Cimetières religieux: témoignage de Michel Rossetti, ancien Maire de Genève

Je souhaite ici mettre à la disposition des lecteurs la préface que M. Michel Rossetti a écrit à mon ouvrage: Cimetière musulman en Occident: Normes juives, chrétiennes et musulmanes. Il y relate son expérience et son opinion en tant qu’avocat et ensuite Maire de Genève avec les cimetières religieux. À méditer par tous les cantons et toutes les communes confrontés à des demandes de cimetières ou de carrés musulmans séparés.

Poser la question des cimetières musulmans c’est plus particulière­ment se demander s’il se justifie aujourd’hui de réintroduire en Suisse, à Genève notamment, les cimetières confessionnels sup­primés au 19ème siècle. En effet, outre les musulmans, d’autres communautés religieuses ont revendiqué la création de leurs pro­pres cimetières: juifs libéraux, arméniens apostoliques. Et la liste pourrait s’allonger!

Ces demandes se répétant de plus en plus souvent, l’ouvrage de Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh est donc d’une brûlante actualité, ce d’autant que certains élus n’hésitent pas à en défendre le principe au niveau parlementaire par pur idéalisme (sans en mesurer apparem­ment toutes les conséquences), par ignorance, faiblesse ou calcul politique. Aussi doit-on remercier et féliciter l’auteur pour la contribution qu’il apporte à la réflexion de ceux qui se préoccupent de la question et qui en particulier seront appelés à se prononcer. L’ouvrage, remarquablement documenté, se lit avec facilité et per­met au lecteur de se plonger dans l’histoire des normes juives, chrétiennes et musulmanes en matière de cimetière, de suivre leurs évolutions et enfin de se rendre compte que dans notre pays les autorités cantonales ou municipales ne partagent pas toutes le même avis!

Voici une trentaine d’années, alors que j’exerçais la profession d’avocat, j’ai défendu les intérêts d’un client musulman qui s’était acheté une concession dans le cimetière d’une commune genevoise dans le but de se faire construire un caveau lui permettant de se faire inhumer dans les conditions requises par sa religion. Le ca­veau était en voie d’achèvement et le problème qui l’avait conduit à s’adresser à moi était qu’il avait soudain constaté l’apparition d’hu­midité sur une des parois du caveau provoquée, disait-il, par l’état du terrain, raison pour laquelle il désirait purement et simplement obtenir l’annulation de la concession et le remboursement de son investissement.

J’avais été amené à solliciter des mesures provisionnelles et dans ce cadre là le juge avait ordonné un transport sur place au cours du­quel j’ai constaté deux choses: la première, que l’humidité, si elle existait, était si faible qu’elle ne justifiait pas la remise en question de l’accord signé entre les parties. La deuxième, qu’à droite du ca­veau de mon client se trouvait la tombe d’un juif… J’ai alors im­médiatement compris que le véritable motif de la procédure était la présence de cette tombe qui n’avait été remarquée que tardivement à l’occasion d’un déplacement au cimetière pour vérifier l’état des travaux. S’agissant du litige, il se résolut par la négociation. La commune accepta d’annuler la concession et reprit l’ouvrage.

Cette histoire me fit comprendre que même dans la mort certaines personnes ne doivent pas être côtoyées. Plus tard, lorsque j’eus à appliquer le Règlement sur les cimetières de la Ville de Genève, calqué sur la Loi cantonale de 1867, cette histoire me revint à l’es­prit et me conforta dans la conviction de la justesse de la règle se­lon laquelle chacun doit accepter d’être inhumé à la ligne sans dis­tinction de race ou de religion. J’ai donc appliqué cette règle systé­matiquement et sans dérogation fort de la conviction que c’est en supprimant les séparations que l’on réduit les antagonismes.

Au demeurant, la question de la réouverture des cimetières confes­sionnels n’est qu’un aspect de la remise en question de la laïcité qui, pourtant, non seulement nous a apporté paix civile et religieuse mais encore assuré liberté et égalité. La multiculturalité qui se dé­veloppe et l’écoute des minorités conduisent peu à peu à ce para­doxe: la majorité par inconscience, désintérêt, voire lassitude, au lieu de défende ses propres valeurs se laisse phagocyter et finit souvent par adopter les valeurs des minorités quitte à s’en mordre les doigts plus tard. Quelle erreur!

À l’exécutif de la Ville de Genève pendant dix ans, j’ai souvent uti­lisé l’image de la ligne rouge à ne pas franchir. Elle matérialisait dans mon esprit la ligne à partir de laquelle il ne pouvait plus y avoir de concession ou de discussion sous peine de capituler.

La laïcité sans aucun doute est une des valeurs qui doivent être maintenues et donc défendues avec détermination. À défaut, nous serions rapidement confrontés à de graves problèmes! En effet, les revendications de type religieux ne font qu’émerger et la question des cimetières n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Aussi faut-il souhaiter que nos autorités prennent le temps de la réflexion avant de décider. Nul doute alors qu’au vu des enjeux elles finissent par comprendre que rien ne doit changer dans ce domaine si particu­lier.

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