1) Les juifs n’ont pas toujours pratiqué la circoncision
On pense généralement que la circoncision a été établie par ordre divin du temps d’Abraham qui aurait vécu au 19e siècle av. J.-C., et que ses descendants ont continué à se circoncire après lui jusqu’à nos jours. On passe sous silence le fait que les juifs n’ont pas toujours pratiqué la circoncision et que certains ont refusé et refusent de se faire circoncire.
Moïse lui-même n’aurait pas été circoncis. Et c’est probablement à ce signe qu’il a été reconnu comme Hébreu par la fille de Pharaon (Ex 2:6). Moïse a eu deux fils de sa femme Cippora (Ex 2:15-22 et 18:3). Sur son chemin vers l’Égypte, Dieu l’a rencontré et a tenté de le tuer. Cippora a pris alors un silex, a coupé le prépuce de son fils aîné et a touché avec ses mains maquillées les pieds (organes sexuels?) de Moïse en disant: “Tu es pour moi un époux de sang”. Ainsi, Moïse a été sauvé de la mort. Cippora n’a circoncis que l’aîné (Ex 4:25) et cette circoncision de toute évidence n’a pas eu lieu au huitième jour comme le prescrit la Bible (Gn 17:12; Lv 12:3).
Le livre de Josué nous apprend que “tout le peuple né dans le désert, en chemin, après leur sortie d’Égypte, on ne l’avait pas circoncis” (Jos 5:2-9). Josué a reçu alors l’ordre de les faire circoncire.
Le roi d’Israël Achab (qui a régné de 875 à 853 av. J.-C.) et sa femme Jézabel, fille d’Ittobaal, roi de Tyr et Sidon ont interdit la circoncision. Ceci a provoqué la colère du prophète Élie. Échappant à la persécution, celui-ci s’est réfugié dans une grotte où Yahvé lui est apparu en lui demandant: “Que fais-tu ici, Élie?” Il a répondu: “Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahvé Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu’ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l’épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m’enlever la vie” (I R 19:9-10). L’expression ont abandonné ton alliance se référerait à l’abandon de la circoncision. Et c’est en commémoration de ce zèle d’Élie que les juifs installent encore aujourd’hui une chaise dite chaise d’Élie, ce dernier étant censé assister à toute circoncision.
Le livre des Maccabées nous apprend que, du temps du roi grec de Syrie Antiochus Épiphane (d. 164 av. J.-C.), des juifs, désireux de fusionner avec les autres nations, ont refait leur prépuce et refusé de circoncire leurs fils (1 M 1:15). Ceci a provoqué la colère des prêtres juifs. Ainsi, le prêtre Mattathias et ses amis les Assidéens “firent une tournée pour détruire les autels et circoncire de force tous les enfants incirconcis qu’ils trouvèrent sur le territoire d’Israël” (1 M 2:45-46).
Les juifs ont continué à refaire leur prépuce, et donc à rejeter la circoncision, après J.-C. Le médecin romain Celsus (d. v. 50) décrit à cet effet deux opérations de restauration du prépuce, dont une destinée à ceux qui pratiquent la circoncision. Paul en parle dans sa 1ère épître aux Corinthiens: “Quelqu’un était-il circoncis lors de son appel? qu’il ne se fasse pas de prépuce. L’appel l’a-t-il trouvé incirconcis? qu’il ne se fasse pas circoncire” (I Co 7:18). Pour faire face à ce rejet de la circoncision, les rabbins ont prescrit vers l’an 140 une forme d’amputation plus sévère qui enlève non seulement le prépuce, mais aussi la doublure du prépuce, rendant ainsi plus difficile l’étirement de la peau du pénis. Ils ont aussi prévu la re-circoncision de celui qui tire sa peau, si nécessaire cent fois.
En plus de la circoncision du prépuce, la Bible utilise le concept de la circoncision du cœur, des oreilles et des lèvres:
– Circoncision du cœur: Dieu demande aux juifs: “Circoncisez votre cœur et ne raidissez plus votre nuque” (Dt 10:16); il menace d’humilier leur cœur incirconcis à cause de leurs fautes (Lv 26:41). Jérémie parle aussi d’incirconcis de cœur et incirconcis de corps (Jr 9:24-25). Il demande aux juifs: “Circoncisez-vous pour Yahvé, ôtez le prépuce de votre cœur” (Jr 4:4). On retrouve l’expression incirconcis de cœur et incirconcis de corps dans Ézéchiel (Ez 44:7 et 9).
– Circoncision des lèvres: Moïse essaie de rejeter la demande que lui fait Yahvé de s’adresser au Pharaon en prétextant que ses lèvres sont incirconcises, ce qui a été traduit par “il n’a pas la parole facile” (Ex 4:12).
– Circoncision des oreilles: Jérémie dit: “A qui dois-je parler, devant qui témoigner pour qu’ils écoutent? Voici: leur oreille est incirconcise” (Jr 6:10).
2) Débat chez les juifs réformés allemands
Après la révolution fran
çaise de 1789, il y a eu une tendance à créer une société civile sans barrières religieuses entre les citoyens. Les gouvernements étaient disposés à assimiler les communautés religieuses comme les juifs, mais ces derniers devaient montrer leur désir de s’ouvrir pour que leurs membres obtiennent l’égalité des droits. Napoléon était personnellement opposé à l’enfermement des communautés, imposant aux juifs de rompre leur ghetto dans les régions où dominaient ses armées.
C’est dans ce contexte qu’est né le courant réformé juif qui appelait à l’acceptation mutuelle entre les juifs et les non-juifs. Dans son discours d’ouverture du premier temple réformé en 1820 à Sessen sous domination napoléonienne, Israel Jacobson a considéré les rituels et les coutumes religieuses juives comme contraires à la raison.
Le débat contre la circoncision fut ouvert en 1842 à Francfort par un groupe de laïcs juifs nommé Amis de la réforme, qui rappelle le groupe Amis de la lumière formé de protestants universalistes. Une des revendications des Amis de la réforme était de supprimer la circoncision comme signe de distinction entre les gens. Un point de leur programme initial considérait que la circoncision n’était pas obligatoire pour les juifs. Mais, sous la pression des rabbins, ils ont dû supprimer ce point. Un document anonyme provenant de ce cercle proposait de remplacer la circoncision sanglante par une circoncision non sanglante, appelée sanctification du huitième jour, célébrée tant pour les garçons que pour les filles, lesquels étaient ainsi admis dans l’alliance et obtenaient un nom juif. Certains de ces réformés ne cachaient pas leur ambition d’abolir complètement la croyance basée sur la révélation et les barrières entre les religions.
Peu de temps après, à la suite de décès d’enfants à cause de la circoncision, le Département de la santé de Francfort a établi un règlement visant à rendre le maximum de sécurité médicale dans la pratique de la circoncision. Ce règlement disait: “Les citoyens et habitants israélites, s’ils souhaitent circoncire leurs enfants, doivent recourir à des personnes nommées spécialement pour pratiquer le rite de la circoncision”. La phrase que nous mettons en italique a fait bondir les rabbins parce qu’elle signifiait que les parents étaient libres de circoncire ou de ne pas circoncire leurs enfants. Ils ont estimé que cela mettait en danger la communauté juive, la circoncision étant une condition indispensable pour en faire partie. Et en fait, certains parents ont exprimé le souhait de ne plus circoncire leurs enfants. Mais malgré les pressions des rabbins, les autorités civiles ont maintenu leur règlement. Ce qui a provoqué une déchirure au sein de la communauté juive.
Le débat sur la circoncision est passé de l’Allemagne à Vienne où pas moins de 66 médecins juifs ont envoyé un mémorandum au conseil de leur communauté contre la poursuite de la pratique de la circoncision. Mais les rabbins étaient divisés sur les conséquences sociales de l’incirconcision du fait que certains refusaient de marier une femme juive à un incirconcis. Et en 1871, un synode juif réuni à Augsburg a pris une décision unanime à la suite de l’augmentation du nombre d’enfants juifs restés incirconcis. Cette décision dit:
Bien que le synode présuppose que la grande importance de la circoncision dans le judaïsme est hors doute, néanmoins il déclare que l’enfant né d’une mère juive resté incirconcis pour n’importe quelle raison doit être considéré comme juif et traité comme tel dans toutes les matières de la pratique du rituel, et ce selon les normes établies et reconnues impératives dans le judaïsme.
3) Débat actuel chez les juifs américains
Le débat des juifs réformés a suivi les immigrés juifs partis en Amérique au 19e siècle. La circoncision a été à l’agenda de la première réunion des rabbins réformés tenue à Philadelphie en 1869. La résolution suivante a été adoptée:
L’enfant mâle né d’une mère juive, tout comme l’enfant femelle, doit être considéré comme membre de la communauté juive par descendance, même s’il est incirconcis, conformément aux principes fondamentaux du judaïsme qui n’ont jamais été mis en doute.
Cette réunion a discuté aussi le cas des convertis au judaïsme qui seraient découragés par la circoncision. Mais la position du rabbin David Einhorn consistant à leur imposer la circoncision l’a emporté. Selon lui, les prosélytes “apportaient beaucoup d’éléments impurs dans le judaïsme” et la circoncision servait à sauvegarder le judaïsme de ces éléments. Ce courant a été renversé dans la réunion de 1892 qui a décidé que les rabbins devraient accepter “dans l’alliance sacrée d’Israël […] toute personne honorable et intelligente qui désire une telle affiliation sans aucun rite initiatique ou l’observation d’une cérémonie quelconque”. Aucune marque physique n’était requise.
Progressivement cependant la circoncision a été introduite aux États-Unis parmi les non-juifs et a fini par être acceptée par la majorité et pratiquée de manière routinière sur les enfants avant leur sortie de la maternité. Le problème rencontré par les juifs en Allemagne où ils étaient presque les seuls à se faire circoncire a cessé d’exister. Par conséquent, le débat autour de la circoncision n’avait plus sa raison d’être.
Les événements dramatiques de la Deuxième guerre mondiale et la création de l’État d’Israël ont donné le coup de grâce au débat juif contre la circoncision, celle-ci ayant été considérée comme le lien avec le judaïsme. La Conférence centrale des rabbins américains en 1979 a pris une décision ferme en faveur de la circoncision, ce qui indique la nouvelle tendance. Elle a dit que “c’est un commandement d’amener un enfant dans l’alliance à travers le rituel de la circoncision”. Elle a ajouté que “la circoncision en soi ne suffit pas pour entrer dans l’alliance, mais qu’il fallait l’accompagner par les prières appropriées”. Autant que possible, l’opération devrait être pratiquée par une personne formée spécialement sur le plan religieux et médical. Reconnaissant l’exigence de l’égalité, elle dit qu’une cérémonie religieuse pouvait être faite pour marquer l’entrée de la fille dans l’alliance.
Cette nouvelle situation favorable à la circoncision ne semble cependant pas destinée à durer. En effet, un nouveau débat commence à s’installer aux États-Unis autour de la circoncision. Mais cette fois, ce débat n’est pas initié par la minorité juive, mais par la majorité chrétienne, non pas pour des raisons religieuses, mais pour des raisons médicales, psychologiques et humanistes. Des juifs ont rejoint le rang des opposants, certains pratiquant la restauration du prépuce et proposant un rituel alternatif sans amputation. Leurs objections contre la circoncision sont résumées comme suit par Hoffman:
1) Sur le plan rituel, la circoncision est contraire au principe de l’égalité entre l’homme et la femme. Elle est un rite qui habilite l’enfant à entrer dans le cercle des hommes qui dominent la société. Certains tentent de résoudre ce problème en proposant un rite symbolique parallèle pour les filles.
2) Sur le plan médical, la circoncision n’a plus l’importance médicale qu’on lui attribuait dans le passé. Et si elle n’a pas d’avantages pour la santé, elle devient inutile.
3) Sur le plan de la morale, la circoncision est regardée actuellement comme une mutilation sexuelle pratiquée sur des mineurs et, de ce fait, elle ne saurait plus être admise.
4) Ouverture du débat en Israël
En plus des juifs soviétiques incirconcis, plusieurs familles juives vivant en Israël refusent de circoncire leurs enfants. Elles estiment qu’il n’est pas nécessaire de couper le prépuce de l’enfant pour qu’il devienne juif puisque le juif est celui qui naît d’une mère juive. Une association s’est constituée pour lutter contre cette pratique en Israël.
Le grand rabbin séfarade Bakshi-Doron s’est attaqué à ce mouvement. Il a déclaré: “A mon grand chagrin, je savais que cela finirait par arriver. La haine de soi-même a pris le peuple. L’idée que tout ce qui est juif est abominable s’est étendue au berit milah (circoncision), le signe juif le plus important, une procédure simple contre laquelle rien ne peut être dit”. Il a ajouté que les prétendus dommages causés par la circoncision ne justifient pas de douter de cette coutume ancienne. “Qui peut décider que nous avons à faire avec quelque chose de primitif, antique et pénible? Dieu soit loué, le peuple juif a vécu de la sorte pour de nombreuses générations. Et même si la circoncision lèse le plaisir sexuel, cela n’est pas une tragédie”.
L’opposition à la circoncision en Israël n’est pas une affaire simple. Les incirconcis ne peuvent pas être enterrés dans les cimetières juifs. Les conjoints qui refusent de circoncire leurs enfants rencontrent d’énormes problèmes avec leurs parents et leurs amis qui rompent toute relation avec eux. Un article paru dans la presse israélienne rapporte qu’une mère a refusé de circoncire son fils; son père l’a alors menacée de la priver de l’héritage. Une autre a perdu tout contact avec ses parents. Une autre a dit que le grand-père a refusé d
e toucher son petit-fils ou de le voir. Un ami de deux conjoints les a qualifiés de “Hitler” en les accusant de vouloir détruire le judaïsme.
Malgré ces tracasseries, les opposants se réunissent toutes les deux semaines afin de voir comment intensifier leur lutte et se soutenir. Le chanteur et critique littéraire Menachem Ben s’est joint à eux. Il a laissé ses fils incirconcis malgré le fait qu’il croit en Dieu et dans la Bible. Il dit avoir circoncis ces enfants à sa manière, en suivant le verset “Circoncisez-vous pour Yahvé, ôtez le prépuce de votre cœur” (Jr 4:4).
En plus de l’argument religieux, les opposants essaient de s’appuyer sur la loi existante. Ils ont présenté en janvier 1998 une demande à la cour suprême israélienne pour qu’elle déclare la circoncision comme contraire à la loi relative à la dignité de l’homme et de sa liberté. Ils souhaitent aussi que la circoncision soit pratiquée uniquement dans les milieux hospitaliers comme toute autre opération, après obtention de l’autorisation des parents de l’enfant. Cette demande, déclarée recevable par la cour, a fait grincer les dents du procureur général: “Il est inconcevable que le seul pays au monde qui interdit la circoncision soit Israël”. La cour a cependant fini par rejeter la demande en mai 1999 sans donner de justification à sa décision, se satisfaisant d’une réponse évasive du gouvernement.
Sites de juifs opposés à la circoncision
– http://www.jewsagainstcircumcision.org/
– http://jewishcircumcision.org/
– http://www.facebook.com/#/group.php?gid=82674239227
Voir mes livres sur la circoncision en différentes langues dans https://www.sami-aldeeb.com/livres-books/
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