Application du droit musulman dans les pays musulmans
Les tensions entre l’islam et l’Occident ne sont que le reflet des tensions qui existent entre les régimes des pays musulmans et leurs citoyens musulmans. Ceux-ci souhaitent l’application aujourd’hui du droit musulman créé pour des bédouins au septième siècle, estimant que ce droit d’origine soi-disant divine est le meilleur système qui existe en tout temps et en tout lieu, même en Occident. Nous verrons dans ce billet les tensions à l’intérieur des pays musulmans.
“La Shariah est l’avenir pour le Royaume-Uni”
Le droit musulman c’est quoi?
Le terme shari’ah signifie le chemin qui mène à l’abreuvoir, au courant d’eau qui ne se dessèche pas. Aujourd’hui encore, on utilise le terme shari’ pour désigner la route. Il revient, sous différentes formes, quatre fois dans le Coran pour indiquer les prescriptions, la législation. Nous en citons un verset:
“Il vous a légiféré (shara’a) en matière de religion, ce qu’il avait enjoint à Noé, ce que nous t’avons révélé, ainsi que ce que nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus: “Établissez la religion; et ne vous séparez pas à son sujet” (42:13).
Un auteur musulman contemporain définit la shari’ah comme étant:
“Les normes transmises par la révélation à Mahomet qui améliorent l’état des gens en ce qui concerne leur vie terrestre et l’autre vie, que ce soit des normes d’ordre dogmatique, cultuel ou éthique”.
On utilise aussi le terme fiqh qui signifie étymologiquement la compréhension, la connaissance. Chez les juristes musulmans, le fiqh désigne le savoir par excellence, le savoir religieux qui consiste à connaître les droits et les devoirs de l’homme.
Le savant religieux qui s’occupe du droit musulman est désigné par le terme faqih. Ce personnage s’occupe non seulement des aspects temporels (comme par exemple le contrat de vente) mais aussi des aspects religieux (comment accomplir la prière et le pèlerinage).
On assimile le droit musulman à un arbre.
Il est composé de deux parties : les racines (usul) et les branches (furu’)
Application actuelle du droit musulman
Les constitutions de la plupart des pays arabes et musulmans indiquent l’islam comme religion d’État et/ou le droit musulman comme une source, voire la source principale du droit des pays en question. Malgré cela, le système juridique de ces pays est composé principalement de lois inspirées par le droit occidental, à commencer par la constitution elle-même, le code civil, le code pénal, le code de procédure civile et pénale, le droit administratif, etc. À côté de ces lois, ces pays ont gardé des normes musulmanes dans le domaine du statut personnel et, pour certains, du droit pénal comme c’est le cas en Arabie saoudite.
Les pays qui ont des communautés religieuses non-musulmanes ont aussi maintenu leurs lois de statut personnel ainsi que leurs propres tribunaux, si l’on excepte l’Égypte. La Turquie constitue le pays musulman qui a connu la plus profonde évolution puisqu’il a unifié aussi bien les tribunaux que les lois dans ce domaine très sensible, en optant pour le code civil suisse.
On peut dire que sur le plan formel le droit musulman couvre peu de domaines. Mais dans la réalité il joue un rôle important dans presque tous les aspects de la vie. Ainsi, il sert de référence pour déterminer ce qui est licite et ce qui est illicite dans les domaines de l’éthique sexuelle (mixité entre hommes et femmes, rapports sexuels hors mariage, etc.) et médicale (avortement, procréation artificielle, planification familiale, tabagisme, etc.), de la tenue vestimentaire, des interdits alimentaires, des limites du sport, des restrictions sur le plan artistique et de la liberté d’expression, de l’économie (intérêts pour dettes et activités bancaires, paris et jeux de hasard, assurances, impôt religieux, etc.), du travail de la femme et sa participation à la vie politique, de l’intégrité physique (circoncision masculine et féminine), etc.
Le cheikh Jad-al-Haq de l’Azhar a toujours été en faveur de l’excision des filles
Revendications des milieux intégristes
Les milieux religieux estiment que le droit musulman doit absolument tout régir, et surtout il doit remplacer les lois d’origine occidentale. La mention de l’islam en tant que religion de l’État et du droit musulman en tant que source principale du droit leur sert de levier pour mettre en question la réception de ces lois et prôner le retour à l’application du droit musulman.
Ceci pose cependant un problème: que faut-il prendre de ce droit? Les islamistes souhaitent que les normes musulmanes actuellement en vigueur dans les pays musulmans soient maintenues et renforcées. C’est le cas dans le domaine du droit de la famille avec ses restrictions contraires aux droits de l’homme: interdiction du mariage d’une musulmane avec un non-musulman, inégalité en matière successorale entre homme et femme, etc. En outre, les islamistes souhaitent la suppression du code pénal actuel pour le remplacer par un code pénal musulman comportant des normes contraires à la tendance de l’humanisation des sanctions et du respect de la liberté religieuse: amputation de la main du voleur, lapidation pour le délit d’adultère, application de la loi du talion en cas de coups et blessures, mise à mort de l’apostat, etc. D’autre part, ils souhaitent interdire le système bancaire actuel et établir un système bancaire musulman. Mais la liste des normes musulmanes à réhabiliter risque d’être encore plus longue: interdiction du travail de la femme, interdiction de la musique et du cinéma, démolition des statues, imposition de la jizyah (tribut) pour les non-musulmans et exclusion de ces derniers du parlement.
Et pourquoi pas le retour à l’esclavage? Al-Mawdudi (d. 1979), le grand savant religieux pakistanais, répliquant à un auteur qui nie l’esclavage dans l’islam, dit: “Est-ce que l’honorable auteur est en mesure d’indiquer une seule norme coranique qui supprime l’esclavage d’une manière absolue pour l’avenir? La réponse est sans doute non”. Le Cheikh Salah Abu-Isma’il, parlementaire égyptien, défend ouvertement le retour à l’esclavage pour les femmes ennemies qui tombent dans les mains des musulmans comme prisonnières. Un professeur égyptien, docteur en droit de la Sorbonne, propose un projet de loi en conformité avec le droit musulman qui devrait remplacer les Conventions de Genève, avec pour conséquences le retour à l’esclavage.
Le Pakistanais Al-Mawdudi et l’Égyptien Salah Abu-Ismaïl sont pour le retour à l’esclavage
Ces quelques références démontrent, si besoin est, que la demande de revenir au droit musulman est élastique et peut toujours nous réserver des surprises. Un peu comme la poupée russe, la matiochka.
Le droit musulman nous réserve toujours des surprises comme la matiochka
Après tout, qui a le droit de dire ce qui fait partie du droit musulman et ce qui n’en fait pas, et quelle est la partie de ce droit à appliquer et celle à abandonner? La réponse à de telles questions dépend des forces en présence et des possibilités de mettre en pratique les idées héritées du passé. Les excès des Talibans en Afghanistan fournissent un exemple vivant.
Retour par tous les moyens
Les intégristes font usage de tous les moyens possibles et imaginables pour parvenir à leurs fins. Parmi ces moyens
– Contestation de la constitutionnalité des lois existantes devant les cours suprêmes, dans le but d’invalider ces lois.
– Demande aux juges de faire de la désobéissance civile: on encourage les juges à refuser l’application du droit en vigueur et à rendre leurs sentences uniquement en vertu du droit musulman classique.
– Procès et menace physique contre les adversaires : ceux qui rejettent l’application du droit musulman sont traînés devant les tribunaux afin d’obtenir leur divorce avec leurs conjoints puisqu’un apostat ne peut pas se marier avec une musulmane. Or, disent-ils, ceux qui refusent l’application du droit musulman sont des apostats. Ces opposants sont tués, réduits au silence ou contraints à quitter le pays.
Farag Fodah assassiné en Egypte, et son compatriote Nasr Abu-Zayd divorcé de sa femme et exilé aux Pays-Bas
– Révolte armée: comme cela se passe en Algérie… avec son lot effroyable de morts, de blessés et de viols. La guerre civile dans ce pays s’étendra tôt ou tard à d’autres pays musulmans.
Cette situation crée une ambiance de terreur
– parmi les régimes locaux
– parmi intellectuels libéraux musulmans
– parmi les minorités non-musulmanes.
Cette peur est justifiée par
– Les intentions implicites ou explicites des mouvements musulmans, à travers les modèles de Constitutions déjà préparés.
– Les expériences dans les pays fondamentalistes (comme l’Arabie séoudite), ou ceux qui sont devenus fondamentalistes (comme l’Afghanistan, l’Iran, etc.).
Bouddha avant et après 2001
Pour les références, voir mon ouvrage Introduction au droit arabe: droit de la famille et des successions, droit pénal, droit médical, droit socio-économique, Createspace (Amazon), Charleston, 2e édition, 2012, 534 pages Amazon.fr
Les versets du Coran sont pris de ma traduction: Le Coran: texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon l’Azhar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens.
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