Nous allons dans ce billet parler des rapports entre musulmans et non-musulmans en pays de mécréance.
“La démocratie n’a rien à voir avec l’islam. Les lois c’est Allah qui les donne. (…) Préparez-vous à déménager, les musulmans sont venus ici pour dominer. (…) Celui qui n’accepte pas le niqab, qu’il déménage, qu’il change de pays. On va faire de la Belgique un État islamique.” (Un musulman, membre du groupe Sharia4Belgium).
1. Division du monde entre Terre de l’Islam et Terre de la mécréance ou de la guerre
Les juristes musulmans classiques considèrent comme Terre d’islam (Dar al-islam) toutes les régions passées sous domination musulmane, que les habitants soient musulmans ou non. De l’autre côté de la frontière se trouve la Terre de guerre (Dar al-harb), appelée souvent Terre de mécréance (Dar al-kufr) qui, un jour ou l’autre, devra passer sous domination musulmane, et ses habitants à plus ou moins longue échéance devront se convertir à l’islam.
La Terre de guerre peut bénéficier d’un traité de paix temporaire, devenant ainsi Terre de traité (Dar ‘ahd). D’après Abu-Yusuf (d. 798), le grand juge de Bagdad, “il n’est pas permis au représentant de l’Imam de consentir la paix aux ennemis quand il a sur eux une supériorité de forces; mais s’il n’a voulu ainsi que les amener par la douceur à se convertir ou à devenir tributaires, il n’y a pas de mal à le faire jusqu’à ce que les choses s’arrangent de leur côté”. Abu-Yusuf ne fait que paraphraser le Coran: “Ne faiblissez pas et n’appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus élevés” (47:35).
II. Doctrine de la migration
Pour échapper aux persécutions, Mahomet, accompagné de certains de ses adeptes, quitta en 622 la Mecque, sa ville natale, et se dirigea vers Yathrib, la ville de sa mère, devenue Médine. C’est le début de l’ère musulmane dite ère de l’Hégire, ère de la migration. Ceux qui quittèrent la Mecque pour aller à Médine portèrent le nom de Muhajirun (immigrés). Ceux qui leur portèrent secours furent appelés Ansar. Des musulmans, cependant, restèrent à la Mecque et continuèrent à vivre secrètement leur foi. Contraints de participer au combat contre les troupes de Mahomet, certains y perdirent la vie. Ce drame est évoqué dans le passage suivant qui leur reproche de rester à la Mecque:
Ceux, oppresseurs envers eux-mêmes, que les anges rappellent, [les anges leur] disent: “Où en étiez-vous?” Ils disent: “Nous étions affaiblis sur terre”. [Les anges] diront: “La terre de Dieu n’était-elle pas [assez] large pour que vous y émigriez?” Ceux-là la géhenne sera leur abri. Quelle mauvaise destination! À l’exception des affaiblis parmi les hommes, les femmes et les enfants, qui ne peuvent ni [trouver] une ruse ni se diriger sur aucune voie (4:97-98).
Ce passage prescrit à tout musulman, vivant en pays de mécréance, de quitter son pays pour rejoindre la communauté musulmane, s’il le peut. D’autres versets vont dans le même sens (4:100; 9:20). Le but de cette migration est de se mettre à l’abri des persécutions, d’affaiblir la communauté mécréante et de participer à l’effort de guerre de la nouvelle communauté. Aussi, le Coran parle-t-il conjointement de ceux qui ont émigré et ont fait le jihad (2:218; 8:72, 74 et 75; 8:20; 16:110).
Les juristes musulmans classiques estiment que la migration vers la Terre d’islam continuera tant que persistera la division entre la Terre d’islam et la Terre de mécréance. S’appuyant sur l’autorité de Malik (d. 795), Ibn-Rushd (d. 1126), imam de la Mosquée de Cordoue et grand-père d’Averroès, affirme que l’obligation de migration est maintenue jusqu’au jour de la résurrection. Il demande à l’autorité musulmane d’installer sur les routes des contrôles afin que personne ne puisse se rendre dans ce genre de pays, notamment s’il transporte ce qui est interdit et qui pourrait renforcer les mécréants dans leurs guerres contre les musulmans. Dieu, dit-il, a fixé à chacun une destinée à laquelle il parviendra et les richesses qu’il obtiendra.
En application de cette doctrine de la migration, les musulmans ont quitté les pays qui ont été reconquis par les chrétiens. Ainsi, en 1091, la reconquête chrétienne de la Sicile fut achevée après une occupation musulmane d’un peu plus de 270 années. Un grand nombre de musulmans quittèrent l’île pour se réfugier de l’autre côté de la Méditerranée. Avec la capitulation de Tolède en 1085, la grande majorité des musulmans quittèrent la ville. Concernant ceux qui pouvaient quitter, Al-Wansharisi (d. 1508) est d’avis, dans deux fatwas datant de 1484 et 1495, qu’ils ne devaient pas rester. Il estime que la migration de la Terre de mécréance vers la Terre d’islam reste un devoir jusqu’au jour de la résurrection.
L’intérieur de la Grande Mosquée de Cordoue , aujourd’hui la cathédrale de Cordoue
3. Frontière religieuse et migration actuelle
Au début de la colonisation occidentale, certains juristes et leaders musulmans ont appliqué la règle musulmane de la migration. Un nombre non négligeable de musulmans a ainsi émigré d’Afrique du Nord pour la Turquie. En 1920, une grande vague de migration a eu lieu de l’Inde vers l’Afghanistan, après que la première ait été déclarée Terre de mécréance. Cette migration s’est avérée catastrophique pour ces émigrants qui devaient, par la suite, revenir en Inde démunis et frustrés. Des centaines parmi eux sont morts en quittant l’Inde, puis au retour.
La majorité des musulmans fut cependant obligée de rester et ils durent, ainsi que leurs chefs et leurs enseignants, s’adapter à une nouvelle réalité, et ce d’autant plus que les régimes coloniaux furent, en règle générale et dans leur propre intérêt, tolérants en matière religieuse. Ils permirent aux musulmans de pratiquer librement leur religion, de maintenir et d’appliquer leurs propres lois avec leurs propres tribunaux et leurs propres juges sur de nombreuses questions sociales, civiles et économiques.
Aujourd’hui, avec la fin de la colonisation, s’est posé le problème inverse, celui de l’émigration des musulmans vers les pays non-musulmans qui les colonisaient auparavant. Certains de ces musulmans ont même acquis la nationalité de ces pays. Il y a aussi le problème des citoyens des pays non-musulmans convertis à l’islam et celui des minorités musulmanes autochtones qui vivent dans des pays à majorité non-musulmane comme c’est le cas dans les Balkans, en Israël ou aux États-Unis. Faut-il demander à tous ces musulmans de quitter les pays non-musulmans et d’immigrer dans les pays musulmans?
Le Guide du musulman à l’étranger, publié par une maison d’édition chi’ite libanaise en 1990, établit les règles suivantes:
– Il est interdit au musulman d’aller en Terre de mécréance s’il y a le risque de porter atteinte à la religion, quel que soit l’objectif du voyage: tourisme, études, commerce ou séjour permanent. On entend par atteinte à la religion tout péché, petit ou grand: raser la barbe, serrer la main à une femme étrangère, abandonner la prière et le jeûne, manger de la nourriture impure, consommer de l’alcool, etc.
Si le risque de l’atteinte à la religion concerne uniquement la femme et les enfants, le musulman ne doit pas les prendre avec lui. De ce fait, le guide ne parle que des devoirs du musulman et non pas de la musulmane.
– Si le musulman est contraint de voyager en Terre de mécréance pour se soigner ou pour d’autres raisons importantes tout en risquant de porter atteinte à sa religion, ce voyage n’est permis que dans les limites du nécessaire.
– Dans tous les cas, il est préférable de ne pas vivre en compagnie des pécheurs ou de ceux qui sont dans l’erreur, à moins d’une raison valable. Celui qui vit parmi les pécheurs subit les malédictions qui les frappent. Celui qui vit dans une société de musulmans bénéficie des bénédictions qui retombent sur eux.
Quant à ceux qui sont contraints d’aller en Terre de mécréance, ils doivent se conformer aux normes musulmanes, normes largement développées par ce guide. Mentionnons-en certaines:
– Accomplir les prières quotidiennes. Ne pas manger de la nourriture impure, ne pas boire l’alcool et ne pas s’asseoir à une table où on consomme de l’alcool. Ne pas se diriger vers la Mecque en accomplissant les besoins naturels du fait que les toilettes en Occident ne respectent pas cette norme.
– Ne pas toucher une femme étrangère. Le mariage avec une femme païenne ou ayant quitté l’islam est interdit. Le mariage avec une juive ou chrétienne doit être de préférence temporaire. Si la femme est vierge, il faut demander l’autorisation de son père. En cas de divorce, il est interdit de laisser les enfants à la femme. Sauf en cas de nécessité, la femme doit se faire soigner par un médecin femme ou une infirmière, et l’homme par un médecin homme ou un infirmier quand le soin implique les attouchements ou le regard de la partie honteuse (‘awrah).
– Ne pas enterrer un musulman dans le cimetière des mécréants sauf en cas de nécessité lorsqu’il n’est pas possible de ramener le corps dans un pays musulman.
– Il est permis de travailler dans un supermarché à condition de ne pas être chargé de vendre du porc ou de l’alcool. Il est interdit de vendre ou d’acheter des billets de loterie ou des instruments de musique.
– Pour les étudiants en médecine: éviter de se mêler aux femmes, et si c’est impossible, éviter de se laisser influencer. Ne pas toucher le corps de la femme et ne regarder sa partie honteuse que si cela entre dans le cadre des soins administrés. Ne pas visualiser un dessin du corps humain avec concupiscence. Ne pas s’exercer sur un cadavre musulman, sauf si la vie d’un musulman en dépend et lorsqu’il n’existe pas de cadavre non-musulman.
– Se soucier de convertir les mécréants à l’islam. Ceci est une manière de racheter sa faute d’avoir quitté la Terre d’islam.
4. Naturalisation des musulmans
Malgré l’opposition de la doctrine musulmane, l’émigration des musulmans vers les pays occidentaux est un phénomène inéluctable que les pays musulmans ne sauraient empêcher, sauf à assurer à leurs ressortissants une sécurité matérielle et une liberté intellectuelle satisfaisantes. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Et le problème aujourd’hui n’est pas d’empêcher les musulmans d’émigrer, mais plutôt de ne pas les perdre définitivement, notamment à travers la naturalisation.
Un ouvrage en arabe, paru à Paris en 1988 et réédité en 1993, est consacré à la naturalisation. Le titre de cet ouvrage en dit long: “Le changement de nationalité est une apostasie et une trahison”. Son auteur, très probablement un Algérien, estime que le musulman qui opte pour la nationalité d’un pays non-musulman est un apostat du fait qu’il a commis un acte interdit par le Coran et la Tradition de Mahomet. Ce musulman doit donc renoncer à cette nationalité pour que Dieu lui pardonne ce péché. Celui qui reste dans sa nouvelle nationalité et meurt aura comme sort l’enfer.
Une fatwa saoudienne no 4801 de 1982, concernant un imam algérien en France (probablement le cheikh Hamza Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris) qui voulait savoir s’il pouvait acquérir la nationalité française, affirme: “Il n’est pas permis d’acquérir volontairement la nationalité d’un pays mécréant du fait que cela implique l’acceptation de ses normes, la soumission à ses lois, l’assujettissement et l’alliance avec ce pays. Or, il est clair que la France est un pays mécréant en tant que gouvernement et en tant que peuple, et tu es un musulman. Il ne t’est donc pas permis d’acquérir la nationalité française”.
Le cheikh Hamza Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, enterré dans les sables au milieu du Sahara en 1995 (loin des mécréants?)
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