1) Prétentions des communautés
Vu l’importance des normes religieuses et culturelles, le législateur, de tout temps, a essayé de reconnaître aux communautés le droit de vivre selon leurs normes religieuses et de pratiquer leur culture. Ce droit figure dans de nombreux documents internationaux et nationaux. Ainsi la Déclaration universelle dit:
Art. 18 – Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
Art. 27 al. 1 – Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté…
L’alinéa 1 de l’article 1er du Pacte économique et du Pacte civil dit:
Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
Le professeur Freeman de la Faculté de droit de Londres écrit:
Dénier à un enfant juif ou musulman une circoncision, c’est détruire le droit de l’enfant à un héritage culturel et à une identité. On peut affirmer que l’identité culturelle, un sens d’appartenance à un groupe religieux et culturel, est un droit fondamental de l’homme.
Mais ce professeur refuse de reconnaître ce droit en matière de circoncision féminine. Il écrit:
Ce droit ne signifie pas que toute pratique religieuse peut être tolérée au nom du multiculturalisme. Il y a un exercice d’équilibre à faire pour déterminer si une procédure ou un traitement particulier est dans le meilleur intérêt de l’enfant. Le préjudice relatif et les bienfaits de la circoncision masculine rituelle sont tels qu’une décision des parents de circoncire leur fils au nom de la religion ne doit pas être mise en question.
Les défenseurs de la circoncision féminine, par contre, réclament le droit de la pratiquer au nom de leur culture et de leur religion, autant que les juifs. Jomo Kenyatta invoque la circoncision masculine autorisée aux juifs pour justifier son droit de pratiquer la circoncision féminine. Il met à cet égard les deux pratiques dans sa communauté sur le même pied d’égalité en tant que “condition sine qua non pour recevoir un enseignement religieux et moral complet”.
Le législateur international et national établit une distinction nette entre la circoncision masculine qui reste tolérée sans raison valable, et la circoncision féminine qui est interdite. Lors du séminaire relatif aux pratiques traditionnelles à Ouagadougou en 1991, séminaire organisé par la Commission des droits de l’homme, la majorité des participants était d’avis qu’ “aussi bien les explications tirées de la cosmogonie que celles issues de la religion doivent être assimilées à la superstition et dénoncées comme telles. Ni la Bible, ni le Coran ne prescrivent aux femmes d’être excisées”. Ainsi, on dévalorise les conceptions religieuses qui ne figurent ni dans la Bible ni dans le Coran, conceptions considérées comme relevant de la superstition.
2) Droits individuels et droits communautaires
La circoncision est sans doute une pratique religieuse ou culturelle qui s’impose aux communautés. Mais c’est aussi une pratique qui touche, sans raison médicale, l’individu et, qui plus est, un mineur. Lequel des deux droits prime: le droit communautaire ou le droit individuel?
La règle de base est que les droits individuels considérés comme fondamentaux priment sur les droits collectifs. Au nom de la tolérance envers sa religion ou sa culture, une communauté donnée ne peut demander au législateur de fermer les yeux sur des violations de ces droits individuels. Cette règle a été clairement énoncée dans la Déclaration de principes sur la tolérance proclamée et signée le 16 novembre 1995 par les États membres de l’UNESCO. L’article 1er chiffre 1 définit comme suit la tolérance:
La tolérance est le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes d’expression et de nos manières d’exprimer notre qualité d’êtres humains. […] La tolérance est l’harmonie dans la différence. Elle n’est pas seulement une obligation d’ordre éthique; elle est également une nécessité politique et juridique […].
Mais cet article ajoute dans son chiffre 2:
La tolérance n’est ni concession, ni condescendance, ni complaisance. La tolérance est, avant tout, une attitude active animée par la reconnaissance des droits universels de la personne humaine et des libertés fondamentales d’autrui. En aucun cas la tolérance ne saurait être invoquée pour justifier des atteintes à ces valeurs fondamentales ….
Après avoir considéré la circoncision féminine
comme une violence envers les femmes, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 20 décembre 1993 dit à son article 4 que “Les États devraient condamner la violence à l’égard des femmes et ne pas invoquer de considérations de coutume, de tradition ou de religion pour se soustraire à l’obligation de l’éliminer”.
Rappelons ici le Serment de Genève de l’Association médicale mondiale qui dit:
Je ne permettrai pas que des considérations d’affiliation politique, d’âge, de croyance, de maladie ou d’infirmité, de nationalité, d’origine ethnique, de race, de sexe, de statut social ou de tendance sexuelle viennent s’interposer entre mon devoir et mon patient.
Cette citation signifie que le médecin ne doit pas être influencé par des raisons religieuses ou culturelles dans son intervention médicale. La cour suprême des États-Unis, dans un conflit entre la liberté religieuse des parents et le droit de l’enfant au bien-être physique, a jugé que “les parents peuvent être libres de devenir martyrs eux-mêmes. Mais ceci ne signifie pas qu’ils sont libres de faire de leurs enfants des martyrs avant qu’ils n’aient atteint l’âge de plein discernement légal pour décider eux-mêmes de faire ce choix pour eux-mêmes”.
On peut déduire de ce qui précède que les normes religieuses, qu’elles soient mentionnées dans la Bible ou le Coran ou qu’elles relèvent de superstitions ou de croyances animistes, ne peuvent pas être invoquées pour priver un individu de ses droits fondamentaux. Si chaque communauté était autorisée à appliquer toutes ses normes religieuses ou culturelles au détriment des droits fondamentaux individuels, l’humanité sombrerait dans la barbarie. Mais malheureusement le législateur international et national, en gardant le silence face à la circoncision masculine, viole ce principe, privant ainsi les garçons de leurs droits individuels fondamentaux.
Certains disent que les parents imposent à leurs enfants une éducation. Pourquoi ne peuvent-ils pas leur imposer aussi la circoncision? Il y a cependant une grande différence entre la circoncision qui mutile et l’éducation qui prépare l’enfant à être un membre actif dans la société. Si on n’imposait pas l’éducation à l’enfant, cela conduirait à un danger collectif énorme, alors que retarder la circoncision jusqu’à l’âge adulte ne constitue aucun dommage pour la société. Bien au contraire, c’est la pratique de la circoncision en bas âge qui expose l’enfant à des dangers physiques et psychiques.
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