Interview de Sami Aldeeb sur l’apostasie par Eve Taraborrelli

Ève Taraborrelli : Quelle est la position du droit musulman concernant l’apostasie?

Sami Aldeeb : Disons que la position du droit musulman est très simple : on accueille quiconque vient, mais on refuse la sortie. La sortie est sanctionnée. Il y a deux sanctions : la sanction pénale et la sanction civile. La sanction pénale, c’est la peine de mort : on vous donne trois jours et si vous refusez de revenir en arrière, on vous tue. Ça c’est le Coran interprété de façon un peu stricte. Certains mettent en doute la parole de Mahomet sur le sujet, ou sa valeur juridique. Car si la parole de Mahomet n’est rapportée qu’une seule fois, on appelle ça un « récit unique » : il n’a pas la même valeur que le récit rapporté par plusieurs. Mais toutes les écoles juridiques classiques reconnaissent que c’est la peine de mort. De façon plus modérée, ceux qui veulent présenter un Islam digeste, disent que l’apostasie est contraire au Coran en raison du verset : « Nulle de contrainte en religion ». Mais ce sont des controverses modernes pour donner satisfaction.

E.T. : Donc il y a dans le Coran un verset qui admet une liberté religieuse ?

S.A. : Oui c’est un verset général, mais les juristes classiques n’acceptent pas ce verset de façon ouverte. Les modernes disent « ce que les juristes disent, cela ne nous concerne pas, ce qui nous contraint, ce sont les paroles du Coran. » Certains disent aussi que la parole de Mahomet ne les intéresse pas, car ce n’est pas la parole de Dieu. Mais ça c’est polémique. En règle générale, la position officielle de l’État (car ce n’est pas l’opinion individuelle qui compte en droit musulman), est de dire que « celui qui change de religion, tuez-le ! ». Aussi la peine de mort est ainsi prévue. Le sens de ce verset n’est donc pas accepté par tous.

E.T. : Que disent les musulmans classiques à propos de ce verset ?

S.A. : Pour eux, ce verset existe, mais il est interprété de différentes manières pour qu’au final, on tue. Le problème c’est quand ce verset a-t-il été révélé ? Est-ce la partie Mecquoise ou la partie Médinoise ? Ils ne prennent pas ce problème en considération. Toujours est-il que le droit musulman classique est unanime sur la question de la conversion. Les pays arabes ont émis des réserves lors de la discussion de l’article 18 de la Déclaration des droits de l’homme, en disant « nous ne pouvons pas accepter le changement de religion ». Tous les pays ne prévoient pas la peine de mort, c’est même rare pour plusieurs raisons, notamment la sortie de la colonisation, et il fallait faire bonne figure pour obtenir l’indépendance. En Arabie Saoudite ou au Yémen par exemple, si vous changez de religion on va vous tuer. Ça, c’est la sanction pénale. Elle n’est pas prévue par tous. Le roi Hassan du Maroc a dit dans un discours officiel : «celui qui change de religion, soumettez-le à un psychiatre », puis on le mettra en prison. Ce n’est pas clair, mais il y a une sanction contre celui qui se convertit.

La sanction civile, c’est que tous les pays, qu’ils prévoient la peine de mort ou pas, ont dans leur législation les dispositions qui aboutissent à ce qu’on appelle la « mort civile » : on ne vous tue pas, mais vous ne pourrez pas exercer des droits essentiels. Par exemple, vous ne pouvez pas vous marier. Si vous êtes déjà marié, on dissout votre mariage et on vous prend vos enfants.

E.T. : On a tendance à dire que les musulmans, avant d’être d’une certaine nationalité, se sentant avant tout musulmans. Pour autant, dans un pays comme la France où il existe une liberté de culte, on a l’impression que le droit français prime pour eux, puisqu’ils s’y soumettent…

S.A. : C’est exact, la religion est au-dessus de la nationalité. Le droit français est un droit territorial. La loi française s’applique à tous. Si un musulman veut épouser un chrétien, la famille ne va cependant pas accepter. La loi ne va pas tenir compte de son opposition ; la sanction a donc lieu dans le cadre privé. En France, dans le droit, il n’y a évidemment pas de sanction. Mais il y a eu un accord entre les musulmans et l’État, signé du temps de Chevènement. Dans cet accord, il était prévu que les musulmans devaient accepter la liberté religieuse, y compris le droit de quitter la religion musulmane. Mais les musulmans ont refusé de signer ce document et Chevènement a retiré cette clause. Indirectement, l’État français s’est donc soumis à la volonté musulmane.

Cette conception de la sanction civile suit les immigrés musulmans. Eux ne vont pas l’appliquer sur le plan étatique, car l’État n’accepte pas, mais sur le plan familial. Même la sanction pénale est appliquée sur le territoire français, par la famille. Par exemple, les convertis de l’Islam se montrent rarement en public, alors que si jamais un chrétien devient musulman, il est exposé partout sans pour autant être sanctionné. Si par un contre un musulman devient chrétien, il risque d’être tué par ses ex coreligionnaires, ou persécuté. Je connais un musulman qui est devenu chrétien : il m’a prié de ne jamais dire qu’il est d’origine musulmane car il risque de se faire tuer. Le problème c’est que la communauté musulmane refuse de s’adapter aux normes occidentales. Mais ça, ce n’est pas leur faute : c’est la faute du gouvernement français. Celui-ci aurait dû informer ses immigrés que s’ils venaient s’installer en France, ils devaient respecter la loi, y compris la liberté religieuse. S’ils ne l’acceptent pas, on les parachute vers leur pays d’origine. C’est le même exemple avec les Anglais qui conduisent à gauche : si la Reine venait en France pour conduire à gauche, vous n’accepterez pas, même si vous n’avez rien contre elle ou les Anglais.

E.T. : Donc vous pensez que c’est la faute du politique ?

S.A. : Oui, on doit enseigner de base aux immigrés qu’ils sont différents de leur pays d’origine. C’est une question de confiance. Ils peuvent dire qu’ils n’ont jamais été prévenus.

E.T. : Vous êtes en train de dire que si un musulman converti se fait tuer par un musulman, vous pensez que ce dernier le tue par méconnaissance du droit français ?

S.A. : Disons que le droit français n’est pas connu de tout le monde. On dit que « nul n’est censé ignorer la loi », mais regardez, dernièrement, un homme en Angleterre a couché avec une fillette de 13 ans. Il a été acquitté parce qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit de faire cela.

E.T. : Mais les immigrés ne sont pas forcément ignorants de la loi…

S.A. : Oui, mais à mon avis, ceux qui tuent sont des malades mentaux, des fanatiques, des intégristes.

E.T. : Il y a plusieurs sortes de convertis, comme je le vois dans mon étude sociologique…

S.A. : Alors, il y a des gens qui quittent l’islam parce qu’ils le détestent, par exemple les Berbères. Il est important de voir la souche des convertis. Les Berbères considèrent que les Arabes les colonisent. Les Arabes ont apporté l’islam, donc ce sont leurs ennemis. L’islam veut dire arabe, arabe veut dire colonisateur. L’islam n’était pas tendre avec les Berbères; même un Sheikh a reconnu que quand ils ont occupé l’Afrique du Nord, qu’ils ont envoyé 5 000 enfants vendus comme esclaves à Damas. 5000 ! Retirés de leurs familles pour être vendus comme esclaves, pour amuser le public à Damas ! Et ça ils ne l’ont pas oublié, et les Berbères ont quitté l’islam treize fois, et treize fois on les a forcés à revenir à l’islam. En réalité, on les a contraints à devenir musulmans. Alors eux, ils disent que c’est un retour à leur culture de base. Eux ils conçoivent l’arabe comme colonisateur : cette culture les a privés de leur culture. Alors c’est un rejet de la culture musulmane, car certes ils sont musulmans, mais beaucoup de gens conçoivent cela comme une atteinte à leur culture. Vous connaissez Saint Augustin, il était berbère, et les berbères veulent revenir à l’Église de Saint Augustin. Leur reine a été tuée par des musulmans. Les berbères ont vécu des choses terribles de la part des musulmans. Et plus les gens sont cultivés, plus ils vont retrouver leurs racines, parce qu’aujourd’hui, à l’école, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Alors pour le moment, ce sont les musulmans qui écrivent l’histoire de l’Algérie. J’ai entendu des émissions où les Berbères disent vouloir connaître leur vraie histoire, comment on les a occupés ! Il faut savoir que l’Afrique du Nord, c’est peut-être 70% de gens d’origine berbère. Il faut faire attention à cet élément.

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