Les musulmans en Suisse sont passés de 16’353 en 1970 à 310’807 en l’an 2000 selon les derniers chiffres officiels… sans parler des sans-papiers. Les musulmans meurent de plus en plus en Suisse, mais on estime qu’environ 90% de leurs morts sont rapatriés dans leurs pays d’origine. Pourquoi un tel rapatriement et pourquoi ne se font-ils pas enterrer en Suisse?
Des musulmans répondent que la Suisse ne leur accorde pas le droit de s’y faire enterrer selon leurs normes. Ils énoncent plusieurs griefs que les milieux favorables aux musulmans, notamment parmi les autorités religieuses chrétiennes, répètent sans trop y réfléchir. Ces griefs sont: l’absence de cimetières ou de carrés réservés exclusivement aux musulmans, le non respect de la direction des tombes vers la Mecque, l’enterrement dans des cercueils, le non-respect du délai dans lequel les morts doivent être enterrés, la désaffectation des tombes après un certain nombre d’années et l’usage de l’incinération. Des musulmans estiment que la Suisse viole le principe de la liberté de religion et de culte en refusant aux musulmans le droit de se faire enterrer selon leurs propres normes religieuses. Un Suisse converti à l’islam est allé jusqu’au Tribunal fédéral en 1999 pour forcer sa Commune à respecter ces normes, mais il a été débouté.
Les musulmans ne sont pas les premiers ni les seuls à avoir des problèmes en Suisse en matière de cimetière. Tant les chrétiens que les juifs ont connu dans le passé et connaissent encore aujourd’hui plus ou moins les mêmes problèmes. Et comme les juifs ont influencé les chrétiens et les musulmans, il est essentiel de poser ces problèmes par rapport à ces trois communautés religieuses, par ordre d’ancienneté, pour voir comment ils ont été résolus en Suisse. Or, en raison de la structure fédérale de la Suisse, les solutions diffèrent d’un canton à l’autre, voire d’une commune à l’autre, puisque les autorités fédérales n’ont établi qu’un principe général en matière de cimetière énoncé à l’article 53 al. 2 de la Constitution de 1874:
Le droit de disposer des lieux de sépulture appartient à l’autorité civile. Elle doit pourvoir à ce que toute personne décédée puisse être enterrée décemment.
Cette disposition n’a pas été facile à interpréter, ce qui a nécessité l’intervention des autorités fédérales pour trancher des litiges entre les cantons, les communes et les communautés religieuses. De plus, cette disposition a disparu de la nouvelle constitution entrée en vigueur le 1er janvier 2000, laissant ainsi le pays dans le brouillard le plus total.
Il faut signaler que les normes de ces communautés religieuses en matière de cimetière ne sont pas statiques, et ce d’autant plus que ces normes ne sont pas énoncées clairement dans leurs textes religieux fondateurs. Ces normes ont changé à travers les siècles, voire même dans des laps de temps très courts, mais ce changement n’a pas été admis par toutes les composantes de ces communautés. Par exemple, la question de l’incinération a été catégoriquement rejetée dans le passé par les trois communautés. Mais en 1998, 67.97% des personnes décédées en Suisse ont été incinérées contre 14.90% en France et 4.09% en Italie. Certes, les juifs, et plus encore les musulmans, restent très réticents à cette pratique, mais il y a des juifs et des musulmans qui y recourent en Suisse.
Dès lors, face à des revendications provenant de ces communautés qui invoquent la liberté religieuse, on se pose la question de savoir quelles normes le législateur et les autorités en Occident, voire dans les pays musulmans, doivent-ils accepter. Et en ce qui concerne les revendications de la communauté musulmane en Suisse, ces revendications proviennent de milieux intégristes qui n’ont pas intérêt à signaler les changements que les normes islamiques ont connus. Les autorités suisses et les milieux religieux chrétiens qui les soutiennent ignorent souvent que de tels changements ont lieu et prennent les propos des milieux intégristes pour de l’argent comptant, sans les vérifier.
Je reviendrai dans les prochains billets sur ces normes religieuses qu’on n’a pratiquement jamais étudiées dans les universités suisses… et qu’on ne veut pas enseigner… préférant l’ignorance à la connaissance. Et pire, la Confédération ne s’en occupe pas, laissant les communes et les cantons affronter seuls, en rangs dispersés, ces problêmes très pénibles et très délicats au lieu de faire une seule et unique loi pour tous.
Voir mon livre: Cimetière musulman en Occident: Normes juives, chrétiennes et musulmanes, Createspace (Amazon), Charleston, 2e édition, 2012, 140 pages Amazon.fr
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