L’incinération a été connue dans la société grecque et romaine parmi les hautes classes. Ainsi Sulla, Pompée, César et Auguste ont été incinérés.
Pratiquée sur un bûcher qui dévorait d’énormes quantités de combustible, l’incinération ne pouvait convenir qu’aux riches. Les chrétiens ont été dès le début opposés à cette pratique pour différentes raisons dont l’imitation de Jésus enseveli dans une tombe, la croyance dans la résurrection des corps, et le souci de démocratisation. Certains chrétiens ont risqué leur vie pour sauver le corps de leurs martyrs de la destruction tout en estimant que cette destruction ne les privait pas pour autant de la résurrection. Saint Augustin (d. 430) écrit à ce propos que Dieu est capable, en vue de la résurrection des corps, de rappeler toutes les parcelles de notre corps dévorées par les bêtes, consumées par le feu, dissoutes en poussière ou cendres, décomposées dans de l’eau ou évaporées dans l’air. Tout ce qui a été pris du corps lui sera rendu, et le corps dans son ensemble sera ressuscité. La pratique de l’incinération a progressivement reculé dans l’empire romain sous l’effet de la christianisation, sans pour autant disparaître puisque le Concile de Paderborn (785) prévoit la peine de mort contre quiconque fait brûler un corps suivant la coutume païenne.
Au 19ème siècle, l’incinération a connu une nouvelle résurgence. Parmi ses défenseurs, on comptait, entre autres, la franc-maçonnerie qui voulait s’en servir comme moyen pour combattre la religion chrétienne. La réaction de l’Église catholique ne se fit pas attendre en décrétant l’interdiction de l’incinération.
Le 19 mai 1886, un décret du Pape Léon XIII déclare comme illicite “de s’affilier aux sociétés qui se proposent de promouvoir l’usage de l’incinération; et s’il s’agit de sociétés filiales de la franc-maçonnerie, on encourt les mêmes peines portées contre elle”. Il ajoute: “Si quelqu’un ordonne de n’importe quelle manière de livrer son corps à l’incinération, il est défendu d’accomplir cette volonté; si cette condition est apposée à un contrat, à un testament ou à un autre acte quelconque, on la considère comme non avenue”.
Un décret du 15 décembre 1886 dit que le cadavre des fidèles qui, par leur propre volonté, auraient fait choix de crémation, et, de notoriété certaine, auraient persévéré jusqu’à leur mort dans cette résolution, sera privé de la sépulture ecclésiastique selon les règles du rituel romain relatives aux pêcheurs publics. Un autre décret du 27 juillet 1892 interdit la célébration publique de la messe pour le repos de l’âme des personnes incinérées (mais on pourra toujours la célébrer en privé), à moins que la bonne foi ne les ait excusées”. Le Code de droit canon de 1917 a repris ces interdictions. Ainsi le canon 1203 stipule:
- 1Les corps des fidèles défunts doivent être ensevelis, leur crémation étant réprouvée.
- 2Il est interdit d’utiliser pour les cadavres le procédé de l’incinération. Toute stipulation en ce sens ne doit pas être exécutée par les ayants cause du défunt. Si elle est insérée dans un contrat, un testament ou un acte quelconque, elle doit être tenue pour non écrite.
Le canon 1204 prive “de la sépulture ecclésiastique, à moins qu’ils n’aient donné quelque signe de pénitence avant leur mort …. ceux qui ont ordonné que leur corps soit livré à l’incinération”.
Toutefois, cette position ferme de l’Église n’a pas empêché la progression de l’incinération dans les pays occidentaux sans que nécessairement cette progression soit une manifestation d’hostilité à l’égard de la religion. De ce fait, tout en continuant à marquer sa préférence pour l’ensevelissement des corps, l’Église catholique a fini avec Vatican II par accepter l’incinération. Ainsi, un décret du Saint Office du 5 juillet 1963 a reconnu que “l’incinération du cadavre ne touche pas l’âme et ne s’oppose pas à la Toute Puissance Divine de reconstituer les corps; d’un autre côté, elle ne constitue pas non plus la négation objective de ces dogmes”. Ce décret a aboli les peines de l’article 1204, sauf pour ceux qui pratiquent l’incinération pour des raisons anti-catholiques, sans pour autant adhérer au principe de l’incinération: “Pour que le sentiment religieux des fidèles à l’égard de la tradition chrétienne n’en pâtisse pas et pour que l’opposition de l’Église envers l’incinération apparaisse clairement, les rites des obsèques ecclésiastiques et les prières publiques subséquentes ne peuvent jamais se faire à l’endroit même où s’effectue l’incinération”.
Le Code de droit canonique de 1983 a effectué un nouveau revirement. Le canon 1176 §3 dit: “L’Église recommande vivement que soit conservée la pieuse coutume d’ensevelir les corps des défunts; cependant, elle n’interdit pas l’incinération, à moins que celle-ci n’ait été choisie pour des raisons contraires à la doctrine chrétienne”. Le canon 1184 §1.2 maintient la privation des funérailles ecclésiastiques, “à moins qu’ils n’aient donné quelque signe de pénitence avant leur mort, …. ceux qui auraient choisi l’incinération de leur propre corps pour des raisons contraires à la foi chrétienne”. Il y a donc un renversement de la présomption. Alors que le Code de droit canon de 1917 interdit l’incinération en présumant qu’il s’agit d’une mise en cause de la foi, sauf preuve de pénitence, le Code de 1983 permet l’incinération sauf s’il est prouvé qu’il s’agit d’une mise en cause de la foi. Le Catéchisme de l’Église catholique de 1997 dit à son paragraphe 2300: “Les corps des défunts doivent être traités avec respect et charité dans la foi et l’espérance de la résurrection. L’ensevelissement des morts est une œuvre de miséricorde corporelle (voir Tobie 1, 16-18); elle honore les enfants de Dieu, temples de l’Esprit Saint”. Le paragraphe 2301 al. 2 ajoute: “L’Église permet l’incinération si celle-ci ne manifeste pas une mise en cause de la foi dans la résurrection des corps”.
Bien que l’incinération soit plus largement diffusée parmi les protestants, on trouve
une opposition farouche de la part de certains milieux protestants contre cette pratique. C’est le cas de David W. Cloud, un pasteur baptiste américain. Voilà ses arguments:
L’incinération est une pratique païenne, et le Peuple de Dieu a toujours pratiqué l’enterrement. L’auteur mentionne le cas d’Abraham, de Sarah, de Rachel, d’Isaac, de Jacob, de Joseph, de Jean-Baptiste, de Jésus et d’Étienne. Le chrétien doit suivre l’exemple de ce peuple. Il invoque ici Paul qui dit: “Tout ce qui a été écrit dans le passé le fut pour notre instruction” (Romains 15:4); “Cela leur arrivait pour servir d’exemple, et a été écrit pour notre instruction” (I Corinthiens 10:11). L’Ancien Testament rapporte que Joseph a été enterré en Égypte pendant 400 ans et qu’ensuite son corps fut transporté par les juifs durant les 40 ans d’errance dans le désert afin de l’enterrer en Palestine (Genèse 50:24-25; Exode 13:19; Josué 24:32). Or il aurait été plus facile de l’incinérer et de transporter ses cendres, mais cela n’a pas été fait.
– Deutéronome 34:5-6 dit: “C’est là que mourut Moïse, serviteur de Yahvé, en terre de Moab, selon l’ordre de Yahvé; il l’enterra dans la vallée, au pays de Moab”. Dieu en personne aurait donc pratiqué l’enterrement.
– L’incinération est contre la foi dans la résurrection des corps. Certes le corps se décompose dans la tombe, mais le fermier enterre sa graine et ne la brûle pas, et ensuite cette graine pousse. Lorsque nous enterrons un être cher, nous plantons la graine pour la résurrection du corps. Cette résurrection du corps est exprimée dans Job 19:25-27 et dans différentes épîtres de Paul (Romains 8:22-23; I Corinthiens 15:20-23, 35-44 et 51-57; II Corinthiens 5:1).
– Les corps des chrétiens appartiennent à Dieu, et nous n’avons pas le droit d’en disposer par le feu ou par d’autres moyens. Cloud cite ici Paul (I Corinthiens 6:19-20).
Mais si on accorde une telle importance à l’enterrement et si on condamne l’incinération au nom de la foi dans la résurrection des corps, qu’en est-il de ceux qui meurent brûlés dans un incendie, ou ont choisi d’être incinérés? Seront-ils damnés? Cloud répond par une pirouette:
J’ai toujours rappelé … que la manière de disposer du corps n’a pas de conséquences éternelles. Bien que je croie fermement que l’incinération est contraire à l’Écriture et que le chrétien doit s’en abstenir, la question la plus importante est de savoir si ce décédé-là avait la foi en Jésus-Christ comme sauveur… L’âme de la personne sauvée va immédiatement après le décès pour être avec le Christ. L’âme de la personne damnée descend immédiatement après la mort en enfer. Ce qui a été fait au corps après la mort n’affecte ni la condition de l’âme ni la résurrection à venir. Ainsi, si un bien-aimé a été incinéré, il ne faut pas avoir de crainte le concernant. Cela est fait et n’a pas de conséquences éternelles. Si ce bien-aimé a été sauvé par le sang de Jésus-Christ, le fait qu’il ait été incinéré ne l’empêche pas d’entrer au paradis.
Cloud estime que si un bien-aimé souhaite se faire incinérer, ses proches doivent essayer de le convaincre de ne pas le faire.
La position des autorités religieuses orthodoxes, tant grecques que russes, est restée fidèle à la position chrétienne traditionnelle, continuant toujours à interdire l’incinération et à priver celui qui s’y soumet de rituel religieux. Le rejet est basé sur la sainteté intrinsèque du corps humain et sur la foi dans la résurrection des corps. Le lecteur intéressé trouvera la position de cette Église dans un article de Golubov de mars 1993. En plus des arguments qu’on trouve chez les juifs, les catholiques et les protestants, Golubov insiste sur le fait que l’incinération détruit les os qui, selon lui, préservent l’essence de l’âme, citant à cet égard de nombreux versets bibliques, notamment le texte d’Ézéchiel 37:1-14 qui décrit comment Dieu a fait revivre des os desséchés. Certes, dit Golubov, Dieu est capable de ressusciter même ceux qui ont été dévorés par le feu ou les animaux, mais l’incinération ne saurait être acceptée que dans des conditions très strictes lorsqu’elle est imposée par la loi du gouvernement et seulement pour la durée de cette loi. La décision de l’incinération n’appartient ni à l’individu, ni à la famille, ni même au clergé, mais à l’Évêque.
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