: “De la terre, nous vous créâmes. En elle, nous vous ramènerons. D’elle, nous vous fe­rons surgir une autre fois” (20:55). Nulle part il n’est question d’in­cinération. Mais on trouve des récits selon lesquels Mahomet aurait interdit de mettre à mort par incinération. Il s’agit de cas où des apostats (murtadzandiq) avaient été brûlés vivants pour avoir abandonné l’islam. Ainsi Al-Bukhari rapporte qu’Ali avait brûlé vi­vant un groupe d’apostats. Ibn-Abbas prit partie contre cette mesure en disant qu’il ne les aurait pas brûlés mais exécutés selon la parole de Mahomet: “Celui qui change sa religion, tuez-le”. Il invoque contre l’usage du feu cette parole de Mahomet: “Ne punissez pas avec le châtiment de Dieu”. Dans un autre récit, Mahomet aurait ordonné à Hamzah Al-Aslami: “Si vous prenez un tel, brûlez-le”, ensuite il le rappela et lui dit: “Si vous prenez un tel, tuez-le et ne le brûlez pas parce que personne d’autre que Dieu, maître du feu, ne peut châtier par le feu”. On rapporte aussi que Mahomet a inter­dit de brûler une fourmilière en disant: “Ne punissez pas avec le châtiment de Dieu”.

L’interdiction de faire usage de l’incinération dans ces récits se rap­porte donc à l’incinération en tant que sanction du vivant de la per­sonne. Malgré cette interdiction, les légistes classiques permettent de mettre à mort un coupable en vertu de la loi du talion: “Si vous châtiez, châtiez de la même façon que vous aurez été châtiés” (16:126; voir aussi 2:174). Mahomet aurait affirmé à cet égard: “Celui qui brûle, nous le brûlons”. Des légistes malikites permet­tent aussi de brûler ceux qui commettent des actes homosexuels. Abu-Bakr et Ali recouraient à l’incinération du coupable de son vi­vant. On peut aussi recourir au feu contre l’ennemi si on ne peut pas le vaincre par d’autres moyens.

D’après un récit de Mahomet, un homme réunit ses enfants autour de lui au moment de sa mort et leur demanda ce qu’ils pensaient de lui. Ses enfants lui répondirent qu’il était le meilleur des pères. Il leur dit, par humilité, qu’il n’avait fait auprès de Dieu aucun bien et que si Dieu pouvait le saisir, il le punirait comme personne n’a été puni. Il fit alors jurer ses enfants de le brûler après sa mort jusqu’à ce qu’il devienne du charbon, de le réduire en cendres et de les dis­perser un jour de vent, moitié dans la terre et moitié dans la mer, pensant ainsi échapper à Dieu. Après la mort, les fils exécutèrent la volonté de leur père. Dieu donna l’ordre à la terre et à la mer de rendre les parts du décédé et voilà l’homme debout en présence de Dieu. Dieu lui demanda: “Qu’est-ce qui te poussa à donner un tel ordre?”, et le défunt répondit: “Ma crainte de toi, Seigneur”. Dieu le combla alors de sa miséricorde. Ce récit vise à démontrer que Dieu est capable de ressusciter l’homme même s’il est incinéré et ses cendres dispersées par le vent. Il ne comporte aucune désap­probation de l’incinération.

Se référant aux versets coraniques susmentionnés et au fait que Mahomet a enterré les siens et fut enterré, les légistes classiques disent que le mort doit être enseveli dans la terre. Si quelqu’un meurt sur un bateau se trouvant près de la terre ou d’une île, on at­tend jusqu’à ce qu’on puisse arriver pour l’y enterrer. Sinon, on le met entre deux planches et on le jette à l’eau afin que l’eau le rejette sur la plage, espérant ainsi que des gens le trouvent et l’enterrent. Mais si les habitants de la région sont des mécréants, on l’attache à quelque chose de lourd et on le jette dans l’eau pour qu’il y soit submergé. Avant de le jeter, il faut le laver, le mettre dans un lin­ceul et prier pour lui. Nous n’avons trouvé chez les légistes classi­ques aucune interdiction d’incinérer après la mort malgré le fait d’avoir été en contact avec des populations qui recouraient à cette pratique.

Les musulmans, comme les juifs, croient que les corps se décom­posent, à l’exception d’un os très petit appelé dans les récits de Ma­homet ajab al-dhanab(merveille de la queue) ou ajam al-dhanab (le noyau de la queue) et qui se situerait au bas de la colonne verté­brale (coccyx). Mahomet aurait dit à cet égard: “Tout dans l’homme dépérit sauf un seul os, qui est ajam al-dhanab, et c’est à partir de cet os que Dieu refait la création le jour de la résurrec­tion”. On lui demanda: “Qu’est-ce cet os?”, il répondit: “C’est comme un grain de sénevé à partir duquel vous serez reconsti­tués”. Mais, contrairement aux juifs qui pensent que le feu détrui­rait cet os, les musulmans ne se réfèrent pas à cette croyance pour interdire l’incinération. Par contre, les fatwas modernes que nous verrons plus loin, rattachent l’interdiction de l’incinération à la croyance dans la résurrection des corps. Cet argument cependant contredit la croyance musulmane selon laquelle, le jour de la résur­rection, Dieu rappelle toutes les parties du corps dispersées dans les tombes, au fond des mers ou dans les estomacs des fauves pour y réintroduire l’âme. Les récits de Mahomet précisent que les res­suscités retrouvent leur forme humaine, nus, déchaussés, avec leur prépuce (dont ils ont été privés par la circoncision), comme s’ils avaient 33 ans. Et comme le démontre le récit relatif à l’homme qui s’est fait incinérer, quelle que soit la fin du corps, rien n’empêche Dieu de rassembler ses membres pour reformer le corps après la résurrection.

Dans certains pays arabes, il existe des crématoires pour ceux dont les normes religieuses permettent l’incinération. En Égypte, la Loi 5/1966 (article 6) et le Décret d’exécution 418/1970 (article 19) permettent d’incinérer un non-musulman dans un crématoire si sa religion autorise une telle pratique et s’il a exprimé par écrit le sou­hait de se faire incinérer.

Les ouvrages en arabe ne traitent pas de l’incinération puisqu’elle n’est pas d’usage chez les musulmans, mais la Commission de fatwa égyptienne se prononça concernant cette pratique le 29 juillet 1953. À la question: “Quelle est la position du droit musulman concer­nant l’incinération des morts musulmans en cas d’épidémie, ou si elle est souhaitée par testament?”, elle répondit:

Tous les musulmans s’accordent sur le fait que l’être humain a une immunité et une dignité tant vivant que mort, comme l’indique la parole de Dieu: “Nous avons honoré les fils d’Adam” (17:70). Selon les récits authentiques du Pro­phète, suivis par ses compagnons, leurs successeurs et tous les musulmans jusqu’à aujourd’hui, l’enterrement dans une niche ou une fosse fait partie de la dignité d’un être humain après sa mort. De ce fait, il n’est pas permis d’incinérer les cadavres des musulmans. Et si le défunt avait demandé cela par testament, son testament serait nul et non exécutable. L’incinération des cadavres n’a été connue que dans les traditions des zoroastriens, et on nous a commandé de faire différemment de ce qu’ils font et de ce qui ne correspond pas à notre loi noble.

On relèvera ici que la Commission n’a pas répondu à la question de l’incinération en cas d’épidémie. En réponse à ma demande du 10 mai 2001, le service de fatwa d’islam-online écrit:

L’islam interdit strictement de châtier un vivant par le feu. Pour cela, lorsque le Prophète a vu que ses compagnons avaient brûlé une fourmilière, il leur dit: “Ne peut châtier par le feu que le maître du feu”. De même il est interdit de brûler les morts en raison du récit de Mahomet: “Ce qui fait souffrir le vivant fait souffrir le mort”. L’islam insiste sur le fait que l’eau servant à laver le dé­funt doit être chauffée à un degré moyen supportable et ne le faisant pas souf­frir. On doit imaginer que le mort est vivant, ce dont on doit tenir compte pour ce qui pourrait lui faire du mal et ce qui lui serait utile. Ainsi l’eau ne sera pas chauffée à ébullition pour que sa peau ne soit pas pelée. À plus forte raison, il est interdit de brûler le mort.

Il n’existe pas de pratique d’incinération des morts musulmans dans les pays arabes parce que ce rituel se rattache à des religions et des groupes religieux non célestes. Une telle pratique ne se trouve ni chez les musulmans, ni chez les juifs, ni chez les chrétiens. Et je ne connais aucun musulman dans un pays occidental qui ait demandé à se faire incinérer, à moins d’avoir suivi avant sa mort d’autres enseignements que ceux de l’islam ou d’avoir changé sa religion. Et dans ce cas nous ne pouvons pas le compter parmi les musulmans ni en te­nir compte dans notre fatwa.

On remarque dans cette dernière fatwa la référence au récit de Ma­homet: “Ce qui fait souffrir le vivant fait souffrir le mort”. Or si on veut suivre ce récit, on ne devrait ni mettre le mort sous terre, ni le jeter dans la mer au cas où il mourrait sur un bateau puisque ces deux mesures appliquées à un vivant le font aussi souffrir.

Certes, l’incinération n’est pas d’usage chez les musulmans. Et comme c’est le cas chez les juifs et les chrétiens, la perception de l’incinération finira par changer aussi chez les musulmans si leurs intellectuels se mettent à la tâche.Mais le Coran permet un chan­gement dans ce domaine puisqu’il interdit de gaspiller inutilement de l’argent: “Donne au proche parent ce qui lui est dû ainsi qu’au pauvre et au voyageur en détresse. Et ne gaspille pas indûment” (17:26). De même, il interdit d’endommager la nature: “Mangez et buvez de ce qu’Allah vous accorde; et ne semez pas de troubles sur la terre comme des fauteurs de désordre” (2:60). Or si on fait dé­couvrir au musulman que rien en droit musulman n’interdit l’inciné­ration et qu’elle est plus respectueuse de l’environnement que l’en­sevelissement et bien plus économique, il ne peut qu’adhérer à cette pratique. D’ailleurs, certains musulmans recourent déjà à l’inciné­ration en Occident, notamment parmi ceux qui sont mariés à des non-musulmanes. Signalons ici que les autorités consulaires des pays musulmans refusent dans ce cas de faire rapatrier les cendres. Et si aujourd’hui les autorités religieuses juives, chrétiennes ou mu­sulmanes restent hostiles à l’incinération, c’est probablement parce que l’ensevelissement leur rapporte plus sur le plan financier et sur le plan du pouvoir. Pensez à toutes ces cérémonies qui entourent l’ensevelissement des morts et qui exigent l’intervention de ces au­torités!

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