Interview de Sami Aldeeb: le siècle qui se présente à nos portes est un plongeon dans l’obscurantisme

Je me permets de vous présenter ici une interview que je viens de donner.

Joachim Véliocas: Quand est-ce que les musulmans ont commencé à parler de sharia dans leur histoire ? Quelle est  son étymologie et sa meilleure traduction en langue française?

Sami Aldeeb[1] : Étymologiquement, le terme sharia signifie le chemin qui mène à l’abreuvoir, au courant d’eau qui ne se dessèche pas. Aujourd’hui encore, on utilise le terme shari’ pour désigner la route. Il revient, sous différentes formes, quatre fois dans le Coran pour indiquer les prescriptions, la législation: 5:48 ; 42:13 ; 42:21 et 45:17-18. Nous en citons le premier :

“Nous avons fait descendre vers toi le livre avec la vérité, confirmant ce qui est devant lui du livre et prédominant sur lui. Juge donc parmi eux d’après ce que Dieu a fait descendre. Ne suis pas leurs désirs, loin de la vérité qui t’est venue. À chacun de vous nous avons fait une législation (shar’ah) et une voie (minhaj). Si Dieu [l’]avait souhaité, il aurait fait de vous une seule nation. Mais [il veut] vous tester en ce qu’il vous a donné. Devancez-vous donc dans les bienfaisances. Vers Dieu sera votre retour à tous et il vous informera alors de ce en quoi vous divergiez.”

La sharia est traduite en français par le droit musulman, mais ce terme trompe du fait qu’on l’assimile au concept « droit » qui a un sens beaucoup plus restreint que le terme sharia. En effet, les juristes musulmans définissent la sharia comme étant : « Les normes transmises par la révélation à Mahomet qui améliorent l’état des gens en ce qui concerne leur vie terrestre et l’autre vie, que ce soit des normes d’ordre dogmatique, cultuel ou éthique ». La sharia règle en fait les rapports entre l’homme et Dieu, les rapports entre les individus, les rapports des individus avec l’État, et les rapports des États entre eux (dont la question du jihad visant à étendre l’islam sur l’ensemble de la planète). Lorsqu’un musulman dit qu’il veut appliquer la sharia, il entend tous ces rapports, sans aucune exception, y compris le régime politique et le jihad.

Le terme sharia est souvent remplacé par le terme fiqh. Étymologiquement, ce dernier terme signifie: la compréhension, la connaissance. Le Coran utilise les dérivés de ce mot dans ce sens vingt fois dans de nombreux versets. Chez les juristes musulmans, il désigne le savoir par excellence, le savoir religieux qui consiste à connaître les droits et les devoirs de l’homme. Et à ce titre, il est un synonyme de shari’ah. L’article premier de la Majallah, code ottoman, définit le fiqh comme suit: “la connaissance des questions pratiques du droit musulman” (al-masa’il al-shar’iyyah al-‘amaliyyah). Il ajoute: “Les dispositions du fiqh se rapportent à la vie future et comprennent les matières du culte. Elles concernent aussi la vie temporelle et se divisent en trois catégories, à savoir: le mariage, les transactions et les sanctions”. Le faqih est l’expert en fiqh.

JV: Quelles sont les différences entre la sharia sunnite et la sharia chiite ?

SA: Les musulmans se sont divisés après la mort de Mahomet en 632 principalement en trois groupes : les sunnites, les chiites et les kharijites. Chacun de ces groupes connaît des subdivisions internes maintenues jusqu’à ce jour-ci. Les sunnites représentent probablement 90% de la population musulmane, et les chiites le 10% restant. Quant aux kharijites, ils sont connus aujourd’hui sous le nom d’ibadites et se trouvent principalement à Oman, mais aussi dans certains pays de l’Afrique du Nord. Ces divisions avaient des raisons politiques, notamment l’exercice du pouvoir suprême. Les chiites se rattachent à Ali, mari de la fille de Mahomet Fatimah, et estiment que le pouvoir suprême doit être exercé par sa lignée. La principale faction chiite, appelés les imamites ou les jaafarites, ont eu douze imams, dont onze ont été assassinés et le douzième a disparu à l’âge de 5 ans dans un souterrain (sirdab). C’est l’imam caché, le mahdi (le bien guidé) dont la parution (parousie) est attendue par les chiites imamites pour rétablir la justice sur terre. Entre-temps, le pouvoir suprême chez les chiites appartient aux religieux qui se substituent à lui. L’article 5 de la constitution iranienne dit à cet égard :

“En l’absence de l’Imam du Temps – que Dieu approche sa réapparition – dans la république islamique de l’Iran, la gestion et l’imamat des croyants sont à la charge d’un docteur du dogme juste, vertueux, au courant de l’évolution de l’époque, courageux, efficace et habile, qui est accepté comme guide par la majorité du peuple. Si aucun docteur du dogme ne bénéficie d’une telle majorité, la direction sera confiée à un conseil composé de docteurs du dogme remplissant les conditions ci-dessus”

JV: Quelles sont les sources juridiques de la sharia? Ces sources divergent-elles selon les différents groupes de musulmans ?

SA: Le Coran, parole divine pour les musulmans, constitue la source principale du droit. Dieu est considéré comme le musharri’ (celui qui fait la sharia), terme utilisé pour désigner surtout le législateur divin. La loi divine se trouve dans le Coran qui comporte 6236 versets dont un bon nombre établissent des normes juridiques (dans le sens large de sharia indiqué plus haut). Tous les groupes musulmans s’accordent sur cette première source. Les sunnites complètent cette source par la sunnah, ou la tradition de Mahomet (faits, gestes et paroles de Mahomet). De nombreux recueils de différentes longueurs et souvent contradictoires, rapportent cette tradition telle que transmise par les compagnons de Mahomet. Quant aux chiites, ils n’admettent que la sunnah transmise par leurs propres imams. Ce qui signifie qu’ils disposent de leurs propres recueils. Les sunnites et les chiites refusent de citer les recueils qui ne sont pas les leurs.

A côté de ces deux sources principales, il y a d’autres sources secondaires comme l’ijtihad (l’effort), le consensus, la coutume, etc… Mais ces sources secondaires ne peuvent être utilisées pour faire des normes contraires à celles établies par les deux sources principales.

Faisant usage de ces sources, les juristes de chaque groupe religieux ont essayé de systématiser le droit musulman pour régler les différents domaines en rapport avec la sharia dans le sens large : comment prier, comment faire le pèlerinage, comme se marier, comment faire un contrat de vente ou de bail, comment punir tel ou tel délit, comment faire la guerre, etc… Il existe des divergences dans les solutions auxquelles sont parvenus ces différents juristes. Les chiites ont à cet égard deux spécificités par rapport aux sunnites, à part leur conception du pouvoir : le mariage temporaire (pouvoir de se marier pour une heure, un jour, une semaine ou plus)[2] et la dissimulation (dite taqiyyah). Celle-ci se retrouve cependant aussi chez les sunnites mais sous d’autres noms[3].

JV: Quels sont les points de la sharia (ou des sharias?) posant un problème de compatibilité avec la tradition juridique occidentale ?

SA: La sharia islamique est incompatible avec la tradition juridique occidentale tant dans la conception de la loi que dans les applications de cette loi.

Le jurisconsulte romain Gaius (décédé v. 180) définit la loi comme étant “ce que le peuple prescrit et établit” (Lex est quod populus iubet atque constituit). Le système démocratique moderne est basé sur cette conception de la loi. Le peuple, directement ou indirectement, décide de la loi qui le régit et la change à sa guise par différents procédés. Ceci s’applique aussi au choix des dirigeants qui sont élus par le peuple et quittent le pouvoir si le peuple ne renouvelle pas leur mandat, sans effusion de sang. C’est l’aboutissement d’une pensée juridique qui a mis des siècles pour se mettre en place.

Face à ce système démocratique, il y a deux systèmes qui lui sont opposés : le système dictatorial dans lequel une personne ou un groupe minoritaire s’impose, dicte la loi et exécute les opposants. De l’autre côté, il y a le système religieux qui prédomine chez les juifs et les musulmans. Pour ces deux groupes, le législateur est Dieu, et les êtres humains sont des soumis (le terme islam signifie soumission), tenus d’exécuter ses ordres sous la houlette d’une clique religieuse qui se cache derrière le législateur divin pour parvenir pratiquement au même résultat que le système dictatorial. L’Ancien Testament et le Coran sont dictés par Dieu…. tout comme le dictateur dicte sa loi.

À cet égard, les juifs et les musulmans peuvent être mis dans le même sac, sauf que les juifs sont peu nombreux, contrairement aux musulmans, et ne semblent pas animés par une volonté d’imposer leur loi à l’ensemble de l’humanité. Leur religion est une religion tribale, limitée à la tribu, qui confisque les libertés individuelles de ses membres chaque fois que les religieux ont le moindre pouvoir (comme on le voit maintenant en Israël avec le mouvement religieux ségrégationniste[4], et qui discrimine les non-juifs, leur refusant l’égalité des droits (Israël n’a encore pas de constitution pour ne pas traiter les non-juifs sur un pied d’égalité).

En ce qui concerne les musulmans, ils représentent environ 20% de la population mondiale. Ils ont colonisé un grand nombre de pays, mais contrairement aux colons occidentaux, ils y sont restés… et tendent à conquérir d’autres pays dans le but final de dominer l’ensemble de la planète et faire régner la loi de Dieu, la sharia. Et même dans les pays dans lesquels ils sont minoritaires, ils refusent de se soumettre aux lois locales, estimant que la loi de Dieu est supérieure à la loi humaine. Cette opposition se manifeste chaque fois qu’ils en ont le moyen de le faire. Et lorsque les forces sont en leur faveur, ils n’hésitent pas à réclamer l’indépendance comme cela est arrivé au Kosovo, et comme cela arrivera peut-être dans d’autres régions en France (Marseille, Roubaix). En fait la sharia implique non seulement le port du niqab, mais aussi l’exercice du pouvoir pour assurer l’expansion islamique et l’application du droit musulman dans tous les aspects de la vie. Plusieurs vidéos prémonitoires sont diffusées sur internet affirmant par exemple que Rome sera un jour conquise par les musulmans, récit de Mahomet à l’appui[5]. Déjà à Londres, des islamistes ont créé des « sharia zones » où l’autorité de l’État britannique est mise à rude épreuve[6]. Des quartiers entiers en France échappent au contrôle de la police. Ceci est aussi la sharia.

Certes, pas tous les musulmans pensent ou agissent comme les islamistes. Mais il faut savoir qu’il suffit d’un seul berger malveillant pour mener un troupeau de millions d’agneaux dociles à l’abattoir. D’où la nécessité de former les imams (pour ne pas dire les formater) avant que ces imams ne se transforment en meneurs de troupeaux vers les abattoirs, exposant les pays qui les abritent à des guerres civiles désastreuses.

La différence dans la conception occidentale de la loi et la conception musulmane de la loi dérive principalement du fait que Jésus, personnage de référence en Occident, n’était pas juriste ; c’était un simple moraliste laissant aux individus leur liberté. Alors que Mahomet est un dictateur doublé d’un législateur laissant peu d’espace à la liberté individuelle.

En plus de la conception islamique de la loi qui est incompatible avec la conception juridique occidentale, il y a le contenu de ce droit et ses implications. La Sharia, dictée au septième siècle, est un système qui reflète la mentalité du septième siècle. Sans doute, si on compare les normes islamiques du septième siècle et les normes en vigueur en Occident au septième siècle, on y trouvera des similitudes frappantes. Mais contrairement au droit musulman, les pays occidentaux ont pu développer leurs systèmes juridiques et adapter leurs normes aux exigences sociales, reconnaissant ainsi les différentes libertés dont bénéficient les habitants de ces pays. Certes les pays musulmans, ou certains de ces pays, ont aussi évolué, mais les musulmans dans ces pays gardent toujours la nostalgie de la sharia et se sentent même obligés d’y revenir, estimant qu’il s’agit d’une loi divine… la meilleure qui puisse exister. Ainsi l’Égypte et d’autres pays arabes et musulmans ont écarté les sanctions pénales prévues par le droit musulman (lapidation, amputation de la main, exécution de l’apostat, la loi du talion), mais la Ligue arabe a établi un projet de code pénal en 1996 consultable sur internet où il est prévu expressément ces sanctions[8]. Un projet égyptien similaire a été élaboré en 1982[7]. Et les mouvements islamistes n’ont jamais cessé de réclamer le retour à ces normes. C’est d’ailleurs ce qu’avaient fait l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan dès que les islamistes sont arrivés au pouvoir.

Prenons le cas de la guerre. Tous les pays musulmans ont signé les conventions de Genève. Ce qui signifie qu’il n’est plus permis de prendre comme esclaves les habitants des pays vaincus pendant la guerre comme cela se faisait dans le passé. Malgré cela, il y a aujourd’hui des musulmans qui préconisent le retour aux normes islamiques régissant la guerre et donc revendiquent le droit de prendre comme esclaves les hommes, les femmes et les enfants des pays vaincus, avec la possibilité de les vendre au marché comme cela se faisait dans le passé[9]. Un professeur égyptien, docteur de la Sorbonne, a même rédigé un projet de loi, prévoyant cela, estimant que ce projet doit remplacer les conventions de Genève[10]. Plusieurs vidéos circulent sur internet qui confirment cette nostalgie musulmane à l’époque de l’esclavage.

La Sharia islamique comporte en outre des normes qui sont discriminatoires contre les adeptes des autres religions, notamment ceux qui ne font pas partie des Gens du Livre, ainsi que des normes qui discriminent les femmes. Des femmes musulmanes se sont tellement acclimatées avec la conception musulmane de la loi (loi divine, la meilleure) au point de ne voir aucun mal à circuler entièrement couvertes par le hijab intégral et le niqab, se transformant en tentes ambulantes (pour utiliser les termes du Président Sadate) ou en sacs à poubelle. C’est le phénomène connu du syndrome de Stockholm[11] : des victimes du terrorisme sympathisent avec ceux qui les terrorisent. Il y a même une femme en France qui veut se présenter comme présidente de la république française en niqab, et défend becs et ongles le port cet habitant dégradant[12]. Mais comme le dit Voltaire : « celui qui aime les galères les mérite ».

JV: Existe-t-il des courants à l’intérieur de l’islam qui ne basent pas leurs enseignements sur une sharia ?

SA: Toutes les religions ont connu des dérives et des périodes critiques. Il suffit de penser que Moïse en descendant du Mont Sinaï a massacré environ 3000 personnes en un seul jour parce qu’elles avaient adoré le veau d’or (Exode 32:28). Dans le christianisme aussi il y a eu la période de l’inquisition, et dans la Genève de Calvin il y a eu ce fameux cas de Michel Servet brûlé vivant en 1553 (ce que personne ne ferait avec un poulet)[13]. Quant à l’islam, il représente une difficulté supplémentaire par rapport au christianisme en raison de la présence de textes religieux contraignants et d’un modèle de vie dans la personne de Mahomet que certains n’hésitent pas à comparer à ces personnages sinistres dont a souffert l’humanité, mais que les musulmans considèrent malgré tout comme leur modèle à suivre. Aujourd’hui les Allemands sont d’accord de descendre Hitler de son piédestal. De même en ce qui concerne Lénine et Staline. Et probablement demain ce sera le tour de Mao Tsi Tung et autres dictateurs. Les peuples ont besoin de temps pour ouvrir les yeux, et les victimes du syndrome de Stockholm nécessitent une thérapie avant de se relever de leurs cauchemars. Il est difficile de prédire un tel éveil pour les musulmans tellement le système de contrôle social, juridique et éducatif est prégnant et profond. L’islam est une religion à la fois intégrale et intégriste :

– Intégral, dans le sens qu’il couvre les aspects tant spirituels que temporels et entre dans pratiquement tous les détails de la vie, y compris comment faire ses besoins naturels ou ses rapports intimes.

– Intégriste, dans le sens qu’il laisse peu de choix aux individus ou aux groupes. Ce n’est pas un restaurant à la carte dans lequel on choisit le menu qu’on veut. Le Coran le dit bien : « Croyez-vous donc en une partie du livre et mécroyez-vous dans l’autre partie? » (2 :85). Un musulman peut devenir tiède dans ses dévotions, ne pas observer le Ramadan, ne pas porter le voile, mais il reconnaîtra sans ambiguïté qu’il est pour cela un « mauvais musulman ».

En matière religieuse, les gens généralement héritent de leur religion comme on hérite de la vache du grand-père. On choisit rarement sa propre religion, et on la quitte encore plus rarement. Certes, il y a des musulmans qui essaient de mettre en question leur religion, mais ils garderont cela secret dans leur cœur : il leur est interdit de le dire publiquement, sous peine de se faire tuer ou exclure de la société. Je me rappelle d’un professeur universitaire musulman – dont je tairai le nom – qui m’a affirmé avec conviction que les musulmans ne sauront jamais progresser tant qu’ils croient que le Coran est parole divine. Mais lorsque je lui ai demandé dans quel livre il l’a écrit, il m’a répondu : « Tu es fou ? Qui va nourrir ma famille ? Avant cinquante ans personne n’osera l’écrire dans les pays musulmans ». Et pourtant ce professeur a écrit plusieurs ouvrages, en tournant autour du pot au lieu de dire les choses de façon directe. Ceux qui osent dire les choses de façon franche sont seulement ceux qui se trouvent en dehors des pays musulmans, et même là ils craignent pour leur vie. C’est par exemple le cas de la syrienne Wafa Sultan[14]. Ceux qui vivent dans les pays musulmans essaient de louvoyer, d’insinuer et de dissimuler pour pouvoir survivre. J’ai rencontré personnellement plusieurs musulmans (le sont-ils encore ?) qui me disaient des choses incroyables, mais à portes fermées, en regardant dix fois autour d’eux pour s’assurer que personne ne les entend. Après tout, les murs peuvent avoir des oreilles !

Si les pays musulmans sont tellement stricts dans leur opposition face à la liberté d’expression, cette rigidité s’explique par le fait qu’ils savent que si le génie parvient à sortir de la bouteille, personne ne saura le faire rentrer de nouveau, et ce sera fini avec l’islam. Il suffit qu’il y ait un peu de relâchement, pour que les choses deviennent hors contrôle. L’arrivée d’internet risque à cet égard à renverser toutes les cartes et à délier les langues. Ce qui explique pourquoi des pays musulmans cherchent à créer leur propre système internet[15] et leur propre facebook[16] afin de mieux exercer leur contrôle.

Il existe à cet égard des musulmans qui se disent libéraux qui essaient de se mouvoir dans le peu d’espace que leur permet la société musulmane. Ils essaient de faire le changement depuis l’intérieur du système en mettant en question le Coran et la Sunnah mais de façon subtile afin de ne pas trop éveiller les attentions. Malgré cela, ces penseurs se sentent toujours en danger et tournent la langue dix fois dans leur bouche avant de parler. Certains ont d’ailleurs payé de leur vie leur témérité. C’est le cas du Soudanais Mahmoud Muhammad Taha qui a été pendu pour avoir soutenu que seule la partie mecquoise du Coran représente le vrai islam, et que la partie médinoise devait être rejetée[17]. C’est aussi le cas des coranistes qui rejettent la Sunnah, beaucoup plus détaillée et plus pernicieuse que le Coran. Certains ont été assassinés, d’autres ont été jetés en prison et leurs livres censurés et d’autres ont dû fuir leurs pays[18].

JV: Dans l’histoire, y a-t-il eu des réformes ou des tentatives de la loi islamique? Des assouplissements ? La sharia était-elle similaire sous les règnes des différents  califes ?

SA: La sharia est comme la tortue de terre. Elle peut passer par des périodes d’hibernation au point de penser qu’elle a disparu, mais au premier coup de soleil, elle se réveille et reprend du service. Dans l’histoire musulmane, notamment moderne, des pays arabes et musulmans ont pu mettre entre parenthèses certaines normes musulmanes, souvent à cause de pressions extérieures. Mais  soudainement, ces pays reviennent à lasharia. Un peu comme la parabole du démon chassé d’une maison mais qui revient avec sept autres démons pour réoccuper la maison, et la fin est encore plus terrible qu’au début (Évangile de saint Matthieu 12.43-45). On le constate actuellement avec les mouvements islamistes qui, hier persécutés, reviennent en force pour rétablir des normes que les régimes précédents avaient écartées.

On peut donc dire que l’islam appelle une continuelle vigilance. Un homme en bonne santé peut être terrassé en tout moment par un petit virus inattendu. Des pays musulmans qu’on qualifie de libéraux peuvent se transformer en pays intégristes en un clin d’œil, et le paysage juridique changer du tout au tout.

On peut penser à cet égard que la période la plus libérale qu’a connue l’islam est celle de ces cent dernières années, malgré leurs défauts. Les siècles précédents et le siècle qui se présente à nos portes peuvent être qualifiés de plongeon dans l’obscurantisme. Je n’ai personnellement aucun espoir que la situation s’améliore. Bien au contraire, elle va se détériorer, entraînant avec elle des tensions dans les pays occidentaux avec les minorités musulmanes.

JV: Des partis dont le principal axe programmatique est la charia comme source du droit, au point de s’engager à ne voter aucune loi qui s’opposerait au corpus juridique islamique, ont pris les rênes du pouvoir en Lybie, Tunisie, Egypte et Maroc. Après la prise de pouvoir récente des islamistes au Soudan, Nigeria, Turquie , Palestine,  et Somalie, les citoyens européens s’interrogent. Les journalistes et hommes politiques tentent de rassurer en expliquant qu’il y a sharia et sharia, que celle-ci consiste plus à une éthique dans la conduite des affaires, comme pour les démocrates chrétiens européens. Existe-t-il vraiment une polymorphie de la sharia, allant d’une interprétation extrême comme chez les Talibans à une interprétation compatible avec les droits-de-l’homme chez les “islamistes modérés” ?

SA: On peut aimer ou ne pas aimer le Coran, mais ce dernier est d’un réalisme surprenant. Dans un de ses versets il est dit : « Ne faiblissez donc pas et n’appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus élevés » (47 :35). C’est la nature humaine. Le fort mangera toujours le plus faible, et le faible dès que l’occasion se présente, se vengera du plus fort. Tant que les mouvements islamistes se sentiront sous pression, ils feront semblant d’être libéraux, mais dès que la pression cesse, ils feront ce qu’ils ont toujours eu l’intention de faire : le retour à l’islam intégral et intégriste. Tout dépendra donc des forces en présence. Si l’Occident relâche la pression, la situation lui échappera et se retrouvera devant une situation calamiteuse, non seulement pour les minorités religieuses non-musulmanes, non seulement pour les femmes qui seront mises dans des sacs à poubelles, mais aussi pour les Occidentaux eux-mêmes et pour les pays musulmans. Une fameuse phrase dit : « Partout où l’islam passe, la civilisation trépasse ». Ce n’est pas une simple phrase rhétorique. C’est malheureusement une réalité.

JV: Moustapha Abdeljalil, chef du Conseil national de transition (CNT) libyen a affirmé que “la sharia n’est pas un corpus de règles détaillé“. Enfumage?

SA: Moustapha Abdeljalil agira en fonction des rapports de force en présence. Si demain les islamistes exigeront de lui d’appliquer le droit musulman selon l’interprétation la plus stricte, il le fera, à moins qu’il ne se rende compte que d’autres veillent au grain et sont prêts à intervenir pour empêcher tout retour à l’obscurantisme. Comprenne qui voudra. On est dans une situation de pot de fer face à un pot de terre. Celui qui dispose du pot de fer l’emportera.

JV: Alain Juppé ne veut pas stigmatiser a priori les Frères Musulmans en Egypte, et a affirmé son optimisme à l’issu de sa rencontre avec les jeunes de ce mouvement en avril. Excès de confiance? Les Frères Musulmans ne sont-ils pas classés par les islamologues dans la famille des mouvements radicaux et potentiellement violents ?

SA: Les Talibans sont des élèves des Frères musulmans. Et on sait de quoi ils ont été capables en termes de barbarie. Personnellement je ne ferais aucune confiance aux Frères musulmans, connaissant leur conception de la loi et leurs revendications auxquelles ils n’ont jamais renoncé sinon pour mieux rebondir.

JV: Le petit frère de Hassan al-Banna, Gamal Al-Banna (grand oncle de Tariq Ramadan), est,  paradoxalement vu son environnement familial, à la pointe du combat intellectuel pour une réforme de l’islam. Il est notamment en faveur d’un abandon des châtiments pour les apostats,  pour une véritable liberté de culte pour les non musulmans, contre le port obligatoire du voile et plus généralement pour l’abandon du hadith comme référence  comportementale du croyant. Quel écho rencontre-t-il chez les “savants” qui font autorité en matière de jurisprudence musulmane, les cheikhs et oulémas ? Et dans la société civile musulmane, a-t-il beaucoup de soutiens ?

SA: Gamal Al-Banna, un ami personnel avec lequel j’ai partagé le pain et le sel, et qui avait écrit un article contre la circoncision dans mon livre, est un coraniste qui rejette totalement la sunnah et ne croit qu’au Coran. Ses livres ont été souvent censurés et s’il est maintenu en liberté c’est en raison de son âge et de sa famille. Ses écrits, comme les écrits des autres auteurs musulmans libéraux sont peut-être lus par le public, mais ils ne sont jamais enseignés ni dans les écoles ou universités arabes, ni dans les mosquées. Ce qui signifie qu’ils ont très peu d’influences[19].

JV: Jeannette Bougrab s’est faite tancée par Matignon, selon une information du Parisien (accusée de “haute trahison”!), pour avoir dit qu’elle ne croyait pas à un “islamisme modéré” en référence aux partis musulmans arrivés au pouvoir en Afrique, voulant se présenter sous des traits rassurant. Qu’avez-vous envie de dire à Jeannette Bougrab ?

SA: Il n’est pas bon de penser lorsqu’on est dans les arcanes de la politique ou serviteur de l’État. Cela s’applique aussi bien au président, aux ministres et aux fonctionnaires. La langue de bois est de rigueur dans ces fonctions, et gare à celui qui enfreint cette règle. Jeannette Bougrab a eu l’immense courage de dire ce qu’elle pense[20]. Et pour cela, elle a droit à tout notre estime. Mais quel sera son avenir dans un panier de crabes ? Il aurait fallu que nos universitaires et nos intellectuels adoptent une attitude similaire au lieu de faire la courbette. Trop d’ignorance et de lâcheté perdront les Français et la France. Nos universités n’ont pas joué leur rôle civilisateur.


[1] Chrétien d’origine palestinienne, de nationalité suisse, licence et doctorat en droit (Fribourg), diplôme en sciences politiques (Genève), habilitation à diriger des recherches (Bordeaux), professeur des universités (CNU France, sections 1 et 15), responsable du droit arabe et musulman à l’Institut suisse de droit comparé (1980-2009), directeur du Centre de droit arabe et musulman. Il enseigne le droit arabe et musulman dans différentes universités françaises, italiennes et suisses. Auteur de nombreux ouvrages et articles sur le droit arabe et musulman, dont une traduction du Coran par ordre chronologique en français. Voir son site : www.sami-aldeeb.com et son blog www.blog.sami-aldeeb.com .

[2] Voir mon long article Mariage temporaire et coutumier en droit musulman

[3] Voir mon long article  Dissimulation (taqiyyah) chez les chi’ites et les druzes

[4] Voir : Israël: La révolte contre les hommes en noir

[5] Voir les vidéos dans Nous allons conquérir Rome, les deux Amériques et l’Europe de l’EstEgypt: Popular Muslim Brotherhood Sheikh misunderstands Islam, says: « Jerusalem belongs to us, and the whole world belongs to us »Video – Jihad: Vous devez voir ceci

[6] Voir Anjem Choudary on March For Sharia Controlled Zones in British CitiesGrande-Bretagne: Pas de pornographie et pas de prostitution dans les secteurs où s’applique la charia

[7] https://blog.sami-aldeeb.com/2011/07/07/projet-de-code-penal-egyptien-1982-%D9%85%D8%B4%D8%B1%D9%88%D8%B9-%D9%82%D8%A7%D9%86%D9%88%D9%86-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D9%82%D9%88%D8%A8%D8%A7%D8%AA-%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%B5%D8%B1%D9%8A/

[8] http://www.arablegalnet.org/ArabLawsModel/ArabLawList.aspx?ID=10

[9] Voir Shaykh Alheweny explains the islamic doctrine of offensive jihad and taking sex-slaves , Salwa Al-Mutairi, female kuwaiti politician: Men should have sex slaves

[10] For a unified law governing Islamic armies and the return of slavery / Pour une loi unifiée régissant les armées islamiques et le retour de l’esclavage

[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_Stockholm

[12] http://www.youtube.com/watch?v=7Jl4rU85vEU

[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Servet

[14] Wafa Sultan tire à boulets rouges sur l’islam

[15] L’Iran veut son Internet halal

[16] Bientôt un « Facebook musulman »

[17] Libéraux musulmans: le soudanais Mahmud Muhammad Taha

[18] La Sunnah (tradition de Mahomet) deuxième source du droit …. et des tensions

[19] Voir ce qu’il dit des islamistes en Égypte : Après la victoire des islamistes en Egypte, les frères musulmans vont intensifier leur conquête de l’Europe

[20] Jeannette Bougrab : «Je ne connais pas d’islamisme modéré»… accusée de haute trahison

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