Et si les banquiers relisaient Calvin!

Le Nouveau Testament est un texte moraliste, et ne comporte que très peu de normes à caractère juridique, dont justement un passage concernant le prêt:

Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants (Luc 6:34-35).

En Occident, l’interdiction du prêt à intérêt fut intégrée au droit laïc sous Charlemagne et perdura pendant tout le Moyen Âge. Elle fut critiquée par quelques théologiens et juristes au XIIIe siècle. Le droit canon s’appuya ensuite sur la critique de la chrématistique par Aristote. Selon ce dernier, l’argent ne devait pas pouvoir “faire des petits”. L’interdit a toutefois été partiellement contourné, au cours de la période médiévale, en faisant appel aux Juifs, qui de leur côté pouvaient, selon leur loi, prêter à intérêt aux non-juifs.

Calvin (1509-1564) a été le premier théologien de l’ère moderne à légitimer moralement la pratique du prêt à intérêt, à l’encontre de toute la morale chrétienne antérieure. Partant du texte biblique, il reconnaît que le prêt à intérêt y est effectivement condamné. Selon la loi biblique, celui qui peut venir en aide à son prochain dans la difficulté par prêt d’argent doit le faire sans prélever d’intérêt. Mais Calvin constate que si la Bible condamne l’usure là où devrait se manifester la charité, elle ne parle pas, en revanche, d’une autre pratique, qu’il appelle le “prêt de production”, c’est-à-dire le type de prêt qu’exige l’élargissement d’un marché, et qui n’entre pas dans le cadre du devoir de charité. L’autorisation des intérêts est cependant soumises à sept prescriptions ou “exceptions” comme il les nomme, que nous reproduisons ici:

1) Il n’est pas permis de demander des intérêts aux pauvres et nul ne peut être contraint de payer un intérêt lorsqu’il se trouve dans la misère ou connaît des circonstances difficiles.

2) Celui qui prête de l’argent ne devrait pas être intéressé au gain au point d’en négliger ses devoirs, ni déposséder ses frères pauvres en plaçant son argent dans des investissements en toute sécurité.

3) Dans le cas d’un prêt à intérêt, rien ne doit intervenir qui ne soit naturellement juste et correct. Et si la question est examinée selon la règle de Christ, à savoir ce que vous voulez que les hommes vous fassent etc., elle sera considérée comme valable pour tous.

4) Celui qui contracte un emprunt doit tirer autant ou plus de profit de l’argent emprunté (que le créancier).

5) Nous ne devrions pas juger selon les coutumes habituelles et traditionnelles (concernant la perception d’intérêts) ce que nous sommes autorisés à faire, ni mesurer les injustices en fonction de ce qui est juste et correct; nous devrions plutôt régler notre conduite sur la parole de Dieu.

6) Nous ne devrions pas considérer seulement l’avantage de ceux à qui nous avons affaire mais aussi prendre en compte l’intérêt public et servir la communauté dans son ensemble. Parce qu’il est manifeste que l’intérêt versé par le commerçant est une pension publique, il faut donc veiller soigneusement à ce que le contrat fasse plus de bien public que de mal.

7) On ne dépassera pas les limites fixées par les lois locales ou régionales, bien que cela ne suffise pas toujours, car souvent elles autorisent ce qu’elles ne sont pas capables de corriger ou d’interdire. Il faut donc préférer ce qui est juste et correct dans les circonstances et s’interdire ce qui est de trop.

Pour plus de détails, vous pouvez lire mon article: Les intérêts et les banques en droits juif, chrétien et musulman.

Comments are closed.

Powered by WordPress. Designed by WooThemes

%d blogueurs aiment cette page :