Circoncision: Position de Saint Thomas d’Aquin

Moine dominicain (d. 1274), Thomas d’Aquin a influencé et continue à influencer par ses écrits la pensée catholique sur le plan philosophique et théologique. Je reprends ici sa position concernant la circoncision dans son fameux ouvrage Somme théologique. Pour les non-avertis, Thomas traite ses sujets sous forme de question/réponse.

Thomas relève que la Bible condamne et interdit les incisions pratiquées par les idolâtres (Dt 14:1) pour ne pas ressembler à eux (Dt 12:31; I R 18:28). Or, la circoncision n’est rien d’autre qu’une incision. Pour résoudre cette contradiction, Thomas répond que la circoncision ne ressemble pas aux entailles des cultes idolâtres. Elle est une protestation de la foi en un seul Dieu et un signe qui marque la foi dans la chair pour ne pas oublier cette foi, un moyen d’ “affaiblir la concupiscence dans l’organe intéressé” et de “tourner en dérision les cultes de Vénus et de Priape, qui vénéraient cette partie du corps”.

Thomas se demande: Si la circoncision est une profession de foi et que la foi réside dans les facultés de connaissance, dont les opérations se manifestent surtout dans la tête, pourquoi donc fallait-il mettre le signe de la foi dans le pénis et non pas sur la tête? Thomas répond: “La circoncision était le signe de la foi par laquelle Abraham crut que le Christ naîtrait de sa race. Puis parce qu’elle était le remède au péché originel, qui se transmet par la génération. Enfin parce qu’elle avait pour but de diminuer la convoitise charnelle, qui réside surtout dans ces organes, à cause de l’intensité de la délectation charnelle”.

Il se demande pourquoi la circoncision a été pratiquée parfois par un couteau de pierre. Il répond: “Par là on signifiait que la circoncision spirituelle était l’œuvre du Christ, de qui il est dit qu’il était le rocher spirituel” (I Co 10:4).

Il se demande encore pourquoi la circoncision fut prescrite le 8ème jour. Il répond: si elle était prescrite plus tôt, “l’enfant est encore fragile, qu’on aurait pu le blesser gravement et qu’il n’était pas encore considéré comme pleinement constitué”. Si elle était prescrite plus tard, “d’aucuns s’y seraient dérobés par crainte de la souffrance et que les parents auraient été tentés d’y soustraire leurs enfants, car ils ont pour eux plus d’affection à mesure qu’ils les voient grandir et qu’ils ont vécu davantage avec eux”. Ces arguments sont inspirés de Maïmonide. Thomas y ajoute que le 8ème jour signifiait que “le Christ devait supprimer toute corruption, ce qui sera complètement achevé au 8ème âge du monde, celui de la résurrection”.

Thomas dit que la circoncision “est ordonnée à remédier au péché originel”. Pourquoi donc le Christ s’est circoncis, lui qui est exempt du péché originel? Il répond:

– Pour montrer la réalité de sa chair humaine contre le manichéisme qui lui attribuait un corps irréel.

– Pour approuver la circoncision, jadis instituée par Dieu.

– Pour prouver que le Christ était de la descendance d’Abraham.

– Pour retirer aux juifs une excuse de ne pas le recevoir.

– Pour nous recommander par son exemple la vertu d’obéissance.

– Pour délivrer les autres du fardeau de la loi, en portant ce fardeau lui-même.

– Pour nous enseigner qu’il faut observer ce qui est précepte à notre époque comme lui-même avait accepté la circoncision prescrite dans son époque.

Peut-on abolir la circoncision alors qu’elle a été prescrite par Dieu? Thomas répond que les cérémonies du passé qui préfiguraient les cultes de l’âge nouveau doivent s’adapter. “La loi ancienne subsiste à jamais. Pour les préceptes moraux, c’est vrai absolument et sans réserve; pour les préceptes cérémoniels, c’est vrai quant à la réa­lité qu’ils figuraient”. Pour Thomas, la circoncision préfigurait les cultes de l’âge nouveau institué par le Christ qui a déclaré à sa mort: “C’est achevé” (Jn 19:31). C’est à ce moment que les dispositions légales ont dû cesser complètement, la réa­lité qu’elles figuraient étant désormais accomplie. Pour en témoigner, le voile du Temple s’est déchiré pendant la passion du Christ (Mt 27:51). Thomas ajoute que la circoncision était la profession de la foi d’Abraham dans la promesse que Dieu a faite à lui. Une fois que la promesse s’est réalisée, cette même foi doit s’exprimer par un signe nouveau, le baptême, qui sur ce point succède à la circoncision. Par conséquent, celui qui pratique la circoncision après la venue du Christ pécherait mortellement. Il en est autrement si quelqu’un “subirait l’ablation du prépuce par mesure d’hygiène et non pas pour observer la loi de la circoncision”. Et si les apô­tres ont permis la circoncision pour les juifs convertis, ceci n’était que pour une courte durée jusqu’à ce que l’Évangile soit connu.

A part ce débat d’ordre théologique, on peut relever que Thomas a consacré un chapitre à la violence contre les personnes, dans lequel il traite de la mutilation, dont il dit:

Il semble qu’il ne puisse être perm

is en aucun cas de mutiler quelqu’un. En effet, Jean Damascène dit qu’il y a péché “dès qu’on s’écarte de ce qui est conforme à la nature pour faire ce qui lui est contraire”. Or, il est conforme à la nature telle que Dieu l’a créée que le corps humain possède tous ses membres, et il est contraire à la nature qu’il soit privé d’un membre. La mutilation apparaît donc toujours être un péché.

Se basant sur Aristote, Thomas affirme qu’il est “défendu, si ce n’est aux pouvoirs publics, de priver quelqu’un de son âme en le tuant. De même sera-t-il interdit de lui couper un membre, si ce n’est peut-être en vertu de ce même pouvoir”. Il ajoute:

L’autorité peut priver quelqu’un de la vie pour certaines fautes majeures, elle a également le droit de lui retrancher un membre pour des fautes moins graves. Mais une personne privée ne peut pratiquer une telle ablation, même avec le consentement du patient; ce serait commettre une injustice envers la société, à laquelle l’homme appartient avec tous ses membres. Si toutefois la corruption d’un membre infecté menace tout le corps, il est permis de couper ce membre pour la santé du corps entier, mais avec l’accord du malade, car chacun est responsable de sa propre santé. Les mêmes principes s’appliquent dans le cas où l’opération serait décidée avec l’accord du responsable de la santé du malade. En dehors de cette nécessité, mutiler un homme est absolument interdit.

Thomas se pose alors la question de savoir si on peut mutiler un organe qui pourrait pousser au péché? Cette question est importante du fait qu’une des raisons de la cir­concision masculine et féminine est de limiter la volupté et le penchant vers le vice. Thomas répond:

On ne peut couper un membre que s’il n’y a pas d’autre manière d’assurer la santé du corps entier. Mais on pourra toujours garantir le salut de l’âme par d’autres moyens que la mutilation corporelle, car le péché est essentiellement volontaire; la mutilation ne sera donc jamais permise pour supprimer l’occasion de pécher.

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