Nous avons vu dans les précédents articles les normes relatives au vin chez les juifs, les chrétiens et les musulmans. Dans cet article et les prochains articles nous verrons les interdits alimentaires dans les trois communautés religieuses pour voir les similitudes et les différences entre elles.
Remarquons ici qu’on trouve des interdits alimentaires partout dans le monde, et ces interdits diffèrent d’un groupe social à l’autre, même si parfois ils se recoupent. Rares sont les gens qui sont omnivores. Mais seules les normes juives, chrétiennes et musulmanes nous intéresseront ici.
Interdits alimentaires chez les juifs
Les interdits alimentaires chez les juifs trouvent leurs sources dans la Bible, complétée par la Mishnah et le Talmud. Les aliments permis sont appelés de nos jours aliments cacher, c’est-à-dire adéquats, propres à la consommation. Le terme cacher est utilisé pour d’autres choses que les aliments. Ainsi on dit un témoin cacher lorsqu’il remplit les conditions légales, et un rouleau de la Torah cacher lorsqu’il est sans faute. La Bible parle d’animal pur (tahor) et d’animal impur (tame), termes que nous utilisons dans ce texte. Les normes juives relatives aux interdits alimentaires peuvent être résumées comme suit:
Les mammifères terrestres
Ne sont considérés comme purs que les animaux ruminants ayant des sabots fourchus (Dt 14:6). La Bible en nomme dix expressément: le bœuf, le mouton, la chèvre, le cerf, la gazelle, le daim, le bouquetin, l’antilope, l’oryx et le mouflon. (Dt 14:4-5). Tous les autres mammifères à qui il manque une de ces caractéristiques ou les deux sont impurs, donc interdits. C’est le cas du chameau, du lapin et du daman qui ruminent mais n’ont pas de sabots fourchus, et du porc qui a le sabot fourchu mais ne rumine pas (Dt 14:7-8). La Bible nomme dans cette dernière catégorie 42 animaux impurs.
Les oiseaux
Les oiseaux sont purs à l’exception de 24 espèces considérées impures dont la liste est compilée à partir du Lv 11:13-19 (qui en nomme 20) et Dt 14:12-18 (qui en nomme 21), entre autres l’aigle, l’autruche, le pélican, la cigogne, le hibou, etc. Dans la pratique sont considérés comme purs les oiseaux domestiques (poule, caille, canard, oie, etc.) et comme impurs les oiseaux sauvages et en particulier les oiseaux de proie. Il n’est pas aisé aujourd’hui d’identifier tous ces oiseaux interdits. Aussi, certains canards et pigeons sont consommés après identification de l’espèce par un connaisseur. Le faisan est considéré comme pur par la communauté juive allemande, et impur par les autres. Les oeufs des oiseaux impurs sont impurs. Le Talmud donne comme indice pour les oeufs impurs le fait qu’ils soient ronds.
Les animaux aquatiques
Ne sont purs que les animaux aquatiques qui ont des nageoires et des écailles (Lv 11:9-12). Tous les poissons à qui il manque soit nageoires, soit écailles ou les deux ainsi que tous les crustacés, les coquillages, les fruits de mer sont impurs. L’espadon a posé problème. Les Sépharades le permettent, alors que les Ashkénazes d’Angleterre l’interdisent
Toutes les autres espèces
Toutes les autres espèces comme les rongeurs, les reptiles, les batraciens, les insectes et les invertébrés sont impures. La Bible cependant excepte quatre sortes de sauterelles comestibles (Lv 11:22). Mais il est difficile de les identifier aujourd’hui. Et bien que l’abeille soit un animal interdit, son miel peut être mangé.
Les produits de la terre
Les produits de la terre sont purs, à l’exception des fruits (dits orlah) d’un arbre pendant les trois premières années (Lv 19:23) et une portion (dite halah) de pain ou de gâteau préparé avec une de cinq céréales (blé, orge, épeautre, avoine et seigle), portion remise alors aux prêtres. La maîtresse de maison prélève un petit morceau de pain et de gâteau et le brûle.
Les boissons
Nous laisserons de côté les normes relatives au vin traitées dans les précédents articles. Les jus de fruits et de légumes, tout comme les fruits et les légumes, sont propres à la consommation. Le lait des animaux purs, comme le lait de vache, est autorisé alors que le lait des animaux impurs, comme le lait d’ânesse, est interdit.
Yediot Ahranot, journal israélien en hébreu, rapporte qu’en avril 2000 le Grand rabbinat en Israël a ordonné aux fermiers juifs, sous menace de ne pas leur livrer le certificat de pureté, de jeter environ 2.4 millions de litres de lait dont le prix est estimé à $2.5 millions. La raison: on avait découvert que des non-juifs (Gentils) avaient été impliqués dans la production du lait. Ce lait a été alors jeté dans les caniveaux.
Les aliments sacrificiels aux idoles
Pour que les animaux purs et le vin restent purs, il ne faut pas qu’ils soient dédiés aux libations d’un culte idolâtre. La consommation d’un tel aliment sacrificiel est assimilée à une participation à ce culte (Ex 22:19). De ce fait, la fabrication du vin doit être contrôlée par un juif depuis le début jusqu’à la fin.
Le sang
La consommation du sang est interdite « car le sang c’est l’âme et tu ne dois pas manger l’âme avec la chair » (Dt 12:23; voir aussi Gn 9:4; Lv 17:12-14). De ce fait, l’animal doit être égorgé pour le vider de son sang, et ensuite sa viande est salée deux fois et rincée avec de l’eau trois fois pour supprimer toute trace de sang. On peut aussi recourir au grillage de la viande directement sur la flamme, et le jus ne peut alors être récupéré. Le foie ne peut être vidé de son sang que par cette méthode, comme certains autres abats. Comme conséquence de cette norme, il est interdit de consommer un membre d’un animal vivant (Gn 9:4).
La bête morte et l’abattage
Est liée à la norme précédente l’interdiction de manger les mammifères et les oiseaux morts de mort naturelle ou abattus de façon non rituelle (Dt 14:21; Ex 22:30). Celui qui viole cette interdiction doit se purifier (Lv 17:15 et 22:8; Ez 4:14). L’abattage rituel consiste au moyen d’un couteau parfaitement aiguisé à trancher, le plus rapidement possible et en causant le minimum de souffrances à l’animal, la trachée-artère, l’œsophage, la veine jugulaire et la carotide. Le boucher doit être juif. La Bible prévoit de donner la viande d’une bête morte aux chiens (Ex 22:30) ou de la donner ou la vendre aux non-juifs (Dt 14:21). On y reviendra. Seuls les poissons et les sauterelles n’ont pas besoin d’être abattus rituellement.
Le boucher doit enlever le suif (graisse de l’animal), jadis interdit à la consommation car il faisait partie des sacrifices au Temple de Jérusalem (Lv 4:19). Il en est de même du nerf sciatique (Gn 32:33). Et comme il est difficile d’enlever ce nerf on a décidé de renoncer à la consommation du quartier arrière de tous les mammifères. Le nerf sciatique des oiseaux n’est pas enlevé..
L’animal abattu doit être parfait, ni malade, ni blessé (Ex 22:30; Lv 17:15), ni castré. L’abattage est suivi d’un examen anatomique de la bête, et toute lésion est discutée pour savoir si elle rend ou non l’animal impropre à la consommation. Selon les normes juives, ne peuvent être abattus que des animaux ayant certains critères de santé, et à ce titre l’anesthésie préalable par électrocution, ou l’étourdissement à la masse ou au pistolet sont incompatibles avec l’abattage rituel. Nous verrons lorsque nous parlerons des musulmans que de telles normes sont discutables.
La chasse
N’ayant pas trouvé d’information dans les livres sur la chasse, j’ai posé la question suivante sur Internet:
Est-ce qu’un Juif peut s’adonner à la chasse des oiseaux ou des autres animaux terrestres (avec quels moyens?) et les manger (lorsqu’il s’agit d’oiseaux et d’animaux permis)?
Un rabbin m’a répondu:
Un juif ne peut s’adonner à la chasse pour deux raisons essentielles:
– L’animal consommé doit être tué rituellement, c’est-à-dire la gorge tranchée par une lame sans défaut.
– Il est interdit de causer une souffrance quelque soit à un animal.
Un autre rabbin m’a donné une réponse aussi catégorique:
Pour consommer un animal, nous devons obligatoirement le tuer rituellement. Le chasser pour le manger n’est donc pas autorisé.
Un troisième rabbin m’a donné des informations plus nuancées dont je cite l’extrait suivant:
Un auteur du 17ème siècle, le « Noda Biyehouda » résume la réponse en trois points:
Chasser pour le plaisir (et non pour se nourrir) contrevient à trois règles:
– L’interdiction de faire souffrir les animaux, découlant de l’obligation de décharger un animal ployant sous sa charge (Exode 23, 5).
– L’interdiction de détruire quoi que ce soit si ce n’est dans un but constructif, découlant de Deutéronome 20, 19.
– La chasse est une des particularités d’Ésaü et de Nemrod, grands chasseurs de la Bible. Il ne sied pas aux descendants d’Abraham, Isaac et Jacob de suivre le mode de vie de ces deux célébrités qui ayant commencé par chasser le gibier en sont venus à chasser les femmes puis à tuer les hommes sans aucune pitié. C’est pourquoi les Juifs n’ont jamais été connus pour être des chasseurs.
Dans le même ordre d’idées, la pêche n’est permise que pour s’en nourrir et non « pour le plaisir ». Il est attendu d’un juif respectant la Torah d’autres plaisirs que la chasse et la pêche: l’étude, la pratique des Commandements, et notamment la bonté envers les individus et la totalité des créatures de Dieu.
Et comment chasser pour manger? Il est clair que chasser au fusil ou à l’arc, voire les pièges agressifs peuvent rendre l’animal interdit soit en le tuant, et le rendant interdit, soit en portant des lésions graves qui le rendent impropres à l’abattage rituel nécessaire. Il reste les filets pour attraper les animaux permis à la consommation.
Nous verrons dans l’article suivant d’autres normes juives relatives aux aliments.
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