AVERROÈS – AVOCAT DU DJIHAD

Source: Ibn Rushd, dit Averroès (1126-1198), est l’un des érudits musulmans les plus célèbres en Occident. On le connaît surtout pour ses commentaires d’Aristote, pour ses talents de médecin et pour le fait qu’il a été persécuté pour ses prises de position philosophiques. Averroès était trop influencé par la philosophie, la logique et les mathématiques grecques pour toujours rester un parfait Musulman. Bref, il fait figure de progressiste. On en a même fait un héros de cinéma.

Mais un érudit musulman est d’abord un juriste. Et un juriste musulman traite forcément du djihad. Ibn Rushd le fait dans son traité de droit intitulé Bidayat al-mudjtahid. Voici quelques extraits du premier des deux chapitres qu’il consacra au djihad. Cette traduction est basée sur celle, en anglais, de Rudolph Peters, parue dans Jihad in Mediaeval and Modern Islam: The Chapter on Jihad from Averroes et retranscrite dans The Legacy of Jihad, un recueil de textes sur le djihad édité par Andrew G. Bostom. Update: on peut aussi lire ce chapitre dans une version anglaise complète de la Bidayat al-Mujtahid d’Averroès.

Qui est mieux placé pour donner du djihad une idée que nous autres Occidentaux pouvons considérer comme valable et légitime qu’Averroès, ce philosophe ami des Grecs, modéré et raffiné, et que les Musulmans aussi donnent volontiers en exemple?

Averroès traite le sujet en vrai juriste, se contentant d’indiquer l’état du débat juridique, sans impliquer sa propre interprétation. Mais il est clair que celle-ci compte parmi les plus pacifiques, à voir le nombre de solutions extrêmes qu’il choisit, visiblement, de ne pas évoquer [je prendrai soin d’indiquer la principale omission d’Averroès, toutefois, dans la 4e partie, en me basant sur le Kitab as-sunan d’Abou Daoud]. Mais même ainsi, dans ce texte d’un Musulman s’adressant à d’autres Musulmans, nous découvrons fort bien la réalité du djihad: une guerre de conquête, religieuse, qui ne s’arrête jamais.

J’ai coupé la majeure partie des dissertations de détail pour éviter de trop lourdes répétitions, mais j’ai laissé quelques exemples complets qui témoignent de la réflexion des juristes musulmans et qui mettent bien en lumière le type de différences d’interprétation sur lesquelles s’affrontent les différentes écoles juridiques islamiques.

LE DJIHAD

1ère partie: Les qualifications légales (hukm) de cette activité et les personnes obligées d’y prendre part

Les savants s’accordent à dire que le djihad est un devoir collectif et non personnel. (…) De l’avis de la majorité des savants, la nature obligatoire du djihad est fondée sur [le verset du Coran 2:216] : «Le combat vous a été prescrit alors qu’il vous est désagréable.» (…) L’obligation de participer au djihad s’applique aux hommes adultes libres qui disposent des moyens de partir en guerre et qui sont en bonne santé. (…)

2e partie: L’ennemi

Les savants s’accordent sur le fait que tous les polythéistes doivent être combattus. Cela est fondé sur [le verset du Coran 8:39]: «Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah.» Toutefois, il a été relaté à Malik qu’il ne serait pas permis d’attaquer les Éthiopiens et les Turcs sur la base de la tradition du prophète: «Laissez les Éthiopiens en paix aussi longtemps qu’ils vous laissent en paix.» Interrogé sur l’authenticité de ce hadith, Malik ne le reconnut pas, mais dit: «Les gens évitent toujours de les attaquer.»

[Ceci constitue bel et bien la totalité du texte définissant l’«ennemi»]

3e partie: Les dommages pouvant être infligés aux différentes catégories d’ennemis

Les dommages infligés à l’ennemi peuvent consister en atteintes à sa propriété, à sa personne ou à ses libertés individuelles, c’est-à-dire sa mise en esclavage et son appropriation. Conformément au consensus (idjma), cela peut être infligé à tous les polythéistes – hommes, femmes, jeunes et vieux, importants et communs. Les opinions ne varient qu’en ce qui concerne les moines. (…).

La majorité des savants s’accordent à dire que l’imam (le chef de l’État islamique, le calife) dispose de nombreuses possibilités de traiter les captifs. Il peut leur pardonner, les tuer ou les libérer contre rançon ou sous forme de dhimmi, auquel cas le captif libéré est tenu de payer la taxe de capitation (jiziah).

Quelques savants, néanmoins, enseignent que les captifs ne doivent jamais être tués. Selon al-Hasan Ibn Muhammad al-Tamimi, c’était même la le consensus (idjma) de la Sahabah [les contemporains du prophète qui l’ont connu]. Cette controverse est apparue premièrement parce que les versets du Coran sont contradictoires à cet égard; deuxièmement parce que la pratique [du prophète et des premiers califes] était incohérente; et troisièmement parce que l’interprétation évidente du [verset du Coran 47:4] «Lorsque vous rencontrez les incroyants, qu’ils soient massacrés jusqu’à leur domination» est que l’imam n’a que le droit de pardonner aux captifs ou de les libérer, tandis que par ailleurs [le verset du Coran 8:67] «Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant d’avoir mis les mécréants hors de combat sur la terre» de même que le contexte de la révélation de ce verset [les captifs de Badr] tendent à prouver qu’il vaut mieux tuer les captifs plutôt que de les mettre en esclavage.

Le prophète lui-même a tué certains captifs hors du champ de bataille, alors qu’il pardonna à d’autres. Il réduisait toujours les femmes en esclavage. Abou Abayd a relaté que le prophète n’avait jamais réduit en esclavage des Arabes de sexe masculin. Après lui, les sahabah réunissent l’unanimité autour de la règle permettant que les Gens du Livre, mâles et femelles, soient réduits en esclavage. Ceux qui soutiennent l’opinion selon laquelle le verset qui interdit l’exécution [47:4] abroge l’exemple donné par le prophète maintiennent que les captifs ne doivent pas être tués, D’autres professent toutefois que ce verset ne concerne pas le massacre de captifs et donc n’avait pas pour intention de limiter le nombre de traitements pouvant être infligés aux captifs. Au contraire, disent-ils, le fait que le prophète ait eu pour habitude de tuer les captifs ajoute une règle au verset [47:4] en question et ainsi annule le cas de la plainte selon laquelle il aurait omis de tuer les captifs de Badr. Ceux-ci, donc, professent que le massacre de captifs est autorisé.

(…)

En ce qui concerne les atteintes portées à la personne, c’est-à-dire le fait de tuer l’ennemi, les Musulmans s’accordent à dire qu’en temps de guerre, tous les mâles adultes valides et incroyants doivent être tués [suit une longue discussion sur la question de savoir qui d’autre peut aussi être tué, dans quels cas et selon quelles autorités basées sur quels actes du prophète, sur quels versets et quelles traditions, puis une autre, sur la question de savoir quels dommages peuvent être infligés à la propriété de l’ennemi, notamment l’incendie de ses arbres].

4e partie: les conditions préalables de la guerre

Selon l’ensemble des savants, la condition pour l’entrée en guerre est que l’ennemi ait entendu les appels à adopter l’Islam. Cela implique qu’il n’est pas autorisé d’attaquer avant que l’appel ne les ait atteints. (…) Cependant, une controverse existe quant à la question de savoir si l’appel doit être répété lorsque la guerre est reprise. Certains soutiennent que cela est obligatoire; d’autres considèrent que c’est seulement recommandé; un troisième groupe estime que ce n’est ni obligatoire, ni recommandé. La source de cette controverse se trouve dans les paroles et les actes du prophète. Selon une tradition faisant autorité, le prophète, en lançant ses armées, disait à leur commandant

«Lorsque tu rencontreras tes ennemis polythéistes, appelle-les à trois choses. Accepte celle à laquelle ils consentiront et ne les attaque pas, alors. Appelle-les d’abord à se convertir à l’Islam. S’ils acceptent, ne les attaque pas. Ensuite, appelle-les à quitter leur territoire pour adopter le foyer des émigrants (muhadjirun) [c’est-à-dire Médine] et dis-leur que s’ils acceptent ils auront les mêmes droits et devoirs que les émigrants. S’ils refusent et qu’ils préfèrent restent sur leurs terres, annonce-leur qu’ils seront comme les Bédouins convertis, qui sont sujets d’Allah comme les autres croyants, mais n’ont pas droit à une part du butin, à moins qu’ils ne rejoignent les Musulmans dans la guerre. S’ils refusent cela, alors appelle-les à payer la taxe de capitation (jiziah). S’ils acceptent cela, consens-y et ne les attaque pas. Mais s’ils refusent, invoque l’aide d’Allah et attaque-les.»

[Abou Daoud ajoute ici, au même paragraphe, dans son Kitab as-sunan, qui servait très probablement de source à Averroès, la chose suivante:
«Si tu assièges les gens d’une forteresse et qu’ils désirent se rendre sans condition (ala hukm Allah), n’y consens pas, mais fais-les se rendre quand tu le jugeras bon et fais d’eux ensuite ce que tu voudras.»]

Malgré cela, il est établi de manière irréfutable que le prophète effectua plusieurs attaques surprises contre l’ennemi, la nuit ou à l’aube. Certains, donc, et ils sont la majorité, affirment que les actes du prophète ont abrogé ses paroles. (…)

5e partie: Le nombre maximum d’ennemis contre lesquels on est obligé de se défendre

Le nombre maximum d’ennemis contre lesquels on est obligé de se défendre est le double de celui de ses propres troupes. (…) Ibn Madjishun affirme, sur l’autorité de Malik, que la puissance effective, plutôt que le nombre, doit être considérée, et qu’il peut être admis qu’un homme fuie avant un autre si ce dernier possède une meilleure monture, de meilleurs armes et une force physique supérieure.

6e partie: La trêve

La conclusion d’une trêve est considérée par certains comme étant permise d’emblée et sans occasion particulière, à condition que l’imam considère qu’elle est dans l’intérêt des Musulmans. D’autres soutiennent que cela n’est admissible que lorsque les Musulmans en sont réduits à la plus extrême nécessité, comme en cas de guerre civile. (…)

Shafii affirme qu’une trêve ne devrait jamais être conclue pour une durée dépassant celle de la trêve conclue par le prophète avec les incroyants l’année de Hudaybiyyah. La controverse sur la question de savoir si la trêve peut être admise sans une raison impérieuse se fonde sur le fait que l’interprétation évidente du [verset du Coran 9:5] «tuez les polythéistes où que vous les trouviez» et [du verset du Coran 9:29] «Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier» contredit celle [du verset du Coran 8:61] «s’ils inclinent à la paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allah».

Certains affirment que le verset ordonnant aux Musulmans de combattre les polythéistes jusqu’à ce qu’ils se convertissent ou qu’ils paient la taxe de capitation (jiziah) [C 9:29] abroge le verset pacifique [C 8:61]. En conséquence, ils soutiennent que la trêve n’est admissible qu’en cas de nécessité. D’autres sont d’avis que le verset pacifique [C 8:61] complémente les deux autres versets et ils considèrent donc que la trêve est admise dès lors que l’imam le juge judicieux. Ils ajoutent, pour soutenir leur thèse, que le prophète a agi de la sorte, car la trêve de Hudaybiyyah n’avait pas été conclue par pure nécessité.

Selon Shafii, le principe est que les polythéistes doivent être combattus jusqu’à ce qu’ils acceptent de se convertir ou de payer la jiziah. Les actes du prophète durant l’année de Hudaybiyyah constituent une exception à cette règle. Donc, poursuit Shafii, une trêve ne doit jamais excéder la période pour laquelle le prophète a conclu la trêve dans le cas de Hudaybiyyah. Il reste cependant une controverse quant à la durée de cette période. Les uns disent qu’il s’agit de quatre ans, mais d’autres parlent de trois ans ou de dix ans. (…)

7e partie: Les objectifs de la guerre

Les Musulmans s’accordent à dire que l’objectif de la guerre contre les Gens du Livre, à l’exception de ceux appartenant à la tribu des Koraïchites et des Chrétiens arabes, est de deux ordres: soit la conversion à l’Islam, soit le paiement de la taxe de capitation (jiziah). Ceci est basé sur [le verset du Coran 9:29]: «Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés.»

La plupart des juristes admettent que la jiziah peut aussi être collectée auprès des Zoroastriens (madjus) sur la base des paroles du prophète «Traitez-les comme les Gens du Livre». Il y a controverse, toutefois quant aux polythéistes qui ne sont pas des Gens du Livre: est-il admis de prélever la jiziah parmi eux également? Certains, comme Malik, enseignent que la jiziah peut être exigée de n’importe quel polythéiste. D’autres font une exception pour les polythéistes arabes. Shafii, Abu Thawr et quelques autres soutiennent que la jiziah ne peut être acceptée que de la part des Gens du Livre et des Zoroastriens.

La controverse est ici également générée par le fait qu’une règle générale s’oppose à une règle particulière. La règle générale est dérivée des [versets du Coran 2:193 et 8:39 (ces deux versets partagent ce même contenu)]: «Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah seul» et de la tradition «‹Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah› S’ils disent cela, leur vie et leurs biens sont inviolables pour moi, excepté si la loi de l’Islam l’autorise. Il sont alors redevables devant Allah.»

La règle particulière est fondée sur la tradition mentionnée plus haut, soit que Mahomet avait pour habitude de dire au commandant des troupes qu’il envoyait contre les polythéistes arabes: «Lorsque tu rencontreras tes ennemis polythéistes, appelle-les à trois choses, etc.» Dans cette tradition, la jiziah est également mentionnée. Maintenant, certains savants affirment qu’une règle générale annule une règle particulière si la règle générale a été révélée à une date ultérieure. (…) D’autres, toutefois, avancent que les règles générales devraient toujours être interprétées en association avec les règles particulières, peu importe que cela soit inconnu. (…)

Une question fameuse reste à traiter dans ce chapitre: s’il est interdit de pénétrer en territoire ennemi en portant un exemplaire du Coran. (…)

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