L’incinération chez les juifs

L’Ancien Testament ne dit rien de l’incinération comme moyen de disposer du corps humain. Mais les milieux juifs ont été tradition­nellement opposés à cette pratique en se basant sur les versets sui­vants qui prescrivent l’enterrement:

À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise (Genèse 3:19).

Si un homme, coupable d’un crime capital, a été mis à mort et que tu l’aies pendu à un arbre, son cadavre ne pourra pas être laissé la nuit sur l’arbre; tu l’enterreras le jour même, car un pendu est une malédiction de Dieu (Deutéro­nome 21:22-23).

Ils signalent aussi que l’Ancien Testament prévoit quatre manières de mettre à mort un coupable, et une de ces manières est par le feu. Ainsi si un homme épouse une femme et sa mère, tous les trois se­ront brûlés (Lévitique 20:14); il en est de même de la fille d’un prêtre qui se prostitue (Lévitique 21:9). La mise à mort par le feu est considérée comme un moyen d’humilier les coupables (Josué 7:15 et 25; Isaïe 30:33). Amos condamne l’incinération des osse­ments du roi d’Edom (Amos 2:1).

Anchelle Perl, rabbin orthodoxe opposé à l’incinération, estime qu’elle a des effets sur le corps et l’âme. L’âme du juif qui n’a pas été enterré selon les rites erre dans le monde de l’imagination. In­capable de trouver un lieu de repos, elle est jetée entre les sphères de ce monde et le monde céleste. De ce fait, chaque juif doit s’ef­forcer, même à travers des sacrifices financiers, d’assurer à ses bien-aimés un enterrement en conformité avec la loi juive. L’enter­rement correspond à la vérité selon laquelle la vie d’une personne ne se termine pas; elle est éternelle. L’enterrement est une purifica­tion du corps et la semence de graines à travers lesquelles le mort poussera au moment de la résurrection. L’âme doit à cet effet se sé­parer du corps par la décomposition naturelle de ce dernier. Par l’incinération on brûle ces graines et on les détruit. Mais ce rabbin se hâte d’ajouter que les juifs victimes de l’Holocauste nazi et au­tres pogroms ne seront pas pour autant damnés. Il en est autrement de celui qui choisit librement de se faire incinérer. Et si une per­sonne insiste pour être incinérée, nous pouvons ne pas exécuter ses vœux.

Le rabbin Shraga Simmons précise que la décomposition du corps est cruciale. De ce fait, le corps doit être enterré rapidement, dans un cercueil de bois et non pas dans un mausolée qui retarde la dé­composition du corps. Si on pratique l’incinération, l’âme souffre à cause de son désengagement soudain et non naturel du corps. L’in­cinération en outre détruit un os appelé luz, terme araméen qui si­gnifie l’amande et désignerait le coccyx. Selon la légende juive, Dieu reconstruit le corps humain lors de la résurrection à partir de cet os.

Mais on relève que les israélites avaient brûlé le corps de Saül et de ses fils tombés dans la bataille, puis ils prirent leurs ossements et les ensevelirent (I Samuel 31:12-13). On a aussi estimé que l’im­portant pour l’Ancien Testament est que le mort soit mis en contact avec la terre le plus rapidement possible, quelle que soit la méthode utilisée. Des juifs libéraux ont aussi exploité le mythe de l’os luz selon lequel rien ne saurait le détruire, même pas le feu, pour af­firmer que l’incinération est permise. Le Grand Rabbin Marcus Nathan Adler de Grande-Bretagne a admis d’enterrer dans un ci­metière juif les cendres d’une personne incinérée en 1887. Et une décision de la Conférence centrale des rabbins américains de 1893 permet aux rabbins d’officier aux funérailles en cas d’incinération. Cette même position est adoptée par les rabbins réformés euro­péens. Mais du fait que l’incinération est associée à l’Holocauste, on estime aujourd’hui que les rabbins réformés devraient la décou­rager.

Répondant à une question sur l’incinération, un rabbin réformé dit qu’il encourage tous les juifs à suivre la coutume de l’ensevelisse­ment dans un cimetière juif. Mais si une personne exprime son dé­sir d’être incinérée, il présiderait à ses funérailles. Toutefois, comme compromis avec la tradition, il encourage la famille à met­tre les cendres dans un cimetière juif selon le rituel approprié. Ceci permet à une famille d’y venir pour faire son deuil, en présence des autres membres de la communauté juive. Il serait par contre opposé à une cérémonie de dispersion des cendres. La Conférence cen­trale des rabbins américains s’oppose au maintien des cendres dans une maison du fait que le Cohen (prêtre juif) pourrait ne pas y en­trer la considérant comme un cimetière.

Un rabbin conservateur affirme qu’il est interdit de disperser les cendres après l’incinération parce que l’incinération est en soi inter­dite du fait que le corps humain est à l’image de Dieu. Détruire l’homme c’est désacraliser cette image. Ceci aussi viole ce que Dieu a dit à Adam: “Tu es glaise et tu retourneras à la glaise” (Ge­nèse 3:19). Le corps doit donc être enterré pour qu’il se décompose en glaise de nouveau. D’autre part, comme les nazis ont brûlé le corps de leurs victimes, aucun juif ne doit volontairement faire ce que les nazis ont infligé aux juifs.

Signalons enfin que selon le Talmud, Maïmonide et autres sources juives, si une personne donne l’ordre avant sa mort que son corps ne soit pas enterré, on est tenu de ne pas exécuter son ordre.

Un juif demande aux responsables d’un temple réformé juif pour­quoi ils soutiennent une installation d’incinération. Ils répondent que selon Genèse 3:19 l’homme retournera à la terre. C’est la raison pour laquelle on utilise un cercueil en bois et on est enterré dans la terre et non pas dans un caveau en béton. Avec l’incinération on re­vient plus rapidement à la terre et on donne l’occasion d’accomplir un devoir religieux: il est mieux de donner l’argent pour la charité que de l’ensevelir dans la terre. En moyenne, l’inhumation coûte trois à quatre fois plus cher que l’incinération. L’argent épargné doit être dépensé pour la vie future, par exemple en plantant des arbres en Israël, en donnant une bourse d’étude pour une éducation juive, en soutenant des recherches médicales.

Selon nos informations, l’incinération n’est pas pratiquée en Israël parce que les questions des funérailles sont sous les auspices du rabbinat orthodoxe qui y est opposé. Le Rabbin Hervé Krief, de la communauté israélite de Lausanne, m’a informé qu’il est opposé à l’incinération. Il connaît des juifs incinérés en Suisse, mais person­nellement il refuse d’y officier.

Voir mon livre Cimetière musulman en Occident: Normes juives, chrétiennes et musulmanes, Createspace (Amazon), Charleston, 2e édition, 2012, 140 pages Amazon.fr

Comments are closed.

Powered by WordPress. Designed by WooThemes

%d blogueurs aiment cette page :