Aux premiers siècles de l’Église, on devenait chrétien par une décision personnelle qui entraînait, dans la plupart des cas, une rupture radicale entre le néophyte et son cercle familial naturel. Il incombait dès lors à l’Église de faire procéder à l’inhumation des membres de sa communauté.
La société romaine dans laquelle la communauté chrétienne a vécu redoutait le voisinage des morts, et les tenait à l’écart. Les morts enterrés ou incinérés étaient impurs: trop proches, ils risquaient de souiller les vivants. La Loi des Douze Tables prescrivait: “Qu’aucun mort ne soit inhumé ni incinéré à l’intérieur de la ville”. Le Code de Théodose ordonne d’emporter hors de Constantinople toutes les dépouilles funèbres. Le jurisconsulte Paul écrit: “Aucun cadavre ne doit être déposé dans la cité, pour que les lieux sacrés de la cité ne soient pas souillés”. Pour cela, les cimetières de l’antiquité étaient toujours hors des villes, le long des routes, comme la Via Appia à Rome: tombeaux familiaux construits sur des domaines privés, ou cimetières collectifs, possédés et gérés par des associations.
Avec la foi dans la résurrection et le culte des martyrs et de leurs tombeaux, les chrétiens se sont familiarisés avec les morts et les ont enterrés dans leurs églises ou autour de celles-ci, près du corps des martyrs, garant de leur salut dans l’autre vie. On estimait que la foi et les prières de l’entourage, celles d’un clergé pourvu d’offrandes faites au nom du défunt, pourront suppléer à l’insuffisance des mérites personnels. On voit alors l’apparition des doctrines du purgatoire, du paradis, des indulgences, de l’efficacité sacramentale de la messe des morts, des œuvres surérogatoires des saints et des martyrs. Et si le droit canonique a interdit l’enterrement dans les églises, ceci n’a eu comme effet que de soumettre l’inhumation usuelle dans les églises au paiement d’un droit.
Dominant en maître sur les cimetières, l’Église décidait qui pouvait y être enterré. Les excommuniés, comme les suppliciés qui n’avaient pas été réclamés par leurs familles, ou que le seigneur justicier n’avait pas voulu restituer, pourrissaient sans être enterrés, simplement recouverts de blocs de pierre pour ne pas incommoder le voisinage
Le monopole de l’Église sur les cimetières fut entamé à partir du 17ème siècle. Sous l’effet de la démographie et de l’hygiène, il fut décidé de déplacer les cimetières loin des centres urbains. Et au lieu d’avoir un cimetière par paroisse, on passa à des cimetières communs, réduisant de la sorte le pouvoir de l’Église. La Révolution française, avec sa volonté d’intégrer les différentes communautés religieuses et de supprimer les clivages entre catholiques, protestants et juifs, a renforcé cette tendance.
Les mesures restrictives en France frappaient principalement l’Église catholique. Mais celle-ci ne s’avouait pas vaincue pour autant. Sous sa pression, le Décret du 12 juin 1804, dit Décret de Prairial, stipulait à son article 15: “Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier et, dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de cultes différents avec une entrée particulière”.
Le coup de grâce contre l’Église catholique en France a été l’abrogation le 7 mars 1881 de l’article 15 du Décret de Prairial, instituant ainsi la neutralisation des cimetières. Dès 1882, plusieurs municipalités, à Lille, Marseille, Tour par exemple, font abattre ou ouvrir largement les murs séparant protestants et catholiques… ce qui ne va pas sans résistance de la part des protestants et des israélites, cette fois, soucieux de rester entre eux. Dès 1882, sous la pression des libres-penseurs, les autorités procèdent à l’enlèvement des emblèmes religieux centraux et ceux placés sur les portes d’entrée puisque les cimetières sont désormais ouverts de manière indistincte à tous. Mais ceci posait des problèmes. On a préservé les croix ayant une histoire comme faisant partie en quelque sorte du patrimoine local. Il en est de même dans les cimetières ruraux et dans un très grand nombre de cimetières urbains.
Avec l’arrivée des musulmans en France, le Ministre de l’intérieur a recommandé aux maires d’user de leurs pouvoirs de police pour réserver aux personnes décédées de confession islamique des carrés spéciaux dans leurs cimetières. Cette solution d’une légalité douteuse a permis de concilier, dans certains cimetières, les principes généraux de la République et les aspirations de certaines confessions.
Aujourd’hui, en France, si le principe est celui de l’interdiction des cimetières confessionnels, on n’admet pas moins des exceptions à ce principe pour les communes d’Alsace Moselle qui vivent sous un régime spécial, pour certains cimetières protestants, pour des cimetières juifs et pour des carrés musulmans. On peut donc dire que les plus grands perdants dans cette laïcisation des cimetières furent les catholiques qui ne disposent plus de cimetière propre en dehors des communes d’Alsace Moselle.
Malgré cette évolution, l’Église catholique a continué à revendiquer ses prérogatives historiques. Ceci est reflété dans le Code de droit canon de 1917 dont nous citons les dispositions suivantes:
Canon 1206 – §1 L’Église a le droit d’avoir ses cimetières propres.….
- 3 Si cela ne peut pas être obtenu, chaque tombe doit être bénie à chaque sépulture, selon les rites contenus dans les livres liturgiques approuvés.
style=”text-align: justify; margin: 0cm 3.6pt 0pt 14.2pt;”>Canon 1208 – §1 Les paroisses doivent avoir chacune son cimetière, à moins qu’un cimetière commun à plusieurs paroisses ait été régulièrement constitué par l’Ordinaire du lieu.
Canon 1239 – §1 On ne doit pas admettre à la sépulture ecclésiastique ceux qui sont morts sans baptême.
Canon 1240 – §1 Sont privés de la sépulture ecclésiastique, à moins qu’ils n’aient donné quelque signe de pénitence avant leur mort:
1° Ceux qui ont fait apostasie notoire de la foi chrétienne, ou sont attachés notoirement à une secte hérétique, ou schismatique, ou à la secte maçonnique, ou aux sociétés du même genre.
2° Les excommuniés ou interdits après une sentence condamnatoire.
3° Ceux qui se sont donnés la mort délibérément.
4° Ceux qui meurent en duel, ou d’une blessure qu’ils y ont reçue.
5° Ceux qui ont ordonné que leur corps soit livré à l’incinération.
6° Les autres pécheurs publics et manifestes.
Canon 1242 – Si c’est possible sans grave inconvénient, le corps de l’excommunié ‘à éviter’ qui, malgré la décision des canons, a reçu la sépulture dans un lieu sacré, doit être exhumé.
Nous retrouvons des normes presque similaires dans le Code de droit canonique de 1983 dont nous citons les canons suivants:
Canon 1240 – §1 Il y aura des cimetières propres à l’Église là où cela est possible ou du moins, dans les cimetières civils, des endroits destinés aux fidèles défunts; ils doivent être bénis selon les rites.
Le canon 1184 §1 exclut aussi des funérailles ecclésiastiques, et donc des cimetières de l’Église,
- les apostats, hérétiques et schismatiques notoires;
- les personnes qui auraient choisi l’incinération de leur propre corps pour des raisons contraires à la foi chrétienne;
- les autres pécheurs manifestes, auxquels les funérailles ecclésiastiques ne peuvent être accordées sans scandale public des fidèles.
Nous verrons dans le prochain billet les normes musulmanes avant de passer aux normes suisses.
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