Aminah Nussayr est professeure du dogme et de la philosophie islamique à l’université de l’Azhar et membre du parlement égyptien. Elle a participé à de nombreux débats télévisés sur le voile. Nous n’avons pas trouvé d’articles de sa plume sur ce thème. Nous tentons donc ici de présenter sa position sur la base de vidéos et d’articles de presse la concernant[1].
Aminah Nussayr porte un voile couvrant sa tête et son cou, ne laissant voir que son visage et ses mains. Elle estime que le port du voile est une obligation religieuse prescrite par le Coran et évoque volontiers la Vierge Marie, qui porte le voile. Mais elle est une farouche opposante du niqab, estimant qu’il s’agit d’une tradition juive, pratiquée par des tribus juives qui vivaient avec des tribus arabes, lesquelles auraient subi leur influence. Elle signale que le niqab est prévu dans le Livre de la Genèse, dans le Talmud et chez Maïmonide. Ce dernier dit que la femme qui sort de sa maison sans se couvrir sort du judaïsme, et le niqab est encore porté par certains juifs en Israël[2].
Lorsque le Coran est venu, il ne l’a ni interdit ni autorisé, mais a présenté sa propre recette: la femme doit porter un habit qui ne décrit pas son corps, n’est pas transparent et n’attire pas l’attention. Les milieux salafistes lui objectent que si le niqab est prévu par la Bible, et que le Coran ne l’a pas interdit, cela signifie qu’il est considéré comme norme valable pour les musulmans en vertu de la règle islamique qui dit: «Les normes de nos prédécesseurs sont nos normes à moins qu’elles ne soient abrogées par la loi islamique.» Elle répond que le niqab entre en contradiction avec les versets coraniques H-102/24:31-32 qui demandent aux croyants et aux croyantes de baisser leur regard. Comment peuvent-ils baisser leur regard lorsque la femme est cachée par un vêtement noir de la tête aux pieds? Elle cite le juge ‘Iyadh qui dit: «Dieu n’a pas exigé de la femme qu’elle couvre son visage, mais de l’homme qu’il baisse son regard.»
Aminah Nussayr estime que le port du niqab a été importé en Égypte par les Égyptiens partis travailler en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe. Dans ces pays, ce qui compterait c’est l’apparence, et non pas l’essence. Mais comme cette pratique provient du pays de Mahomet, les Égyptiens se sont laissés influencer. Elle est d’ailleurs propagée avec insistance par les chaînes de télévision islamiques qui ont essaimé en Égypte. La venue de cette pratique en Égypte a été accompagnée par une vague de harcèlement contre les femmes, y compris celles portant le niqab. Et celles-ci le porteraient non pas par piété, mais pour se faire (bien) voir. Le niqab est même utilisé par des hommes, comme camouflage pour commettre des crimes, des actes de terrorisme et de débauche. Le niqab suscite la suspicion dans la société, ce qui est contraire à l’islam.
Elle explique: «Lorsque je marche près d’une femme portant le niqab, ou que je monte dans un taxi, que je prends un ascenseur ou un autobus, je ne sais pas si c’est une femme, un homme ou un ennemi. Et si une femme portant le niqab vole mon sac à main ou abîme ma voiture, je ne pourrai pas l’identifier. Les patients ont le droit de voir le visage du médecin qui les soigne, et les étudiants ont le droit de voir le visage de leur enseignante. Si une femme veut à tout prix porter le niqab, elle n’a qu’à rester chez elle. On ne peut pas invoquer le droit de la femme de porter le niqab à titre de liberté individuelle, et négliger ainsi le droit de milliers d’étudiants, et mon droit, de savoir à qui on a affaire.» Les milieux religieux lui demandent de laisser la femme libre de son choix de porter ou de ne pas porter le niqab, et voudraient qu’elle fasse plutôt campagne contre la nudité et les mannequins portant des habits impudiques qui excitent les passions des jeunes.
Aminah Nussayr affirme qu’il faut adopter une position médiane entre la nudité et le niqab, citant le verset H-87/2:143: «Ainsi avons-nous fait de vous une nation médiane, pour que vous soyez témoins à l’encontre des humains, et que l’envoyé soit témoin à votre encontre.» Elle s’oppose donc au courant opposé au port du voile, qui constitue selon elle une obligation religieuse imposée aux femmes musulmanes. De ce fait, elle critique la position de Nawal Al-Saadawi et rejette la campagne menée par le journaliste et écrivain égyptien Sharif Al-Shubashi recommandant aux femmes qui se considèrent contraintes de porter le voile de l’enlever. Elle estime que cette campagne est aussi extrême que celle qui vise à imposer le niqab à la femme.
Sharif Al-Shubashi répond que l’Égypte fait face à une idéologie terroriste, et qu’il ne suffit pas de combattre le terrorisme sur le terrain militaire et de dissoudre les organisations terroristes. Le combat doit être mené sur le long terme, sur les plans idéologique, culturel et social, en frappant le nerf de ce terrorisme. Car l’islam politique intégriste a levé le drapeau du voile. Depuis 40 ans, on subit à cet égard un véritable terrorisme moral, avec des menaces sérieuses, et personne n’ose ouvrir la bouche. Il ajoute qu’il n’est pas en faveur de la nudité, que le port du voile n’est pas prescrit par le Coran de façon claire, que les femmes égyptiennes ne portaient pas le voile il y a encore 50 ans, et n’étaient pas pour autant moins musulmanes et chastes, sans compter qu’en ce temps-là le harcèlement actuel était inconnu. Il souligne que 90% des prostituées en Égypte portent le voile. Le voile n’est donc pas une garantie de chasteté comme le prétendent les milieux religieux qui brandissent le slogan «Mon voile est ma chasteté; mon niqab est ma chasteté». Il avance que 70% des femmes égyptiennes qui portent le voile le font sous l’effet de la contrainte, et lui-même ne force pas les femmes à enlever le voile. Tandis que des instituteurs donnent des coups de bâton, de manière routinière, sur la tête des filles pour les forcer à porter le voile. Aminah Nussayr ne répond pas à ces objections et maintient que le port du voile est une obligation religieuse. Et il va de soi que si le voile est une obligation religieuse, il y aura toujours des gens qui voudront l’imposer par la contrainte.
Signalons enfin que cette azharite condamne les crimes commis par l’EI et autres groupes terroristes contre les femmes en les faisant captives et en les vendant comme du bétail. Elle estime que cela ne représente pas l’islam[3], alors que ce que font ces groupes est décrit jusque dans l’ouvrage d’Averroès Bidayat al-mujtahiad wa-nihayat al-muqtasid, et est enseigné dans les manuels des écoles de l’Azhar, comme ne cessent de le répéter des intellectuels et des journalistes égyptiens[4].
[1] Nous nous basons sur les vidéos suivantes :
https://www.youtube.com/watch?v=1oDAQ-g8TvQ
https://www.youtube.com/watch?v=LB2GE6zdIyo
https://www.youtube.com/watch?v=ERlX5VPBmxc
https://www.youtube.com/watch?v=VmAFzmOjaQc
https://www.youtube.com/watch?v=c6PZx4WMLxE
https://www.youtube.com/watch?v=2iwHHuKXBdw
[2] Concernant les juifs portant le niqab, voir les photos et les vidéos reproduites sur mon blog: https://www.blog.sami-aldeeb.com/2016/08/18/vous-netes-pas-dans-les-rues-de-larabie-saoudite-vous-etes-a-tel-aviv/
[3] https://www.youtube.com/watch?v=elJyAYayqH8
[4] Voir ces liens
https://www.youtube.com/watch?v=FNiiGGCPKyk
https://www.youtube.com/watch?v=z_UleyA1w9k
https://www.youtube.com/watch?v=u1ZcUzXonro
http://www.mcclatchydc.com/news/nation-world/world/article24783019.html
Sami Aldeeb, professeur des universités
Directeur du Centre de droit arabe et musulman
Traducteur du Coran en français et auteur de nombreux ouvrages
www.sami-aldeeb.com
www.blog.sami-aldeeb.com
Cet article est un extrait d’un livre de Sami Aldeeb qui paraîtra prochainement, intitulé: Le voile dans le Coran: interprétation des versets relatifs au voile à travers les siècles.
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