Zakariyya, décédé en mars 2010, est un professeur égyptien de philosophie, de gauche, mais qui s’est longuement attardé sur la question de l’application du droit musulman. Nous nous basons ici sur deux de ses ouvrages: Al-haqiqah wal-wahm fi al-harakah al-islamiyyah al-mu’asirah (Vérité et illusion dans le mouvement musulman contemporain), et Al-sahwah al-islamiyyah fi mizan al-‘aql (Éveil musulman à l’aune de la raison). Une traduction française de certains chapitres de ces deux ouvrages et d’un article de la revue Al-fikr du même auteur a paru à Paris en 1991 sous le titre Laïcité ou islamisme: les Arabes à l’heure du choix. Il est considéré par les islamistes comme ennemi de l’islam (voir 1, 2, 3, 4).
Cet auteur s’étonne de voir que l’expérience iranienne et soudanaise, et auparavant l’expérience saoudienne, pakistanaise et libyenne, n’aient pas amené les islamistes, notamment égyptiens, à réviser leurs idées. Dans toutes ces expériences le résultat était le même: des régimes très éloignés de la liberté, de la justice et de l’égalité, et en opposition avec toutes les valeurs que tendent de réaliser les religions et les philosophes depuis des temps immémoriaux. Comment peut-on dans ce cas confier son sort à des mouvements qui ne tiennent pas compte des expériences des autres?. Certains viennent dire que l’expérience soudanaise est une mauvaise expérience! Mais comment se fait-il que les frères musulmans en Égypte et au Soudan avaient applaudi l’application du droit musulman sous Numeiri? Après sa chute, ceux là qui avaient applaudi se sont tus ou ont changé d’avis cherchant des prétextes. Les islamistes citent toujours l’exemple de ‘Umar (d. 644), et cela suffit pour prouver qu’ils ne trouvent pas d’autres exemples à travers les 14 siècles que cet exemple-là, phénomène rare et qui ne s’est jamais répété en raison du caractère exceptionnel de ce calife. Que faire si toutes les expériences à travers les siècles ont échoué? Comment dans ce cas peut-on espérer que la période de ‘Umar (d. 644) se répète?
Zakariyya s’étonne aussi que les mouvements musulmans concentrent leurs réclamations sur les aspects formels, tels que les règles vestimentaires, la séparation des sexes, la barbe, voire l’application du droit pénal, mais ils oublient la justice et ne disent pas un seul mot sur la répartition inéquitable des richesses dans un pays comme l’Arabie saoudite qui prétend appliquer le droit musulman, ni sur les alliances militaires contraires aux intérêts de l’islam. C’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite finance ces mouvements islamistes en Égypte du moment qu’ils s’intéressent aux aspects formels et non pas aux actes de justice et d’équité. Cette Arabie mobilise l’islam pour la sauvegarde des intérêts des pays occidentaux qui exploitent les Arabes, au lieu d’exploiter ses richesses dans l’intérêt de l’islam. De ce fait, ces mouvements musulmans n’effrayeront pas les Occidentaux tant qu’ils n’aborderont pas dans le sens de la justice et de l’égalité. Bien au contraire, ces mouvements servent les intérêts de l’Occident du fait qu’ils mettent au pas les mouvements démocratiques dans les pays arabes, favorisent un esprit de bigoterie dégradant de l’intellect. Jamais les mouvements islamistes n’ont établi de programme en vue de l’équité sociale, de la distribution équitable des richesses résultant du pétrole et de leur utilisation pour aider les pays musulmans pauvres. Ont-ils jamais porté un jugement sur les dépenses stupides des musulmans riches de biens dont ont besoin les générations futures?
Le groupe islamiste Al-Jihad, responsable de l’assassinat de Sadate, selon Zakariyya, offre une application concrète du caractère formel des réclamations des islamistes. D’après les différentes déclarations de ses membres devant les tribunaux, l’assassinat de Sadate n’a pas été motivé par la conclusion du traité de paix avec Israël (comme certains prétendaient), ou par l’injustice sociale qui caractérise le règne de ce président. On lui reproche d’avoir refusé d’appliquer le droit musulman, de s’être moqué du voile de la femme qu’il qualifiait de “tente”, d’avoir modifié le code de statut personnel, d’avoir été démocrate, la démocratie étant considérée par eux comme contraire à l’islam puisque cela signifie que les représentants du peuple pouvaient légiférer sans nécessairement se référer au Livre de Dieu.
Les mouvements islamistes avancent comme arguments pour l’application du droit musulman le fait que ce droit soit d’origine divine, par opposition au droit positif, qui est d’origine humaine. Ils ajoutent que la situation actuelle est le résultat de l’application de ce droit positif. Selon Zakariyya, une telle présentation des choses est attrayante, mais fausse. Car en fait, les normes du droit musulman qui peuvent être considérées comme divines sont trop peu nombreuses et, pour parvenir à les appliquer il faut l’œuvre des êtres humains, ce qui donne lieu à toute sorte d’interprétation divergente. Ainsi, le principe de la bienfaisance prescrit par le Coran, comment peut-on l’appliquer comme tel? Et comment appliquer le principe de la shura (consultation, prévue par les versets 3:159 et 42:38)? Un tel principe a été interprété par Khalid Muhammad Khalid comme impliquant le parlementarisme, le multipartisme et la liberté de presse. Mais les courants musulmans sont loin d’accepter une telle interprétation. En déduisant que la shura équivaut à la démocratie dans le sens moderne, Khalid ne l’a pas appris du texte, mais plutôt de ses connaissances et de son expérience actuelle. Le texte existait depuis 14 siècles, comment se fait-il qu’il n’a jamais été compris dans le sens moderne de la démocratie? En fait Khalid agit exactement comme ceux qui cherchent dans des versets coraniques toute sorte de sciences. A posteriori. Si au moins ils avaient découvert de telles sciences avant que les autres les découvrent, alors on les croirait. Mais a posteriori, ils font un effort stérile qui n’avance à rien. Si vous mettez la shari’ah entre les mains des gens rétrogrades, ils verront d’elle ce que leurs âmes leur inspirent.
Les islamistes veulent l’application du droit pénal qui vise à punir ceux qui commettent des délits. Zakariyya se demande s’il ne faut pas plutôt commencer par l’aspect positif du droit musulman. Est-ce que le droit pénal mettra fin au problème du développement, du chômage, de la pauvreté et de la famine? D’autre part, comment peut-on appliquer les peines musulmanes dans la situation actuelle? Peut-on couper la main d’une personne qui cherche son pain dans une société inéquitable? Peut-on punir de lapidation celui qui commet l’adultère dans une société où les jeunes ne trouvent pas le moyen pour se marier et pour se loger? “Commencez par garantir aux gens un minimum d’équité et de vie humaine, et ensuite appliquez contre eux la peine prévue pour le vol”.
Je donne ici des vidéos en arabe comportant l’intervention de Fu’ad Zakariyya dans une rencontre au Caire concernant l’islam et la laïcité en 1984
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