L’organe délibérant veveysan se penchera en juin sur l’octroi ou non d’une aide financière en faveur de la Fondation islamique du district Riviera-Pays-d’Enhaut. Chef de file des UDC, le député Bastien Schobinger s’y oppose: «Je n’ai rien contre les musulmans de Vevey. Mon opposition se focalise d’abord sur l’aspect financier. Nous sommes en pleine période d’austérité et n’avons pas les moyens d’offrir 200’000 francs pour cette cause. Par ailleurs, la communauté orthodoxe, quand elle a effectué des travaux dans son église, n’a sollicité aucun soutien financier de la Ville. Les musulmans doivent faire de même. Il ne faut pas créer de précédent.»Patrick Bertschy (PLR) abonde dans ce sens. «Certes, les musulmans ont fait des efforts importants pour trouver de l’argent. Mais ce n’est pas à nous de contribuer. Ou alors pourquoi ne pas donner aux orthodoxes, aux évangélistes, aux juifs. La loi vaudoise stipule que l’on ne peut soutenir que deux religions: les catholiques et les protestants. Les autres doivent se débrouiller.»A la gauche de la gauche, Alain Gonthier (Alternative) veut soutenir le projet municipal: «Nous sommes en effet favorables pour aider les musulmans. Le signal est fort pour qu’ils puissent exercer leur religion dans des conditions dignes. Et la dépense minime: en moyenne 1 fr. 50 par an pour chaque Veveysan pendant dix-sept ans. On est loin des 120 francs annuels que chaque habitant doit verser pour les religions dites officielles.»
Clément Tolusso (Les Verts) est quelque peu partagé: «Ce serait la moindre des choses que de soutenir les musulmans de la région. L’effort financier n’est pas important. Mais nous manquons encore d’informations. Il faut attendre les délibérations et le rapport de la commission ad hoc chargée d’étudier ce projet afin d’avoir toutes les données pour pouvoir se prononcer au mieux.»
La mosquée de Vevey est installée depuis cinq ans dans un ancien garage. Le vendredi, jour de grande prière, 400 fidèles s’y massent (Vevey compte environ 1900 musulmans, soit 10% de sa population). En l’absence de ventilation et de chauffage dignes de ce nom, en présence de fuites d’eau, les conditions sont loin d’être idéales pour la pratique du culte. «Une fournaise l’été, un frigo l’hiver», résume Grégory Stergiou, président de la Fondation islamique du district Riviera-Pays-d’Enhaut, fondée il y a vingt ans à Vevey. «Pire, les installations ne sont plus aux normes. Il faut y remédier», ajoute l’imam veveysan Abdelhamid Chakir.
Les musulmans de la région ont adressé récemment une demande d’aide financière à la Ville. De l’ordre de 200’000 francs sur 17 ans. Exclusivement pour qu’elle paie les intérêts (ribà) d’un emprunt bancaire, ce qu’interdit le droit canonique musulman. Les remboursements du prêt seront assumés par la communauté musulmane. L’exécutif a décidé de relayer favorablement cette nouvelle démarche auprès de son parlement, qui se déterminera en juin.
Refus en 2011
En fait, la fondation prévoit depuis 2011 déjà des travaux d’envergure et coûteux: 2 millions de francs. Ses responsables envisagent depuis la même date de recourir à un prêt bancaire. Dans un premier temps, ils avaient approché la Municipalité afin que la Ville contracte le prêt – que la fondation aurait remboursé année après année – et paie les intérêts. Le Conseil communal n’était même pas entré en matière.
Les musulmans ont remis l’ouvrage sur le métier et reviennent donc avec une demande quelque peu différente. Et aussi avec 300’000 francs de fonds propres, argent récolté auprès des membres. Leurs responsables ont adressé des demandes de prêt à des organismes bancaires pour le 1,7 million restant. «Nous pourrons rembourser les échéances, 100’000 francs par an, mais se pose toujours le problème de l’intérêt», rappelle l’imam. La requête porte désormais sur le seul paiement des intérêts par la Ville.
«L’aide financière apportée par la Ville serait environ de l’ordre de 200’000 francs sur 17. Avec des paiements dégressifs: 33’000 francs la première année, 5000 la dernière», analyse Etienne Rivier, municipal des Finances. Cette aide est considérée par le syndic, Laurent Ballif, «comme une solution acceptable à l’intention des musulmans de la région, fort bien intégrés».
Certes, mais, après un premier refus, la demande n’est-elle pas maladroite? «Non. Nous faisons partie intégrante de la vie veveysanne. Outre les rencontres cultuelles, notre mosquée accueille des classes d’enfants, des rencontres œcuméniques avec les autres religions, et peut être mise à disposition de la protection civile. Nous demandons un coup de pouce comme peuvent le faire des associations sportives ou culturelles», détaille Grégory Stergiou, qui espère que le Conseil communal accédera cette fois à la requête. A noter que c’est la Fondation islamique de la région qui est à l’origine de la très appréciée Fête multiculturelle de Vevey.
Indépendance
Mais pourquoi les musulmans de Vevey n’approchent-ils pas de riches donateurs acquis à leur cause pour financer leurs travaux? «C’est délicat. Nous ne souhaitons pas recevoir d’argent de pays comme l’Arabie saoudite ou ailleurs, déclare Grégory Stergiou. Car nous voulons garder notre indépendance.» Pour Abdelhamid Chakir, l’aide financière de Vevey permettrait d’ancrer un peu plus le lieu de culte dans le patrimoine de la ville: «Ainsi, les Veveysans seraient fiers de leur mosquée, au même titre que pour leur temple ou leur église. Et les liens qui existent entre nous et les autorités successives depuis vingt ans seraient encore renforcés.»
Autre argument que pourrait soulever le débat au Conseil communal, la possibilité dans certains cas – extrêmes – pour les musulmans d’emprunter avec intérêt. Ce fut le cas pour ceux de Vevey lorsqu’ils ont acheté le garage transformé en mosquée il y a cinq ans alors qu’ils avaient déjà engagé 100’000 francs qu’ils risquaient de perdre sans nouvel apport. «Dans le canton, sur 15 lieux de culte environ, outre Vevey, seuls ceux de Moudon, d’Ecublenset de Prillysont propriété d’associations qui ont reçu des dons pour y accéder», précise Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM).
Exceptions autorisées
Dans des cas individuels, le Conseil européen de la fatwa permet à un musulman de contracter un prêt avec intérêt pour l’achat d’un logement. «C’est vrai, cela existe en Suisse comme ailleurs, dit Abdelhamid Chakir. S’il s’agit d’une nécessité vitale, s’il y a un intérêt personnel prépondérant. Comme pour un père, par exemple, qui veut mettre sa famille à l’abri alors qu’il n’a pas l’entier des fonds propres. Cela ne peut en revanche pas s’appliquer à notre mosquée, qui n’est pas un lieu où l’on vit, mais où l’on prie.» Environ 30 000 musulmans vivent dans le canton. «Les pratiquants sont de l’ordre de 10% à 12%, même proportion que pour les autres religions», indique le président de l’UVAM.
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