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Vers une solution à Un Seul État en Palestine/Israël
Interview du Dr. Sami Aldeeb
Président de l’Association pour un seul État démocratique en Palestine/Israël
par Andrea Bistrich [email protected]
pour le site de Share International http://www.shareintl.org
Du 23 au 25 juin dernier, une conférence s’est tenue, à l’Université de Lausanne, réunissant environ 150 participants venus de vingt pays, sur les cinq continents. Beaucoup d’entre eux étaient des juifs et des Palestiniens vivant en Palestine/Israël et ailleurs dans le monde. Plus de quarante participants ont présenté leur contribution. L’ensemble des participants a adopté une Déclaration finale, dans laquelle ils se prononcent en faveur de la création d’un Seul État Démocratique en Palestine/Israël, garantissant à ses habitants des droits égaux et reconnaissant aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux. Cette solution représente, à leurs yeux, «est le meilleur moyen pour réaliser les intérêts politiques, économiques et de sécurité pour tous les habitants».
Cette conférence a été organisée à l’initiative du Collectif pour la Paix en Palestine/Israël, une organisation ad hoc composée de différentes associations, dont la principale est l’Association pour Un Seul État Démocratique en Palestine/Israël, créée en Suisse le 15 avril 2003. Cette association compte aujourd’hui plus de cinq cents adhérents, et chaque jour de nouveaux membres la rejoignent. Après la conférence, Share International a interviewé le président de cette association, le Dr. Sami Aldeeb, un Palestinien chrétien citoyen helvétique, expert en droit arabe et musulman:
1) Dans quelle mesure les Palestiniens et les Juifs étaient-ils représentés, à la conférence, et que représentent ces participants juifs et palestiniens pour la population, tant palestinienne qu’israélienne?
Les participants à la conférence sont principalement des intellectuels. Nous ne voulions pas rassembler des hommes politiques. Avant de lancer l’idée d’une solution à un seul État, il convient tout d’abord d’en établir les fondements intellectuels et d’en formuler les bases rationnelles. Ensuite, cet État doit être présenté à des personnes concernées, des deux côtés. Une fois acquis le soutien des intellectuels et des populations, vous pouvez demander aux hommes politiques de passer à la réalisation pratique. Mais vous ne pouvez pas, d’entrée de jeu, vous adresser aux politiques. Sinon, vous pérennisez le dilemme du Moyen-Orient, où les intellectuels et les gens ordinaires sont exclus de toute décision politique, les décisions politiques étant prises par des politiciens qui n’écoutent que leurs intérêts personnels et égoïstes.
Quelques personnalités politiques ont assisté à notre conférence, mais nous n’avons même pas cité leurs noms. Ils étaient assis dans la salle, comme tout le monde, sans le moindre privilège particulier ni les moindres prérogatives. Permettez-moi de mentionner, à ce sujet, que le Colonel Muammar Qadhafi, qui est en faveur d’une solution à un seul État, désirait s’adresser à l’assistance au moyen d’une liaison satellite. Mais nous avons décliné sa proposition.
2) Vous en appelez à un seul État démocratique en Palestine/Israël. Ceci signifie-t-il que vous prônez un État binational?
La création d’un seul État démocratique en Palestine/Israël, ce n’est pas nous qui l’avons inventée. Nous trouvons cette proposition dans les programmes politiques de l’OLP. Elle a été prônée, également, par beaucoup de juifs (tels Martin Buber, Judah Magnes et Meron Benvenisti), et de nombreux Palestiniens (tels les regrettés Naïm Khader et Edward Saïd). Certains d’entre eux ont proposé un État binational, c’est-à-dire la création d’une société où chaque communauté religieuse/ethnique conserve ses propres lois et ses propres tribunaux, avec les privilèges afférents. C’est le cas dans différents pays arabes, tels l’Egypte, la Jordanie, la Syrie, le Liban et l’Irak, et même en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Pour nous, ce type de solution n’est pas acceptable, car elle signifie la perpétuation de divisions et de discriminations de nature religieuse. Ce à quoi nous aspirons, c’est à la création d’un État unitaire, doté de lois unifiées, de tribunaux unifiés, d’une armée unifiée, d’une police unifiée, d’un parlement unifié et d’un gouvernement unifié, et même de cimetières unifiés. Bien entendu, nous entendons respecter la liberté religieuse ainsi que la diversité culturelle et linguistique, mais ces éléments ne doivent en aucun cas devenir des instruments permettant de porter atteinte à la dignité humaine ou de discriminer des gens en raison de leur religion, de leur sexe ou de la langue qu’ils parlent.
3) Votre proposition semble totalement impossible dans la situation actuelle, dominée par des affrontements violents et l’extrémisme, chez les Palestiniens et les Israéliens. N’est-elle pas utopique?
Notre proposition découle de l’échec constaté et futur de toutes les initiatives prises, tant au niveau international qu’arabe, échec découlant du fait que ces initiatives sont fondées sur des données de départ erronées. Ces initiatives ont estimé possible de diviser la Palestine/Israël entre deux États, ce qui est une vue de l’esprit absolue, tant du point de vue géographique que du point de vue économique. Le territoire est trop exigu, et les deux peuples, le peuple israélien et le peuple palestinien, ont besoin l’un de l’autre comme jamais par le passé. Même Sharon a besoin de travailleurs palestiniens pour construire son nouveau mur de Berlin, ou pour boire sa tasse de café, le matin.
Et si une partition du pays est imposée, cela ne fera que créer encore plus de problèmes qu’actuellement. Un tel partage signifierait le démantèlement d’un grand nombre de colonies, ce qui est, en soi, impossible. Les juifs vivant dans ces implantations résisteront par tous les moyens à leur évacuation. Ils se sentiront trahis par leur propre gouvernement, lequel, rappelons-le, les a encouragés à venir s’y installer. La grande majorité d’entre eux sont persuadés que la terre de Palestine/Israël leur appartient et qu’il n’y a, en la matière, aucune différence entre Tel-Aviv et l’une quelconque de leurs colonies. Beaucoup d’entre eux y sont nés. Une évacuation par la force risque de provoquer une guerre civile en Israël, avec beaucoup de victimes innocentes.
Du côté palestinien, une partition du pays signifierait le renoncement des réfugiés palestiniens à leur droit légitime de retourner chez eux. Cela est clairement énoncé par l’initiative de Genève, et d’autres accords précédents. Les réfugiés palestiniens souffrent énormément, depuis plus d’un demi-siècle, et ils n’ont jamais abandonné l’espoir de retourner chez eux. Beaucoup d’entre eux conservent encore aujourd’hui les clés de leurs maisons, hélas souvent détruites. Ils s’opposeront à tout déni de leur droit au retour, et ils manifesteront leur refus à travers des opérations suicides, comme nous en constatons d’ores et déjà, aujourd’hui. Et j’imagine qu’au cas où un État palestinien serait créé, l’armée israélienne réoccuperait l’État nouvellement créé, dès la première opération palestinienne à Tel-Aviv ou à Haïfa. Nous serions très vite ramenés, dans une telle éventualité, à la case «Départ».
Bien que beaucoup de personnes jugent utopique notre proposition, toute autre solution ne peut être qu’un authentique cauchemar pour la région. De plus, la situation actuelle ne peut continuer, telle qu’elle est aujourd’hui. A défaut, pour les deux côtés, de rejeter l’idée de partition du pays, ils développeront un extrémisme qui mettra en danger l’ensemble du Moyen-Orient. Les Israéliens sont de plus en plus répressifs envers les Palestiniens, et ils sont en train de renforcer leur arsenal nucléaire. Mais cet arsenal nucléaire s’avèrera leur propre piège, en polluant les sols et l’eau. D’ores et déjà, les Israéliens commencent à distribuer des traitements préventifs du cancer (pilules de composés iodés) à la population vivant dans un rayon de cinquante kilomètres autour du réacteur nucléaire de Dimona (Néguev). Ce réacteur est ancien: il sera bientôt fissuré, exposant l’ensemble du Moyen-Orient aux radiations nucléaires, créant un nouveau Tchernobyl. Le risque existe, par ailleurs, que les Palestiniens aient recours à des armements non conventionnels afin de contrer la suprématie de l’armée israélienne. Beaucoup d’articles expriment cette crainte. Ces développements attendus et inévitables affecteront non seulement les populations des deux camps protagonistes, mais aussi toute la région, ainsi que la faune et la flore, et les ressources agricoles. Toute cette région risque de devenir un désert, où rien ne survivrait.
4) Mais, c’est l’apocalypse, que vous nous décrivez-là! Comment pourrions-nous en réchapper? Cette région serait-elle maudite?
Oui, c’est une région maudite, pour le monde entier. Le conflit entre les Palestiniens et les Israéliens a des conséquences mondiales, tous les jours, à travers le terrorisme et le fondamentalisme religieux.
La seule manière d’échapper à cette apocalypse, c’est de revenir au bon sens, à la rationalité. Etant donné qu’aussi bien les Palestiniens que les Israéliens affirment que la terre leur appartient en propre, il faut donner toute la terre, aux ressortissants des deux peuples. Il faut laisser les colonies là où elles ont été construites et permettre aux réfugiés palestiniens de retourner chez eux. Veuillez noter que la majorité des villages palestiniens détruits par Israël (soit, plus de quatre cents), sont toujours exempts d’habitants et non bâtis. Ils ont été recouverts de forêts, plantées afin d’en dissimuler les vestiges. Le retour des réfugiés palestiniens chez eux ne créera aucun problème. Prenez l’exemple du village d’Emmaüs: ce village a été totalement détruit par Israël, en 1967, et ses habitants ont tous été chassés. Sur ses ruines, passées au bulldozer, Israël a planté un parc boisé, devenu un emplacement pour les pique-niques, appelé Canada Park (car cela a coûté près de quinze millions de dollars à de généreux donateurs de la communauté juive canadienne!)
Le retour des réfugiés palestiniens chez eux, sur leurs terres, et le maintien des colons dans leurs implantations, doivent être accompagnés de la création d’un État unique, avec des droits et des devoirs égaux pour tous, et l’abolition de toutes les lois discriminatoires, des deux côtés. C’est la seule solution possible, afin de garantir la paix et la prospérité. Dans la région, certes. Mais, aussi, dans le monde.
5) Votre proposition est en contradiction avec beaucoup de déclaration des autorités palestiniennes, Arafat y compris, selon lesquelles les Palestiniens acceptent la création d’un État palestinien vivant en paix avec Israël.
L’OLP a toujours été en faveur d’une solution à un seul État. Toutefois, il n’a pas suffisamment élaboré ce concept, créant confusion et peur chez les Israéliens, qui redoutent de se retrouver en minorité. Notre association a créé un cadre légal clair – le premier jamais élaboré jusqu’ici – définissant un État égalitaire, où les origines religieuses ou ethniques ne seront ni un privilège ni un critère pour une quelconque discrimination. Dans un État tel celui que nous proposons, il n’y aura ni minorité ni majorité. Il n’y aura que des individus, citoyens égaux entre eux.
Au sujet des déclarations palestiniennes sur la création d’un État palestinien, force est bien de constater qu’elles sont faites sous l’empire de la nécessité et en raison d’un rapport de force défavorable. Les Palestiniens le font, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Du point de vue légal et moral, de telles déclarations n’engagent strictement à rien, et personne, parmi les Palestiniens, ne pense qu’il s’agisse là de déclarations conclusives et définitives. Ils les considèrent, simplement, comme des déclarations transitoires, en attendant que les vents prennent une direction plus favorable. Posez la question aux Israéliens: vous verrez qu’ils ne croient pas un mot des grandes déclarations palestiniennes. Et ils ont absolument raison.
La situation étant celle-ci, pourquoi devrions-nous forcer les Palestiniens à accepter l’inacceptable, et les Israéliens à gober des déclarations fondamentalement conjoncturelles et non-fiables? Nous devons être honnêtes envers nous-mêmes et nos voisins, et dire clairement que la seule solution pour l’ensemble de nos problèmes réside en la création d’un Unique État Démocratique en Palestine/Israël, dont tous les citoyens jouiront des mêmes droits.
Regardez les précédents historiques. Qui, aujourd’hui, proposerait de diviser l’Afrique du Sud entre les Noirs et les Blancs? Qui accepterait de diviser l’Allemagne entre l’Est et l’Ouest? Qui envisagerait de diviser la Suisse entre Catholiques et Protestants? Pourquoi devrions-nous, ceci étant, accepter la division de la Palestine/Israël entre juifs et non-juifs, en créant ainsi une solution explosive constituant une menace pour l’ensemble du monde?
6) Même si votre proposition semble rationnelle et optimiste, comment entendez-vous la mettre en application, concrètement, sur le terrain?
Plusieurs mesures doivent être prises. La première consiste à enterrer, une bonne fois pour toutes, les initiatives précédentes, visant à diviser le pays. L’existence de telles initiatives a pour effet de créer la confusion dans les esprits. Elles causent perte de temps, d’énergie, et d’argent. Si vous voulez prendre le train pour vous rendre dans une ville située dans le Nord, laissez tomber les trains qui se dirigent vers le Sud, et cherchez-en un qui aille dans le Nord!
Ensuite, il vous faudra convaincre les gens qu’afin d’obtenir la paix, la seule solution possible consiste en la création d’un État unique garantissant des droits égaux à tous ses citoyens, sans égard à leur religion. Vous devez les informer du fait que les droits de l’homme doivent être respectés, si vous voulez éviter la révolte ou le désespoir. Dans son préambule, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme énonce: «Il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ».
Une fois que vous aurez convaincu la population, vous devrez contraindre les politiciens à accepter le choix souverain du peuple. Les Palestiniens et les Israéliens prendront conscience, progressivement, qu’ils doivent choisir, entre l’extermination et une coexistence pacifique à l’intérieur d’un unique État démocratique. Tout ce que nous pouvons faire, en tant qu’association, c’est leur monter la route conduisant à la paix, au lieu de celle qui conduit à l’extermination. Mais ce choix, nous ne pouvons l’opérer à leur place.
Site de l’Association pour Un Seul État Démocratique en Palestine/Israël:
http://lwww.one-democratic-state.org
Pour les écrits du Dr. Sami Aldeeb voir:
http://groups.yahoo.com/group/sami
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Déclaration finale de la conférence de Lausanne
Initiative pour un seul État Démocratique en Palestine/Israël
La Conférence pour la promotion de l’Initiative pour un seul État démocratique en Palestine/Israëla eu lieu à l’Université de Lausanne, en Suisse, du 23 au 25 juin 2004. Les participants, provenant de différentes nationalités et religions de l’intérieur et de l’extérieur de Palestine/Israël ont adopté la déclaration suivante.
Le but de l’Initiative pour un seul État démocratique en Palestine/Israël est de remédier aux conséquences tragiques de la division forcée en 1948 qui a conduit à la dépossession, occupation ultérieure et un conflit permanent dans la région et au-delà.
L‘Initiative pour un seul État démocratique en Palestine/Israël vise à changer le système politique du territoire entre le Jourdain et la Méditerranée sur la base d’une pleine souveraineté de tous les résidents, y compris les réfugiés Palestiniens depuis 1948 et leurs héritiers. Ceci se réalise parl’application du principe « une personne une voix », et le respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des normes du droit international. Il est proposé que toutes les mesures soient prises pour permettre le retour des réfugiés palestiniens dans leur terre d’origine et obtenir restitution et compensation conformément au droit. Tous les résidents devraient pouvoir acheter ou louer logements et terres sur tout le territoire de la Palestine/Israël.
Reconnaissant les difficultés d’appliquer la solution d’un seul État dans les circonstances actuelles, l’initiative vise à
1) soutenir tous les efforts pour mettre fin à l’occupation israélienne de la terre palestinienne,
2) promouvoir l’idée d’un seul État parmi les communautés israélienne et palestinienne.
La Conférence compte sur la communauté internationale pour soutenir ses efforts. Nous croyons que la création d’un seul État démocratique est le meilleur moyen pour réaliser les intérêts politiques, économiques et de sécurité pour tous les habitants de ce nouvel État.
L’Association pour un seul État démocratique en Palestine/Israël, aidée par des représentants des groupes membres du Collectif pour la paix en Palestine/Israël assurera le suivi des activités pertinentes à travers le monde, y compris Palestine/Israël, et mobilisera un soutien international pour ces activités. On fera le bilan de cette initiative lors d’une rencontre de suivi envisagée dans un proche avenir.
Lausanne, le 25 juin 2004.
Adresse pour le contact
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